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plutôt maîtres d'une île qui avait huit lieues de long sur deux de large, qu'ils songèrent à s'établir sur Saint-Domingue. Une foule d'émigrés hollandais, que les Espagnols avaient forcé à s'émigrer de Sainte-Croix, vinrent se joindre à eux; les plus modérés se livrèrent à la culture du tabac, qui ne tarda pas à avoir de la réputation; les plus actifs allèrent chasser les bêtes sauvages à SaintDomingue, dont ils vendaient les peaux aux hollandais; les plus intrépides enfin, armèrent en et firent des actions d'une témérité éton

course,

nante.

La cour de Madrid ordonna au général des Galions de détruire cette nouvelle colonie. Le commandant espagnol pour exécuter plus sûrement sa commission, choisit l'instant où les plus braves habitans de la Tortue étaient à la mer ou à la chasse. Il massacra avec la barbarie qui était si familiére à sa nation, les femmes, les enfans, les vieillards et les infirmes qu'il trouva isolés dans leurs habitations, et se retira ensuite sans laisser de garnison.

Les boucaniers à leur retour du Port de Paix, qu'ils avaient établis et où ils se réfugiaient toutes les fois qu'ils abandonnaient la Tortue, jurèrent d'exterminer les Espagnols. Ayant appris qu'on venait de former à Saint-Domingue un corps de cinq-cent hommes pour les harceler, ils sacrifièrent l'indépendance individuelle, à la sûreté sociale, et mirent à leur tête un anglais nommé Willis, qui s'était distingué dans maintes occasions par sa

prudence et par sa valeur. Sur la fin de l'année 1638, ils s'emparèrent d'une île qu'ils avaient occupée huit ans. Pour ne plus la perdre, ils s'y fortifièrent.

Willis, après avoir attiré auprès de lui un nombre considérable de ses compatriotes, ne garda plus de ménagement envers les Français, qu'il traita en sujets. Le commandeur de Poinci, gouverneur général des îles du Vent, ne fut pas plutôt instruit de la tyrannie de Willis, qu'il fit partir sur-le-champ de Saint-Christophe, quarante français qui en prirent cinquante autres à la côte de Saint-Domingue. La partie ouest de cette île était alors habitée par des avanturiers sortis pour la majeure partie, de Normandie; d'autres français en 1630, s'étaient établis sur la côte septentrionale, où ils étaient inquiétés par les Espagnols et s'y défendaient avec courage. Ils débarquèrent à la Tortue, se joignirent aux habitans de leur nation, et forcèrent les Anglais à évacuer cette île, pour n'y plus revenir.

Les Espagnols réussirent par trois fois à s'en emparer, mais ils en furent chassés aussi souvent. En 1659 elle resta définitivement aux Français; ils la gardèrent jusqu'à ce qu'ils se virent assez solidement établis à Saint-Domingue, pour se dégoûter d'un si petit établissement.

En 1665, la France chargea un gentilhomme d'Anjou, nommé Bertrand Dogeron, qui avait servi quinze ans dans le régiment de la marine,

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et qui était établi à Saint- Domingue, d'en diriger ou plutôt d'en établir la colonie. L'estime et l'attachement qu'il avait inspiré aux français de Ces deux îles le déterminèrent à seconder les flibustiers en leur obtenant du Portugal, des commissions pour courir sur les Espagnols, même après qu'ils eurent fait la paix avec la France, à offrir sa bourse aux boucansiers qui voulaient former des habitations, et à donner-tous les encouragemens possibles aux cultivateurs qu'il chérissait par préférence à tous les autres colons.

Le sage gouverneur crut devoir cimenter le bonheur de ces hommes, et la prospérité de la colanie, par les doux plaisirs qui amènent la population. Il n'y avait pas une seule femme dans le nouvel établissement, la métropole lui en fit passer cinquante, que les colons achetèrent au poids de l'or, parce qu'on profita de leurs besoins pour augmenter les frais du transport. Quelques tems après, il en reçut un pareil nombre qui furent obtenues à des enchères encore plus fortes. Tous les habitans qui s'attendaient à voir arriver de leur patrie des compagnes pour adoucir et partager leur sort, furent cruellement trompés dans leurs espérances, on ne leur envoya plus que des filles de joie, qui s'engageaient pour trois ans au service des hommes. Cette manière de purger la métropole pour infecter la colonie, entraîna de si grands désordres, qu'on supprima un remède funeste sans subvenir aux besoins qu'il devait appaiser. Un

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grand nombre de braves gens abandonnèrent St.Domingue, ce départ retarda l'accroissement de population dont cette île avait besoin, et la colonie, jusqu'à ce jour, s'est ressentie d'une faute si majeure,

Dogeron avait pris un tel ascendant sur l'esprit des colons, qu'il parvint à assujétir au privilège d'une compagnie exclusive, formée en 1664, pour tous les établissemens français, des hommes qui étaient en possession de négocier librement avec toutes les nations. La prospérité aveugla cette compagnie au point qu'elle vendait ses marchandises deux tiers de plus qu'on ne les avait payées jusqu'à lors aux Hollandais. La colonie entière se révolta en 1570, contre un monopole aussi criant. Le généreux Dogeron par sa douceur et par ses bontés parvint à calmer les colons; en 1675; mort le surprit au milieu de ces soins paternels. Il eût pour successeur son neveu, M. de Pouancey qui mérita par sa conduite, la confiance des habitans. Ils gouvernèrent tous deux ce commencement de colonie, sans lois et sans soldats; leur esprit naturel et leur droiture reconnue, terminaient, à la satisfaction de tout le monde, les différends qui s'élevaient entre les particuliers; et leur mérite personnel eût assez d'influence, pour maintenir l'ordre public.

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Comme il fallait trop de vertu pour perpétuer une constitution aussi sage, le gouvernement, pour raffermir les liens qui commençaient à se re

lâcher, envoya deux administrateurs de la Martinique à Saint-Domingue. Ils formèrent des tribunaux de justice en différens quartiers, sous la revision d'un conseil supérieur qui fut érigé au petit Goave. Cette juridiction devenant trop étendue avec le tems, le gouvernement créa en 1702, un semblable tribunal au Cap français, pour la partie du nord. C'était autant de freins qu'on mettait à la licence des chasseurs et des corsaires qui formaient le gros de la population.

Au commerce des cuirs, fruit unique des courses des boucanniers, et qui étaient la première exportation de St.-Domingue, la culture y ajouta celle du tabac, qui trouva un débit avantageux chez toutes les nations. Une compagnie exclusive y mit des entraves; au lieu de la supprimer définitivement, on la convertit en ferme. Les habitans offrirent au Roi de lui donner, affranchi de tous frais, même de celui du fret, le quart de tout le tabac qu'ils enverraient dans la mère-patrie, à condition qu'il leur laisserait disposer librement des trois autres quarts. Des intérêts particuliers firent rejetter une proposition aussi raisonnable et qui aurait rapporté plus de revenu au fisc que les quarante sols pour cent qu'il retirait du fermier. Le colon n'opposa à cette dureté que la soummission la plus parfaite; il tourna son industrie et son activité vers la culture de l'indigo, du cacao et du coton. Le vil prix que le commerce accordait à cette dernière production, l'en dégoûta

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