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(24) général en chef de prendre pitié de la malheureuse situation des habitans. Le capitaine-général ordonna aux députés de s'en retourner, et de lire la proclamation du premier Cónsul à leurs concitoyens. Lemaire, qui était un nègre nommé César Télémaque, essaya vainement d'adoucir les noirs. Le général Leclerc, pour ne pas leur donner le tems d'exécuter leurs menaces, débarqua ses troupes au Limbé, malgré les clameurs des nègres qui criaient: <«< Point de Français, point de blancs, » et vint s'emparer des hauteurs du Cap. L'amiral Villaret, au signal convenu, envoya sa bordée sur le fort Picolet, et entra de vive force dans la rade.

Les nègres ne mirent plus de bornes à leur rage. Les habitans qu'ils gardaient parmi eux comme autant d'otages, expirèrent de toutes parts sous les coups de ces tigres déchaînés. Les villes et les plaines furent livrées aux flammes; les femmes et les filles furent traînées au fond des forêts pour assouvir leur brutalité jusqu'au moment où ils devaient les mettre à mort. Cinq cents blancs que les nègres avaient emmenés hors du Port-au-Prince, furent assassinés sur l'habitation de la Fretillière; six cents habitans de Léogane et de ses environs, expirèrent dans cette ville, sous les coups de Dessalines et de sa horde. Un grand nombre d'autres, qu'il serait trop long et trop pénible de citer ici, payèrent de leur vie l'arrivée des troupes française dans cette île.

Le général en chef, pour mieux convaincre

Toussaint de ses intentions pacifiques, lui renvoya ses enfans que la France avait généreusement élevés. Cette nouvelle preuve de bienveillance n'eut aucun effet; il fallut recourir à la force. Enfin, le courage, l'habileté et les efforts du capitaine-général Leclerc et des généraux Rochambeau et Boudet, surmontèrent tous les obstacles qui s'opposaient à leur marche, et au bout de deux mois la colonie fut soumise.

Nombre de causes, qu'il serait trop long de détailler ici, occasionnèrent de nouvelles insurrections. Dessalines; homme plus entreprenant et plus déterminé que l'hypocrite Toussaint, se mit à la tête des révoltés. «Mon prédécesseur, leur dit-il, >> ne distinguait ses amis de ses ennemis que par >> leur façon de penser, ce qui fut cause qu'il şe méprit souvent dans le choix des premiers, et qu'il fut trompé et sacrifié par les derniers; pour » éviter une efle blable, mon choix désor » mais ne sera marqué que par la couleur. »

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La continuation des troubles et la guerre qui se déclara en 1803, entre la France et l'Angleterre, obligèrent les Français à évacuer un pays pour la conquête duquel ils n'avaient pas perdu le tiers de l'armée par le feu de l'ennemi.

Aussitôt que Dessalines fut en possession de la colonie, il exécuta dans toute son étendue la maxime barbare qu'il avait annoncée quelque temps auparavant. Dans toutes les villes où il passa avec son armée, les blancs, leurs femmes et leurs en

fans furent poignardés, bayonneltés et hachés par ses sapeurs; ceux qui essayaient de se sauver du côté de la mer, pour se réfugier à bord des bâtimens, furent massacrés en grande partie par les nègres qui gardaient le rivage.

Ce second Attilius tourna ensuite sa rage sur les gens de couleur. Ceux-ci, par leurs liaisons et leurs parentés avec les nègres, trouvèrent parmi eux des protecteurs et des partisans. Le mulâtre Pétion, chef de bataillon d'artillerie, qui avait déserté de l'armée française, commandait sous ses ordres au Port-au-Prince. Il avait réussi à şe former un parti considérable, avec lequel il résolut de venger sa couleur lorsqu'il en trouverait l'occasion. Le hasard le servit au gré de ses desirs. Dessalines, pour mieux voiler son projet, ayant annoncé qu'il allait inspecter les grands bois, Pétion, au rapport des papiers anglais, envoya placer une embuscade dans .ce quartier, avec ordre ce vil usurpa

teur au moment qu'il passerait dans le chemin. Dessalines qui était en tournée dans ces parages avec une faible escorte, se présenta sans défiance dans l'endroit où était l'embuscade. Cent coups de fusil partent au même instant, une partie des guides sont tués, les autres se dispersent, et Dessalines tombe de cheval. «Ne m'ôtez pas la vie, » leur dit-il à genoux, je promets de vous pardon

>> ner ma blessure. » Les soldats furent sourds aux prières d'un monstre que les larmes de ses semblables n'avaient jamais pu attendrir; ils l'expédiè

rent sans pitié, et s'en retournèrent triomphans auprès de leur chef. Pétion annonça sur-le-champ la mort de Dessalines, la terreur des blancs, des nègres et des mulâtres. Il profita de la joie que cette nouvelle répandit, pour se faire proclamer chef de la partie de l'ouest et du sud.

Christophe ne se vit pas plutôt débarrassé de son redoutable rival, qu'il jura d'exterminer tout ce qui n'était pas noir. Les journaux et les papiersnouvelles nous ont appris de tems à autre avec quelle barbarie il a rempli son serment inhumain. Il n'est pas d'expressions assez fortes pour peindre. les souffrances et les agonies affreuses de ceux qui n'ont pas eu les moyens de s'échapper de ce vaste Golgotha.

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Tels ont été les changemens, les troubles et les maux qu'a subi ce superbe jardin des Indes occidentales; ce lieu de délices, susceptible de pro duire tout ce qu'offre les climats les plus fortunés. Un gouvernement paisible et paternel peut faire disparaître ou du moins rendre très-peu sensible totalité des inconvéniens auxquels cet presque heureux pays est sujet; il peut aisément et à peu de frais dessécher ces marécages qui engendrent les fièvres et les autres maladies qu'on y éprouve. La nature a placé près de ces endroits, les bois et les pierres dont on peut avoir besoin pour empêcher la mer de couvrir régulièrement de dix-huit pouces d'eau, une espace de cinq cents pas de large sur quinze cents de long, qui répand journelle

ment des exhalaisons pestilentielles. Quant à la chaleur, la brise de mer pendant le jour tempère l'ardeur extrême d'un soleil perpendiculaire; et le soir, le vent de terre refroidit l'air et rafraîchit les sens des habitans de ce climat brûlant. Ce qu'il y a de singulier et même d'incroyable, c'est que Ja brise de son centre, vers la mer, souffle à la fois sur tous les points du compas,

Par une bonté spéciale et toute particulière de la providence pour cette île, le soleil, après avoir fait un grand progrès vers le tropique du cancer, et être devenu en quelque façon perpendiculaire, attire à lui une masse de nuages qui empêchent le laboureur de ressentir l'ardeur des rayons directs de l'astre du jour. Ces nuages se dissolvent en pluie, rafraîchissent l'air et humectent le pays en mars, en juin, en juillet, en août, à la fin de septembre, et de tems à autre dans les mois de novembre et de décembre.

L'habitant de ces contrées contemple avec indifférence la fureur des élémens déchaînés; leur rage s'épuise inutilement pour le frustrer du fruit de ses peines et de son labeur. Les plaines du Cap, du Port-au-Prince, de l'Artibonite, des Cayes et de quelques autres endroits, sont susceptibles de produire plus de sucre que toutes les autres Antilles; et il n'existe pas une partie sur le globe, sans en excepter les grandes Indes, où l'on fasse fortune plus promptement qu'à Saint Domingue.

Le sort définitif de cette colonie, jadis la reine

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