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blicaine, c'est-à-dire, comme il la définit, cette forme de vernement où chaque citoyen concourt par ses représentants à la confection des lois, et à décider la question si on fera la guerre ou non. Or, dit-il, décréter la guerre, c'est pour des citoyens décréter contre eux-mêmes toutes les calamités et toutes les charges de la guerre; au lieu que dans une constitution où les sujets ne sont pas citoyens de l'état, c'est-à-dire qui n'est pas républicaine, une déclaration de guerre est facile à décider, puisqu'elle ne coûte pas au chef, propriétaire et non pas membre de l'état, le moindre sacrifice, pas même celui d'un de ses plaisirs. Mais, suivant Kant, il ne faut pas confondre la constitution républicaine avec la constitution démocratique. Par la constitution républicaine, il entend toute forme de gouvernement limitée par une représentation nationale, le pouvoir législatif étant séparé du pouvoir exécutif, et le pouvoir de déclarer la guerre rentrant dans les attributions du premier. La démocratie, dit-il, rend la représentation impossible. Elle est nécessairement despotique, la volonté d'une majorité des souverains dont elle se compose n'étant pas limitée tandis que l'aristocratie, ou l'autocratie, quoique défectueuses en ce qu'elles sont susceptibles de devenir despotiques en substituant la volonté du chef de l'état à la volonte générale, renferment néanmoins la possibilité d'une administration représentative, ainsi que Frédéric-le-Grand l'insinuait au moins, en disant qu'il était le premier serviteur de l'état. De toutes les anciennes soi-disant républiques il n'en est aucune qui ait connu le système représentatif; aussi ont-elles toutes inévitablement abouti au despotisme d'un seul, le moins insupportable, il est vrai, de tous.

La seconde condition de la paix perpétuelle, suivant notre auteur, est que le droit public soit fondé sur une fédération d'états libres. Dans l'ordre actuel, dit-il, l'état de nature qui existe entre les nations n'est pas un état de paix, mais de guerre, sinon ouverte, au moins toujours prête à s'allumer.

Faute d'un pouvoir coactif, le code enseigné par les publicistes aux nations n'a jamais eu force de loi, proprement dite, parmi elles. Le champ de bataille est le seul tribunal où les états plaident pour leurs droits; mais la victoire, en leur faisant gagner le procès, ne décide pas en faveur de leur cause. La paix, dans ce cas, n'est qu'une trêve, et les états, tout en quittant les armes, restent en état de guerre, sans qu'on puisse les accuser d'injustice, puisqu'ils sont juges dans leur propre cause. L'état de paix ne peut donc être garanti que par un pacte spécial ayant pour but de terminer à jamais toutes les guerres. Il faut qu'elles renoncent, comme les particuliers ont renoncé, à la liberté anarchique des sauvages, pour se soumettre à des lois coërcitives, et pour former un état de nations, civitas gentium, qui embrasserait insensiblement tous les peuples de la terre. « On peut prouver, dit-il, que l'idée d'une fédération, qui s'étendrait insensiblement à tous les états et qui les conduirait ainsi à une paix perpétuelle, peut être réalisée. Car si le bonheur voulait qu'un peuple aussi puissant qu'éclairé pût se constituer en république (gouvernement qui par sa nature doit incliner à une paix perpétuelle), il y aurait dès lors un centre pour cette association fédérative; d'autres états pourraient y adhérer, pour garantir leur liberté d'après les principes de droit public, et cette alliance pourrait s'étendre insensiblement. »

Il conclut que, «s'il est un devoir, si on peut même concevoir l'espérance de réaliser, quoique par des progrès graduels mais sans fin, le règne du droit public, la paix perpétuelle, qui succédera aux trêves, jusqu'ici nommées traités de paix, n'est donc pas une chimère, mais un problème dont le temps, vraisemblablement abrégé par l'uniformité des progrès de l'esprit humain, nous promet la solution '. »

1 KANT, Projet de paix perpétuelle, essai philosophique par Émanuel Kant. Traduit de l'allemand avec un nouveau supplément de l'auteur. Königsberg, 1796,

Dans son ouvrage intitulé Métaphysique de jurisprudence, et publié en 1797, en traitant de la science du droit international, Kant insiste de nouveau sur les mêmes idées. «L'état naturel des peuples, dit-il, étant, comme celui des individus, un état dont il faut sortir pour entrer dans un état légal, tout droit acquis par la guerre ou autrement, avant cette transaction, doit être regardé seulement comme provisoire. Un tel droit ne peut être confirmé, d'une manière stable, que par une assemblée générale des états indépendants, analogue à l'union des invidus qui forme chaque état séparé. Comme une trop grande extension d'une telle association rendrait impossible la surveillance sur tous ses membres et la protection qui leur est due, la paix perpétuelle, qu'on doit regarder comme le dernier but de tout droit international, peut bien être envisagée sous ce point de vue comme une idée impraticable. Cependant les principes qui doivent tendre à ce but, en formant entre divers états des alliances qui serviraient à s'en rapprocher continuellement, ne sont pas impraticables, puisque c'est ici un problème qui s'appuie sur le devoir, ainsi que sur les droits des hommes et des états.

