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vent dans les paiemens les ruinent sans ressource. Les fortunes qui se sont multipliées dans les ports de la métropole, par leurs relations avec les îles, déposent ouvertement contre des reproches si peu fondés.

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Quoiqu'il soit utile et même nécessaire d'entretenir les dettes des colonies envers la métropole, cela ne décharge pas le particulier de l'obligation d'acquitter ses engagemens; mais cette libération doit se faire insensiblement, sans recourir à la violence. C'est à la loi à prononcer > et non pas aux volontés arbitraires de ceux qui gouvernent les colonies; puisqu'il arrive souvent que le créancier le plus puissant, le plus protégé, le plus actif, ou le plus violent, l'emporte sur le plus ancien, le plus privilégié et le plus pressé.

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L'expérience a fait sentir que la saisie-réelle des habitations n'était pas praticable; la voie de la contraite personnelle ne serait pas plus efficace. L'emprisonnement et l'absence du propriétaire mettrait le désordre parmi les nègres, ils cesse-' raient de travailler et ravageraient les habitations voisines. Je vais plus loin, j'admets qu'on réussit à les saisir et à les vendre tous; qu'en résulterait-il? la vente de ces esclaves séparés de leurs femmes, de leurs enfans, de leur domicile habituel et des faibles douceurs qu'ils, y trouvaient, les rendrait indifférents à la vie, ils ne travailleraient plus que faiblement, qu'à force de coups et de mauvais traitemens; ils déserteraient,

ou beaucoup d'eux se pendraient de désespoir.

Cet usage est commun parmi les Ibos, les Nagos, et quelques autres castes de nègres de la côte d'Afrique. St.-Domingue à vu maintes et maintes fois les nouveaux débarqués de ces nations, qui se trouvaient transférés sur des habitations dans les montagnes, dont le site leur déplaisait, s'enfoncer dans les bois, le jour même ou le lendemain de leur arrivée, et se pendre tous aux lianes qui entrelacent les arbres.

La saisie de quinze ou vingt noirs suffit pour suspendre les travaux d'une sucrerie ou de toute autre culture importante, pour faire languir un capital de cent mille écus, pour rendre tout à-fait insolvable un colon très-intelligent et qui aurait souffert de l'intempérie des saisons. L'acquéreur qui aurait remplacé le propriétaire, ne pourrait pas remettre l'habitation dans toute sa valeur puisqu'on sait qu'il n'y a pas assez de numéraire dans les îles, et que, sans crédit, on ne trouvérá pas un seul acquéreur. Quel est le particulier, dans ce cas, qui osera former une entreprise un peu considérable, quand il verra sa ruine certaine, si la fortune et les élémens ne lui permettent pas, au jour marqué, de satisfaire à ses engagemens? que sera-ce, s'il n'est pas aussi versé que le colon dans la culture et dans les saisons des îles? La crainte de la misère et de l'opprobe arrêtera toutes les affaires.

Le commerce, en 1750, avait extorqué au

gouvernement la permission de saisir les nègres de culture pour raison de dettes. Les premières exécutions se firent sans succès; l'épouvante et la confusion se répandirent dans St.-Domingue. Le commerce qui avait sollicité cette odieuse loi de rigueur, se crút trop heureux de pouvoir en obtenir la révocation.

S'il est dangereux d'employer la violence pour obliger le colon à remplir ses engagemens, l'honneur sera un motif contre lequel il ne tiendra pas. Qu'on examine avec quelle exactitude un joueur ruiné paye dans les vingt-quatre heures ce qu'il doit à un créancier quelquefois suspect. La crainte d'être exclu de la société le ramène à l'amour de la justice. L'homme le plus intéressé veut jouir, et sans honneur on ne jouit pas.

Quand le colon sera convaincu que la facilité de ne pas payer lui devient onéreuse, qu'il ne pourra point trouver de crédit, à moins qu'il ne l'achète à un prix qui balance le risque de le lui prêter ; qu'il n'aura plus aucun moyen pour augmenter où conserver ses fonds; que sa situation sera semblable à celle des mineurs, qui ne font jamais que de mauvaises affaires avec des usuriers, accoutumés à se payer d'avance des dangers et des délais; et que les tribunaux de justice, guidés seulement par l'honneur, jugeront un debiteur infidèle, et tout habitant qui achetterait au-delà de ses revenus, avec les formalités qui consacrent toutes les lois, les noteront d'infamie, les décla

reront déchus des distinctions dont ils jouissaient, incapables d'exercer jamais aucune fonction publique, et ordonneront que le jugement soit affi ché dans toutes les villes de la colonie, et inséré dans les feuilles, publiques pour proclamer leur disgrâce jusques sur le continent d'Europe, on ne doit pas craindre que le colon se joue de cette loi; il n'y a point de jouissance pour un homme noté d'infamie.

Avant d'en venir à cette extrémité, la justice ne demanderait-elle pas que le prix des nègres, celui des marchandises des comestibles liquides ou sèches, fussent taxés à un prix équitable et moins onéreux; que les marchés avec l'habitant fussent payables trois mois après la récolte, et non pas à trois mois de vue; que les mortalités des nègres et des animaux, et les pertes prouvées avoir été occasionnées par certaines maladies, par les sécheresses, par les pluies, par les débordemens, par les insectes, par le feu et par les tremblemens de terre, ne fussent payables que trois mois après la récolte de l'année suivante ; et que les négocians qui vendraient des marchandises avariées, n'ayant ni le poids, ni la valeur intrinsèque, ni la qualité requise, ainsi que des nègres mal sains, infirmes, sujets à tomber du haut-mal, ayant la gale ou d'autres maladies repercutées, fussent condamnés à payer au gouvernement mille écus d'amende pour chaque infraction, outre la perte de leur marchandise ?

Que le Gouvernement, que les grands, que ceux qui occuperont les places les plus éminentes dans ce pays, donnent l'exemple de la justice qu'ils veulent qu'on pratique, et que l'honneur ne soit pas asservi, à la richesse, à l'intrigue, à la servitude! Si l'expérience ne réussissait pas, on pourrá alors traiter dans les îles françaises, les débiteurs qui se refuseraient au paiement de leurs dettes, comme ils sont traités dans les îles soumises àl'Angleterre et dans celles jadis à la Hollande.

19°. Comme la paix et le bonheur des habitans de St.-Domingue et des autres Antilles dépendent beaucoup des qualités et de la disposition du Gouverneur, qui est toujours choisi dans l'armée, le Gouvernement ne saurait être trop strict sur ce choix. Par une compassion mal entendue envers des hommes souvent sans mœurs, chargé de dettes et de vices, l'ancien Ministère sacrifia de sangfroid à des êtres quelquefois dignes des prisons, la tranquillité des cultivateurs, la sûreté des colonies, l'intérêt même de l'état, en les envoyant réparer ou cimenter leur fortune au-delà des mers, où leurs désordres n'étaient pas connus.

Après avoir marché trois ans sans guide, dans un pays nouveau, sur des plans informes de police et de lois, ces administrateurs étaient remplacés par d'autres, qui, dans un terme aussi court, n'avaient pas le tems de former des liens avec les peuples qu'ils devaient conduire, ni de mûrir assez leurs

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