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censure, appelée un coup d'Etat (et c'est bien de l'honneur qu'on lui fait), que la censure, dis-je, rompt tous les liens de la société, et qu'alors le magistrat ne lui doit plus ses arrêts, le soldat sa baïonnette et son courage, et le citoyen ses impôts.....

On parlera un peu moins ou un peu mieux religion et politique, on respectera un peu plus les agents du gouvernement royal, qui ne peuvent être objets habituels de censure violente et passionnée, sans qu'il n'en réfléchisse du mépris sur l'autorité qui les emploie. Mais la censure n'interdira aucune discussion, même politique, faite avec bonne foi, connaissance et modération; mais elle laissera une entière liberté d'écrire sur les sciences, les arts, les voyages, les machines à vapeur, les bateaux à vapeur, les chemins de fer, les laines longues et courtes, les tissus de coton, l'industrie et les manufactures. Et n'est-ce pas là aujourd'hui, aux yeux d'un certain parti, toute la société? et faut-il autre chose pour la prospérité des nations, que de l'industrie et des manufactures; et leurs perfectionnements ne sont-ils pas le thermomètre infaillible de la perfectibilité humaine et du progrès des lumières ?

Une seule objection contre la censure mérite d'être examinée. On demande ce que deviendrait la société avec la censure, si un ministre conspirait contre la tranquillité de l'Etat ou la sûreté de la maison régnante, etc. Qu'un ministre conspire, cela peut être; mais tout un ministère! il faudrait pour cela supposer les chambres, le gouvernement, et presque le roi lui-même, complices de la conspiration. Allons au plus pressé, il y a assez de maux réels pour ne pas en poursuivre d'imaginaires, et pendant longtemps la presse conspiratrice sera plus à craindre qu'un ministre conspirateur.

OBSERVATIONS

SUR LE DISCOURS QUE M. DE CHATEAUBRIAND DEVAIT PRONONCER A LA CHAMBRE DES PAIRS CONTRE LA LOI SUR LA POLICE DE LA PRESSE, ET QU'IL A PUBLIÉ DEPUIS QUE LA LOI A ÉTÉ RETIRÉE.

On dirait que la France n'a tout sacrifié à l'amour de la liberté et de l'égalité, que pour tomber sous le joug de trois despotismes qui ont successivement et sans interruption pesé sur elle du despotisme civil de la Convention, mais la haine et l'horreur qu'il inspirait vengeaient la nation de ses excès; du despotisme militaire de Buonaparte, mais la gloire dont il était entouré consolait la France de ses rigueurs; enfin du despotisme littéraire des journaux, qui pèse comme un impôt sans compensation et sans gloire, exercé par des hommes qu'on n'a pas même la triste consolation de connaître, et qui, cachés sous le nom collectif d'un journal, quelquefois rédacteurs à un âge où il leur serait interdit d'être responsables, font les uns ou les autres une guerre anonyme à la politique, à la religion, Â la morale, à la vérité, au public, aux particuliers, à tout : et si le despotisme est un pouvoir sans frein et sans limite, quoi de plus despotique qu'une puissance qui censure tout et ne veut pas être censurée?

Jamais le despotisme n'avait intimé ses volontés avec plus de hauteur et moins de ménagements que dans l'écrit que M. le vicomte de Chateaubriand a publié il y a quelque temps, et qui devait être prononcé à la tribune de la chambre des pairs, si la loi sur la police de la presse n'avait pas été retirée.

« Les ennemis, dit-il, je ne dis pas les adversaires de la > liberté de la presse, sont d'abord des hommes qui ont quel» que chose à cacher dans leur vie, ensuite ceux qui désirent » dérober au public leurs œuvres ou leurs manœuvres, les >> hypocrites, les administrateurs incapables, les auteurs sif>> flés, les provinciaux dont on rit, les niais dont on se moque, » les intrigants et les valets de toutes les espèces. >>

T. II.

11

La distinction d'ennemis et d'adversaires de la liberté de la presse ne présente aucun sens.

La licence de la presse a des ennemis ou des adversaires, la liberté de la presse ne peut en avoir; car quel est l'homme assez absurde pour ne pas vouloir qu'on imprime même de bons ouvrages? Ceux même qui prendraient pour de la licence une liberté sage et raisonnable, se tromperaient sans doute, mais ne seraient pas pour cela ennemis ou adversaires de la liberté de la presse, puisqu'ils ne condamneraient la liberté que parce qu'ils l'auraient confondue avec la licence.

Ces qualifications outrageantes, distribuées si gratuitement, s'appliquent à beaucoup d'honnêtes gens, même des gens d'esprit qui ne sont dans aucune des catégories désignées par l'auteur, et qui sont tous, d'un bout du royaume à l'autre, ennemis ou adversaires de cette liberté illimitée qu'on ne peut pas réprimer, et qu'on ne veut pas prévenir.

C'est sans doute pour tempérer un peu la sévérité de ses jugements, et laisser un refuge aux malheureux adversaires de la liberté telle que l'entendent ses ardents amis, que le noble pair ajoute qu'après tous ceux qu'il vient de désigner il reste » quelques hommes extrêmement honorables, que des pré»ventions, des théories, peut-être le souvenir de quelques >> outrages non mérités, rendent antipathiques à la liberté de >> la presse. >>>

L'amour-propre peut-être aurait trouvé son compte à se tirer de la foule des fripons, des niais et des valets, pour se placer parmi ces quelques hommes extrêmement honorables, coupables seulement de théories et de préventions, et assez faibles pour prendre conseil de leurs ressentiments particuliers dans des questions d'intérêt public; mais malheureusement on trouve plus loin que ces hommes honorables qui crient « que >> tout est perdu, parce que la société à laquelle ils appar>> tiennent, a fini autour d'eux sans qu'ils s'en soient aperçus, >> voient tout dans une illusion complète. » Ce qui signifie, en bon français, que ces hommes extrêmement honorables, même ces hommes à talents, sont des sots; car la sottise n'est pas absence d'esprit, mais erreur de jugement et de conduite. Au reste, cette dernière qualification est la plus innocente de toutes celles que les partis s'adressent si libéralement les uns aux autres, et comme on peut la recevoir sans colère, on peut la rendre sans injustice.

