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toutes ses proscriptions iniques, qu'on ne peut comparer qu'à celles de Marius et de Scylla, le ciel, toujours impénétrable dans ses moyens, permet qu'il vive aujourd'hui dans l'affluence, tandis que des milliers de colons qui s'étaient généreusement expatriés pour contribuer à la prospérité de leur patrie, végètent sous le même climat, et beaucoup d'entre eux mourraient de faim, si la sollicitude paternelle du gouvernement ne leur avait pas tendu une main secourable.

Aussitôt que les Anglais furent en possession du Port au Prince, du Mirbalais et des Grands-Bois, ils prirent à leur solde dix régimens noirs et mulâtres, commandés par des officiers blancs; et à l'aide de quelques renforts d'Europe, ils maintinrent leurs positions pendant quatre ans. Lors de la prise du Port au Prince, les Anglais ont trouvé dans la rade un nombre considérable de bâtimens au commerce de France, chargés des plus riches productions de la colonie et qu'ils ont estimés à 12,000,000 livres de notre monnaie. C'est à Polverel d'abord et ensuite à Santhonax que le commerce est redevable de la perte de ces bâtimens, que les commissaires retenaient pour les faire contribuer de toute manière.

Le colonel Whitelocke, qui commandait alors en chef toutes les forces anglaises à St.-Domingue, ayant envoyé offrir 5,000 pounds (120,00 liv.) au général Lavaux pour lui livrer la ville du Port de Paix. Le général français après avoir lu tran

quillement la lettre du colonel, somma l'officier anglais de lui déclarer sur son honneur, s'il avait connaissance du contenu de son message; l'officier protesta de son ignorance: cela suffit, reprit le général, autrement je vous eusse fait pendre, pour m'apporter une proposition de cette nature. II écrivit, sur-le-champ, au colonel Whitelocke: << Monsieur, vous vous êtes efforcé de me déshonorer aux yeux de mes soldats, en me supposant assez vil, assez vénal et assez lâche pour trahir ma conscience, et la place qui m'a été confiée ; après un affront semblable, vous ne pouvez pas me refuser une satisfaction personnelle, je vous la demande au nom de l'honneur. Avant d'en venir à une action générale, je vous offre de nous battre en duel, à pied ou à cheval, avec les armes qu'il vous plaira, jusqu'à ce que l'un de nous deux reste sur le carreau; quoiqu'Anglais, et ennemi de mon pays, vous n'avez pas le droit de m'insulter personnellement, et comme particulier, je demande une réparation pour l'injure que j'ai reçue de vous.»> Le colonel Whitelocke ne jugea pas à propos d'accepter le défi.

Le gouvernement de France, malgré la confiance qu'il avait montrée à Toussaint-Louverture, ne voulut point, avec raison, laisser toute l'administration civile et militaire entre les mains d'un ambitieux qui avait servi les royalistes,. la république, les Espagnols, et qui permettait aux Anglais de completter leurs régimens noirs dans le cœur

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de son armée. Le Directoire envoya le général Hédouville mettre un terme aux souffrances de cette malheureuse colonie, et tâcher d'en assurer la possession à la mère patrie.

Le général Hédouville arriva au Cap Français, au moment où le général Maitland proposait à Toussaint d'évacuer Saint-Marc, le Port au Prince, Jérémie et les autres places que les Anglais avaient en leur possession. L'arrivée d'un commissaire français, décida le général Maitland à s'adresser à lui. D'un autre côté Toussaint, apprenant qu'on avait envoyé la proposition au général Hédouville, signa, sans la participation du commissaire, la capitulation que le général Maitland lui présentait. Les termes honorables que les Anglais obtinrent, donnèrent occasion au nègre Mentor, qui était alors en France, et à plusieurs journalistes de Paris, de proclamer Toussaint, traître!

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Ce général noir, à qui tout portait ombrage, fit assassiner, dans la ravine sèche, proche de St.Marc, le jeune Abraham de Lance, aide-de-camp, M. Dozzy, chef de bataillon, et un autre officier de l'état major du général Hédouville, qui s'en retournaient du sud au nord, après avoir engage Rigaud et les mulâtres des Cayes, à maintenir la bonne intelligence entre eux et les nègres du Cap. Immédiatement après, il força le commissaire constitutionnel de la mère patrie, à se rembarquer pour l'Europe.

Après une conduite aussi arbitraire, Toussaint,

qui se regardait comme le Spartacus prédit par l'abbé Raynal pour venger sa couleur, crut ne devoir plus garder de mesure; il affecta beaucoup de popularité envers les blancs, dont il sentait la nécessité pour le mettre à même de culbuter Rigaud, dont l'autorité s'étendait depuis le petit Goâve, jusqu'à l'extrémité de la pointe sud de l'île, et qui aspirait comme lui au gouvernement universel de la colonie.

Les blancs qui s'étaient réfugiés à Cube, à la Jamaïque et aux États-Unis, pour n'être pas as sassinés journellement par les mulâtres et par les nègres, voyant qu'on les invitait à retourner dans l'île , avec ¿promesse d'être protégés, se rendirent au Port au Prince, et dans les autres villes de l'ouest et du nord. Toussaint les remit sur leurs propriétés: Rigaud suivit la même politique. Bientôt après la guerre se déclara entre ces deux ambitieux; la moitié de la colonie se battit contre l'autre, les nègres au bout de dix-huit mois, culbutèrent entièrement le parti des mulâtres, ils se soumirent, et Rigaud s'embarqua pour la France.

Toussaint, qui brûlait de se venger de ses ennemis, ordonna au général Dessalines de laisser les blancs tranquilles pour le moment, et de n'exterminer que les mulâtres. Dessalines parcourut la colonie, il détruisit tous les hommes de couleur qui tombèrent sous ses mains.

Après la conquête du sud de Saint-Domingue et la destruction de la majeure partie des mulâtres,

Toussaint se fit proclamer gouverneur à vie de la colonie; il organisa l'administration civile et militaire de gens qui lui étaient dévoués, et fit marcher ses troupes pour la conquête de la partie espagnole qui avait été cédée à la France par le traité de Bâle. Le succès n'ayant pas répondu à son attente, il s'en vengea sur les blancs français qu'il faisait assassiner secrètement par centaine, toutes les fois qu'il communiait.

Tandis qu'il disposait tout pour tirer une vengeance éclatante des Espagnols, le traité d'Amiens permit à la mère-patrie d'envoyer de Brest une expédition de 15 à 20,000 hommes pour châtier les rébelles.

A leur apparution, Christophe envoya le mulâtre Sangos, capitaine du port de la ville du Cap, demander au capitaine-général Leclerc de ne point entrer dans le port avant que le courrier qu'il avait expédié auprès de Toussaint fût de retour. Il avait ordre de lui déclarer que sur son refus il massacrerait tous les blancs, et mettrait le feu à la ville. Le général Leclerc écrivit à Christophe qu'il ne désirait que de concilier les esprits, et éviter autant que possible d'en venir aux extrêmités avec le gouverneur de l'île. M. Lebrun, qui avait porté cette lettre, s'en retourna avec une réponse semblable au message de Sangos.

La ville du Cap envoya une députation composée du maire, du commandant de la garde nationale, du curé et de trois citoyens, conjurer le

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