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<< reur. Elle pense que la République a plus d'amis que Napoléon n'a l'air de s'y attendre. Dirai-je que moi << aussi je pensais que surtout notre vaillante armée << s'accommoderait peu de ce changement. L'événement << devait me prouver jusqu'à l'évidence que j'étais bien «< peu expérimenté dans mes jugements, malgré ma réputation d'homme politique... Ce que j'avais « reconnu de courtisanesque parmi les généraux, for<<mant la cour militaire de mon frère sous le titre de <«< ses aides de camp, aurait dû me mettre en garde. »

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A Rome, la vie de madame Lætitia Bonaparte était assez retirée. A part ses visites au pape, au sculpteur Canova, et ses dévotions, elle restait confinée dans le palais que Fesch avait fait mettre à sa disposition.

Les peu nombreux amis de ma mère ont quitté Paris à regret, excepté mademoiselle Clary qui, outre son entier dévouement à l'amitié, a l'espoir que ce grand voyage fera du bien à sa santé. Les autres craignent que le consul, devenu empereur, ne veuille pas former à sa mère apanage et maison d'honneur pour la punir de m'avoir rejoint dans mon exil. M. l'avocat Gayeux me paraît le plus pénétré de cette crainte. Il est vrai que ce n'est point sa faute si je trouve qu'il me regarde toujours de travers comme un obstacle à son ambition, vu l'inclinaison de la prunelle de son œil droit aux dernières limites de son nez et la tendance encore plus déterminée de son œil gauche vers son oreille idem. En somme, la laideur de cet avocat provençal est telle que j'en ai peu connu d'aussi remarquable, et que j'engage sérieusement ma femme à ne pas le regarder. Camille Borghèse en prescrit autant à

Pauline dans la supposition qu'elle aussi puisse être enceinte. Du reste, comme l'avocat Gayeux ne se doute pas de pouvoir être l'épouvantail de tous les maris des femmes grosses de la future cour impériale, il ne dissimule pas que la place de chevalier d'honneur d'une impératrice mère peut être bonne, se cumuler en sa faveur avec celles de secrétaire des commandements.

Mademoiselle d'Andelard, en sa qualité d'ancienne chanoinesse de je ne sais plus quel chapitre et, comme je l'ai dit, simple dame de compagnie, ne doute pas grâce à ce titre d'ancienne chanoinesse d'être du vrai bois dont on fait faire une dame d'honneur et sourit avec indulgence aux prétentions de Gayeux qui, suivant elle, n'est point assez grand seigneur pour les voir se réaliser.

Le docteur Backer, savant et même renommé praticien (il a écrit aussi un traité estimé sur l'hydropisie), ayant guéri ma mère des premiers symptômes de cette maladie, se voit déjà nommé premier médecin de l'empereur au lieu de Corvisart qui, malgré sa science. et même sa pratique que lui, Backer, ne dénigre point, ne peut plus être, vu son âge, que médecin en second lieu, et, si l'on veut, en survivance. Le cher docteur ne manque pas comme on voit de bonne opinion sur son propre compte et comme l'économie pour la fourmi qui n'est pas prêteuse, ce ridicule amour-propre est son moindre défaut. Rien de plus acerbe, de moins serviable, de plus orgueilleux et surtout de plus gourmand que ce vieux prêtre d'Esculape. En fait de vanité et pour correspondre au titre de premier médecin de l'empereur, il se voit déjà logé aux Tuileries et décoré de la croix de la Légion d'honneur, au moins de commandeur. Quant à sa gourmandise, je ris encore au souvenir déjà

si lointain de moi de toutes les preuves drolatiques qu'il nous en donna avec une candeur qui finissait par lui assurer l'indulgence des rieurs. Jamais vieillesse et science n'apparurent sous des traits aussi peu vénérables. >>

A l'automne tous les Bonaparte avaient quitté Rome. Madame Lætitia et sa suite étaient venues s'installer à Paris dans l'hôtel de Lucien 1. Pauline et son mari habitaient le palais des Tuileries.

Tous avaient ordre de revenir en France, pour assister au sacre du nouveau César.