C'est ainsi qu'on défend avec la liberté de l'injure la liberté

des opinions, et certains journaux, enchérissant sur ces imputations, prennent, à l'égard de leurs adversaires, un ton si hautain, si dédaigneux et si méprisant, que cette liberté de penser et d'écrire, dont ils se disent les plus ardents amis, et dont ils sont les plus fougueux apôtres, est entre leurs mains une véritable oppression plus odieuse que celle de la police à l'égard des écrivains qui craignent de commettre leurs médiocrités (car c'est le mot à la mode) contre des supériorités si superbes et si intolérantes, enivrées de l'encens qu'elles font fumer à la ronde en leur honneur; car il ne faut pas oublier que, si toutes les bassesses de l'esprit, du cœur et de la conduite, tous les sots, tous les fripons, tous les niais et tous les valets se trouvent, comme nous l'avons vu, dans les rangs des adversaires de la liberté de la presse, toutes les perfections en vertus, en talents, en conduite, se trouvent nécessairement dans les rangs opposés. Ainsi on ne se contente pas de dire: « Nul n'aura de l'esprit que nous et nos amis; mais on dit : « Nul n'aura des vertus, etc. » C'est le sublime de l'orgueil.

Le noble pair a donc porté devant le public une cause qui devait d'abord s'instruire devant la chambre des pairs, et il a fait du discours qu'il avait préparé un plaidoyer divisé en quatre points. Je suivrai le même ordre dans les observations que je me permettrai sur cet écrit.

1o La loi n'est pas nécessaire, parce que nous avons surabondamment des lois répressives des abus de la presse. Les magistrats ont fait leur devoir.

Le noble pair fait l'énumération complète des lois portées à différentes époques, depuis 1789, pour la répression des délits de la presse, et des jugements rendus contre les délinquants. Les magistrats, dit-il, ont fait leur devoir; s'ils l'ont fait, ils ont consulté leurs vrais intérêts, car la magistrature ne se rend populaire que par la sévérité de ses jugements; et c'est ce qui prouve, mieux que tout ce qu'on pourrait dire, l'insuffisance des lois répressives, y en eût-il dix fois plus de portées, et dix fois plus de jugements rendus. Ces jugements, en matière de la presse, vont contre leur but, parce que le mal d'un écrit dangereux est dans la publicité, et la condamnation en audience publique lui en donne davantage. La société ne demande pas que l'auteur soit connu, mais que l'écrit soit ignoré, la condamnation fait connaître l'écrit et l'auteur. Les lois préventives sont donc les seules applicables en ce genre de

délit, et les lois répressives ne sont bonnes que pour faire semblant de réprimer.

En effet, les lois criminelles sont faites pour punir ce que les lois de police et de surveillance n'ont pu prévenir, et les gouvernements sont coupables de lèse-humanité, si, maîtres de prévenir le mal, ils ne veulent que punir le coupable, et font de la liberté qu'ils nous laissent un appât qu'ils présentent aux imprudents pour les faire tomber dans le piége.

On se plaint que les tribunaux ne répriment pas, et l'on ne voit pas que les juges ne peuvent punir qu'avec répugnance des crimes ou des délits qu'on aurait pu étouffer avant qu'ils fussent venus à leur connaissance : ils gémissent du devoir qui leur est imposé de toujours punir des fautes dont l'autorité aurait dû leur épargner la poursuite et le jugement. L'immunis lex que propose le noble pair, et même la mort dans certains cas pour réprimer la liberté de la presse, sont une pure illusion. Plus la loi sera sévère, plus sera forte et légitime la répugnance des juges à l'appliquer. « Pourquoi, pourront-ils >> dire au législateur, porter des lois atroces? pourquoi exiger » de nous des condamnations à mort contre les auteurs, et à » ruine contre les imprimeurs, quand il aurait suffi d'un ju>> gement de censure, qui, en ménageant la personne, la for>> tune et l'honneur de l'écrivain et de l'imprimeur, aurait » veillé aux intérêts de la société, en supprimant de l'écrit ce » qu'il pouvait renfermer de répréhensible? »

Dans les lois de quel code, dans les mœurs de quel peuple, dans les maximes de quel moraliste a-t-on trouvé qu'il était plus utile, plus moral, plus humain, de punir le coupable que de prévenir le délit; qu'un homme flétri était pour la société d'un meilleur exemple qu'un crime empêché, et qu'enfin on devait respecter les phrases d'un écrivain, au risque de compromettre son honneur, sa fortune, sa liberté, sa vie même, et de troubler, par une publication dangereuse, le repos de la société? Que sont des amendes pour un siècle à millions, où les crimes mêmes de la presse sont des spéculations de pouvoir, et par conséquent de fortune pour des partis qui disposent des caisses et des souscriptions des sociétés occultes ou patentes? Qu'est la prison pour l'homme dont le repos est mieux payé que le travail, et qui tire de sa détention un bien meilleur parti que de sa liberté?

Mais la Charte, dit-on, veut réprimer et non prévenir; la Charte veut empêcher le délit; elle veut la fin, donc elle veut

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