>> Une telle association d'états, ayant pour but de conserver la paix, pourrait être appelée le congrès permanent des nations, et il devrait être permis à tous les états de s'y joindre. On vit se former à La Haye, pendant la première partie du siècle actuel, une conférence diplomatique ayant un but analogue, savoir, de fixer les formalités et les règles du droit international à l'égard de la conservation de la paix. À cette conférence prirent part les ministres de la plupart des cours de l'Europe, et même des plus petites républiques. De cette manière se formait de toute l'Europe un état fédératif, dont les membres ont soumis leurs dissentiments à l'arbitrage de cette conférence comme leur souverain juge. Depuis cette époque le droit des gens est resté dans les livres des publicistes comme une lettre morte, sans influer sur la conduite des

cabinets, où il a été invoqué en vain, après les maux inséparables infligés par l'abus du pouvoir, dans des déductions consignées à la poussière des archives.

>> Nous entendons seulement proposer un congrès, dont la réunion et la durée doit dépendre des volontés souveraines des membres de la ligue, et non pas une union indissoluble telle que celle qui existe entre les États-Unis de l'Amérique du Nord, basée sur une constitution de gouvernement. Un tel congrès, et une telle ligue, sont les seuls moyens de réaliser l'idée d'un véritable droit public, d'après lequel les dissentiments entre les nations seraient terminés par des voies civiles, comme ceux d'un particulier le sont par un procès, sans qu'elles fussent dans la nécessité d'avoir recours à la guerre, moyen digne seulement des barbares 1.>>

§ 43. Système

Ces principes de Kant ont été combattus par Hegel, dans ses Éléments de la Philosophie du Droit. Suivant ce dernier de Hegel. auteur, la souveraine indépendance de l'état est le plus grand bien dont les hommes puissent jouir par suite de la formation de l'union sociale. Le premier devoir du citoyen, dit-il, est de sacrifier à la conservation de cette indépendance sa vie, ses biens, sa volonté personnelle, en un mot tout ce qu'il possède. C'est envisager la question des sacrifices demandés à cette fin sous un point de vue extrêmement étroit, que de regarder l'état uniquement comme une société civile, dont le seul but est de garantir la vie et les propriétés de ses mem

1 KANT, Rechtslehre, Th. 2, § 61.

La partie de cet ouvrage concernant le droit des gens a été traduite en français et publiée à Paris, en 1814, sous le titre de « Traité du droit des gens, dédié aux puissances alliées et leurs ministres, extrait d'un ouvrage de Kant.»

Un autre philosophe allemand, Fichte, a adopté les idées de Kant sur la possibilité de rendre la paix perpétuelle par l'établissement d'une grande confédération des nations. (FICHTE, Grundlage des Naturrechts nach Principien der Wissenschaftslehre, Th. 2, S. 261–265. Édit. 1797.)

bres, parce qu'il est évident que la sécurité de ces biens ne peut pas être garantie par la perte de tout ce qui doit être garanti. La guerre ne doit pas être regardée comme un mal absolu, et comme un accident dont l'origine peut être attribuée aux passions des princes et des peuples, aux actes d'injustice, etc., en un mot à ce qui ne doit pas arriver. La guerre est un état de choses dans lequel la phrase bannale de la vanité des choses humaines devient une réalité, un état de choses où la santé morale des nations est conservée par l'action, comme le mouvement des vents préserve la mer de cette stagnation complète dans laquelle un calme perpétuel l'entretiendrait. La paix perpétuelle, si elle pouvait être réalisée, serait un pareil état de stagnation morale pour les peuples. L'histoire témoigne que la guerre fortifie les forces intérieures d'un état, en dirigeant son activité vers l'extérieur, et en empêchant de cette manière les troubles domestiques. La paix perpétuelle est souvent proposée comme un idéal vers lequel l'humanité doit toujours chercher à se rapprocher. C'est dans ce but que Kant, entre autres, a proposé une ligue des princes pour arranger les différends entre les états souverains. La Sainte-Alliance, continue Hegel, a été fondée de nos jours dans cette intention. Mais, dit-il, un état, c'est un individu, et la négation est essentiellement renfermée dans l'individualité. Donc, lorsqu'un nombre considérable d'états s'unit dans une grande famille, cette association, comme individualité, doit nécessairement se créer un opposé et un ennemi. Le cercle pourra être élargi, mais il rencontrera toujours des obstacles et de la résistance. On entend souvent déclamer de la chaire contre la vanité et l'instabilité des choses humaines; mais quelque touché qu'on soit de ces déclamations, chacun se dit qu'il gardera au moins ce qui lui appartient. Mais laissez arriver cette instabilité des choses humaines sous la forme des hussards avec leurs armes blanches, et l'humble adhésion se change en imprécations contre l'injustice et la cruauté des

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