Seul, Lucien restait à l'écart. Aussi, afin d'échapper à des explications pénibles pour son amour-propre et de faire croire à un rôle qu'il n'avait pas, il se retira momentanément à Milan 2. Il y avait d'ailleurs une arrière-pensée dans cette démarche. Lucien était fort au courant des menaces de la coalition alors en voie de formation. D'autre part, il connaissait les projets de son frère et les menées dont il était l'objet. Il voulait donc être prêt à tout événement et se réserver dans la république italienne un morceau à sa convenance, digne des talents qu'il se supposait. Tout au moins, espérait-il pouvoir être en mesure de forcer son frère à compter avec lui. Mais celui-ci le connaissait trop pour se laisser prendre à ce double jeu. Il cherchait des esclaves et non des égaux. Il coupa court aux velléités ambitieuses de Lucien. Le 26 mai, le nouvel empereur était à Milan. Il s'y faisait couronner et donnait le titre de vice-roi à Eugène Beauharnais 3. Le 4 juin, il réunissait la Ligurie à l'Empire.

1. L'hôtel de Brienne. Lucien l'avait acheté 300,000 francs. Il le céda en 1804 à sa mère pour 900,000.

"

2. Le cardinal Fesch à l'empereur (29 brumaire an XIII).

(...

. Lucien craignant d'être renfermé dans l'Etat romain est parti de suite pour la République italienne, et ma sœur a quitté << Rome le 14 novembre pour se rendre à Paris, où elle occupera « l'hôtel de Lucien... » (Mss. A. E.)

3. Note de madame Jouberthon.

« C'est la couronne du

Pour Lucien, il n'avait pas attendu l'arrivée de son puissant frère pour s'éloigner.

Dès que j'appris, dit-il, que l'empereur était sur le point d'arriver à Milan, je crus devoir en partir. Travaillé d'ailleurs par la fièvre, je me déterminai à m'arrêter sur les bords de la mer Adriatique où le climat est moins fiévreux qu'à Rome. En partant de Milan, je crus devoir en avertir l'empereur, car je ne voulais lui donner aucun prétexte de se plaindre de mes prétendus actes d'indépendance, ni lui faire supposer des motifs secrets à mes déplacements forcés, et comme on a déjà pu le remarquer et comme on pourra l'observer dans la suite, autant j'ai cru et croirai toujours de mon devoir de demeurer inébranlable dans mes principes et ma conduite, autant je me suis imposé la loi de demeurer toujours vis-à-vis ce frère, devenu par la volonté souveraine du peuple souverain, l'empereur légitime de la France, dans les formes usitées et obséquieuses qui sont en usage dans les familles régnantes; la prudence d'ailleurs me les prescrivait impérieusement. J'écrivis donc à l'empereur la lettre suivante :

royaume d'Italie et non la royauté que refusa Joseph et cela par la raison que Buonaparte exigeait qu'en acceptant cette couronne Joseph renoncât au titre de grand électeur de l'empire qui lui donnait droit à la succession au trône de France.

<< Ce refus de Joseph venait d'un plan concerté entre Lucien et lui, qui fit que l'autre refusa également le duché de Parme. Buonaparte voulait rejeter à l'étranger ses deux frères et placer la succession au trône dans la ligne des enfants de Louis.

« Les deux frères ne voulaient point perdre ce qu'ils appelaient leurs droits. >>

1. Exposé de ma situation et correspondance pendant le séjour de l'empereur à Milan en 1805.

De Milan, le ...

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A Sa Majesté l'empereur et roi.

<< SIRE,

«En quittant Rome, il y a quatre mois, afin de me placer avec ma famille au delà du cordon de l'épidémie, je m'empressai d'écrire au prince Joseph pour qu'il prévint Votre Majesté de mon arrivée à Milan « et qu'il me marquât si mon séjour dans cette ville. << agréait à Votre Majesté. N'ayant point reçu de réponse « à ce sujet, j'ai pensé pouvoir y séjourner quelques << mois.

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« Sur le point de partir de Milan depuis quelques <«<< semaines pour rentrer dans ma retraite de Frascati, << j'ai eu le malheur d'être attaqué de nouveau ainsi qu'un de mes enfants, d'une fièvre tierce très opi«niâtre; et, ne pouvant point espérer de guérison si je «passais l'été dans le climat fièvreux de Rome, je me « détermine à me retirer jusqu'en septembre sur les «bords de la mer Adriatique dans la petite ville de << Pesaro.

« Je m'empresse de rendre compte à Votre Majesté « de mon départ pour cette ville où je porterai les << mêmes sentiments d'un dévouement inaltérable et « à l'épreuve des contrariétés qui me poursuivent. Toute << marque de votre bienveillance, Sire, me serait bien «< précieuse, car si les événements m'ont exclu de la << famille politique des princes français, je ne crois pas << avoir mérité et vous prie de m'épargner les appa«rences de votre haine.

<«< Veuillez, Sire, ne pas trouver mauvais que dans

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