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des Antilles, après avoir été convertie en un théâtre sanglant où se sont passés les actes les plus atroces et les plus révoltans, vient enfin d'être décidé. Puisse l'exemple du passé nous rendre plus prudens, plus sages, plus justes et plus généreux dans la manière d'en disposer, tant pour l'honneur de la nature humaine, que pour le repos du

humain!

genre

Réflexions sur le Projet d'attaque de St.-Domingue.

Qu'il me soit permis d'offrir ici quelques observations astronomiques et physiques que je crois d'une nécessité indispensable.

Le printems, en Europe, est l'époque à laquelle on entre en campagne; et c'est en général l'époque que le gouvernement choisit pour envoyer des troupes à Saint-Domingue. Cet envoi a lieu ordinairement huit jours après l'équinoxe de mars.

Cette époque est certainement la plus mauvaise qu'on puisse choisir, parce que la ville du Cap, qui est à 1450 lieues de France, se trouve située par les 19 dégrés 46 minutes de latitude nord. Les marins estiment qu'un convoi nombreux ne fait guères plus de 24 lieues en 24 heures. Cette traversée prend donc deux mois pour faire les 1450 lieues qu'il y a France au Cap français.

Les troupes en partant d'Europe, après l'équinoxe de mars, arrivent à Saint-Domingue vers les premiers jours de juin. Le soleil alors a envir on

ment des exhalaisons pestilentielles. Quant à la chaleur, la brise de mer pendant le jour tempère l'ardeur extrême d'un soleil perpendiculaire ; et le soir, le vent de terre refroidit l'air et rafraîchit les sens des habitans de ce climat brûlant. Ce qu'il y a de singulier et même d'incroyable, c'est que la brise de son centre, vers la mer, souffle à la fois sur tous les points du compas,

Par une bonté spéciale et toute particulière de la providence pour cette île, le soleil, après avoir fait un grand progrès vers le tropique du cancer, et être devenu en quelque façon perpendiculaire, attire à lui une masse de nuages qui empêchent le laboureur de ressentir l'ardeur des rayons directs de l'astre du jour. Ces nuages se dissolvent en pluie, rafraîchissent l'air et humectent le pays en mars, en juin, en juillet, en août, à la fin de septembre, et de tems à autre dans les mois de novembre et de décembre.

L'habitant de ces contrées contemple avec indifférence la fureur des élémens déchaînés; leur rage s'épuise inutilement pour le frustrer du fruit de ses peines et de son labeur. Les plaines du Cap, du Port-au-Prince, de l'Artibonite, des Cayes et de quelques autres endroits, sont susceptibles de produire plus de sucre que toutes les autres Antilles; et il n'existe pas une partie sur le globe, sans en excepter les grandes Indes, où l'on fasse fortune plus promptement qu'à Saint Domingue.

Le sort définitif de cette colonie, jadis la reine

des Antilles, après avoir été convertie en un théâtre sanglant où se sont passés les actes les plus atroces et les plus révoltans, vient enfin d'être décidé. Puisse l'exemple du passé nous rendre plus prudens, plus sages, plus justes et plus généreux dans la manière d'en disposer, tant pour l'honneur de la nature humaine, que pour le repos du genre

humain !

Réflexions sur le Projet d'attaque de St.-Domingue.

Qu'il me soit permis d'offrir ici quelques observations astronomiques et physiques que je crois d'une nécessité indispensable.

Le printems, en Europe, est l'époque à laquelle on entre en campagne; et c'est en général l'époque que le gouvernement choisit pour envoyer des troupes à Saint-Domingue. Cet envoi a lieu ordinairement huit jours après l'équinoxe de mars.

Cette époque est certainement la plus mauvaise qu'on puisse choisir, parce que la ville du Cap, qui est à 1450 lieues de France, se trouve située par les 19 dégrés 46 minutes de latitude nord. Les marins estiment qu'un convoi nombreux ne fait guères plus de 24 lieues en 24 heures. Cette traversée prend donc deux mois pour faire les 1450 lieues qu'il y a France au Cap français.

Les troupes en partant d'Europe, après l'équinoxe de mars, arrivent à Saint-Domingue vers les premiers jours de juin. Le soleil alors a environ

dix-huit degrés de déclinaison nord, laquelle augmente tous les jours jusqu'au 22 du même mois. Il résulte de la marche directe et rétrograde de cet astre, qu'il passe et repasse dans quinze à vingt jours, deux fois à plomb sur la tête des nouveaux débarqués. La transition subite du froid de l'hiver d'Europe, à une chaleur perpendiculaire, le séjour concentré des bâtimens, où les soldats ont respiré un air infect, bu de l'eau corrompue, et mangé des salaisons qui ont enflammé leur sang, occasionné le scorbut apparent ou non apparent, donnent le premier germe aux maladies qu'ils apportent avec eux à St.-Domingue, le séjour des villes et les excès de toute espèce auxquels ils se livrent, aggravent ces mêmes maladies, et souvent conduisent en peu de jours, ces hommes au tombeau.

Pour éviter les effets pernicieux du soleil, il conviendrait donc, d'expédier les troupes d'Europe dans le courant de juillet, c'est-à-dire, du premier au 10 juillet, parce qu'elles arriveraient à SaintDomingue vers le 10 septembre, sept ou huit jours avant l'équinoxe de ce mois. La température de l'île, à cette époque, peut être comparée à celle d'Europe lors du départ de l'armée. Le soleil en septembre est à la ligne, il continue sa déclinaison au sud, jusqu'au 22 décembre, et ne revient sur la colonie qu'en juin. Par ce moyen les nouveaux débarqués n'éprouveraient pas, subitement, les grandes chaleurs ci-dessus, qui sont si fatales aux Européens, et ils auraient huit mois pour s'ac

climater.

Chaque fois que le gouvernement a fait des envois de troupes à Saint-Domingue, il ne s'est point assez occupé de choisir les époques favorables et bien moins encore les moyens les plus sûrs et les plus profitables pour son intérêt, son crédit, son honneur et le succès de ses expéditions. Un esprit de parcimonie mal entendue lui a fait entasser des milliers d'individus dans un petit nombre de bâtimens, où ils ne peuvent pas se remuer. Ce systême pernicieux fait perdre aux troupes une grande partie de leur activité et de leur vigueur. Le soldat qui était accoutumé à respirer à terre un air pur, à être nourri de viandes fraîches, de légumes sains, de bon pain, à boire du vin, de l'eau fraîche, à prendre de l'exercice, à être couché commodément, blanchi et habillé régulièrement, se trouve tout d'un coup entassé dans des bâtimens, ayant à peine la place suffisante pour s'étendre dans les entreponts, où il est continuellement mouillé, ou froissé durant les manoeuvres, et sans aucune faculté de se changer, de se laver et de se tenir propre.

Ces inconvéniens sont accompagnés de bien d'autres non moins préjudiciables à sa santé. Il respire dans ces bâtimens un air infect, il y boit de l'eau corrompue, il y mange des biscuits souvent gâtés et des salaisons qui lui enflament le sang, et lui occasionnent le scorbut. Le gouvernement ne saurait trop se rappeler que le soldat est un

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