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au point que quelques années après, on ne voyait pas un seul cotonier sur pied.

Jusqu'à cette époque, les engagés blancs, autrement dit les 36 mois, et les plus pauvres des habitans, avaient cultivé la terre de leurs propres mains. Sur ces entrefaites les flibustiers enlevèrent aux Espagnols une certaine quantité de nègres. Leur nombre s'accrut pár l'arrivée de deux ou trois bâtimens français venus de la côte d'Afrique, mais plus encore par les prises qu'on fit sur les Anglais durant la guerre de 1688, et par une descente à la Jamaïque, d'où l'on en enleva trois mille en 1694. Ces esclaves mirent les habitans aisés à même de se livrer à la culture des cannes à sucre.

Lé gouvernement voyant que la colonie française commençait à fleurir au nord et à l'ouest, tourna ses regards vers le sud qui a cinquante lieues de côtes. Afin d'accélérer les avantages qu'il áttendait du défrichement des vastes campagnes de cette partie, il accorda pour 30 ans, en 1698, la propriété de ce terrein immense, à une compagnie qui porta le nom de St.-Louis. Le monopole, l'avidité et la tyrannie des membres qui la composaient, les infidélités et les profusions de leurs agens, sont des preuves de fait ajoutées à cent autres, pour confirmer le vice et l'abus de ces sociétés particulières. Elle fut ruinée, sans que le territoire confié à ses soins profitât de tant de pertes. En 1720, elle remit ses droits au gouvernement; ce qui s'y trouva de culture, de population,

était pour la plus grande partie l'ouvrage des interlopes avec la Jamaïque, Curaçao et les possessions insulaires et continentales de l'Espagne.

La culture des cannes à sucre, du café, de l'indigo et d'autres productions, compensaient avec usure la perte de tous les cacaoyers que la colonie avait faite en 1715, lorque le système de Law sembla la menacer d'une subversion totale, en 1722. Saint-Domingue pour surcroit de malheur, vit arriver dans son sein les agens de la compagnie des Indes, qui avait obtenu le commerce exclusif des nègres, à la charge d'en fournir deux mille par an, ce qui était à peine le cinquième des esclaves dont cette colonie avait besoin. Le prix excessif qu'on en exigeait et l'insolence de ces commis révoltèrent les colons; l'ile retentit de toutes parts des cris séditieux et du bruit des armes. La compagnie fut chassée, le gouverneur-général pour avoir voulu s'opposer à cette juste indigna tion, fut lui-même arrêté. Le gouvernement eut heureusement la sagesse et la modération de céder à l'orage; après deux ans de confusion, la tranquillité se trouva rétablie sans les remèdes vielens de la rigueur.

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Depuis cette époque, Saint-Domingue a marché

pas

de géant vers la prospérité, qu'elle eut doublée sans les maux de la révolution et la prolongation de cette guerre. Malgré tout, cette île refleurira avec plus d'éclat que jamais, si le gouvernement seconde l'industrie, ranime le travail, fait

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disparaître toute contrainte sur l'exploitation et sur l'exportation des productions coloniales, s'il mitige la contrainte des lois agraires, qui est aggravée par le poids des corvées, s'il modifie la taxe qui est imposée par chaque tête de noir, celle triplée sur les habitans absens de la colonie, la capitation sur le noir mort après que le recensement a été fait; s'il annulle la saisie réelle des habitations et de leurs mobiliers, la contrainte personnelle pour forcer l'habitant à payer sans délai; les dettes contractées pour l'exploitation de ses terres, et finalement le partage égal d'une seule habitation entre plusieurs héritiers et cohéritiers. C'est à la condescendance et à la modération du gouvernement, à mettre fin aux inquiétudes des colons, en formant les milices de Saint-Domingue de manière à se concilier avec la police et la sûreté qu'elles doivent avoir pour objet, puisque l'autorité ne doit envisager que le bonheur de ses subordonnés, et qu'il est essentiel de remédier aux abus du pouvoir arbitraire, dans le gouvernement des îles.

Saint-Domingue était anciennement divisé entre la France et l'Espagne. Le gouvernement français, à la paix de Ryswick, obtint la cession formelle et finale de l'ouest, et d'une partie du nord et du sud de cette île:

Les limites de la partie française, en 1700, s'étendaient au nord jusqu'à la rivière d'Yaque; elles ont été insensiblement bornées, à la rivière

du Massacre; celles de la côte du sud, qu'on avait poussées jusqu'à la pointe du cap de la Béate, ont été resserrées avec le tems à l'Ance à Pitre, et celles de l'intérieur sont formées par les montagnes d'Ouanaminte, du Trou, de la GrandeRivière, de l'Artibonite et du Mirbalais. L'air est bon et sain dans les montagnes et dans les lieux un peu élevés. Le plus long jour d'été est d'environ treize heures, et le plus court de onze. Les saisons de Saint-Domingue se divisent en saisons sèches et pluvieuses. Tous les quadrupèdres y ont été transplantés, Les bêtes à cornes y sont de la plus grande beauté. Les cochons, les chèvres et les moutons, surtout ceux de l'espèce de Siam, s'y multiplient dans une proportion étonnante. Les chevaux créoles sont petits, bien faits, excellens coursiers; ils ne donnent aucune peine à nourrir; on ne les ferre jamais: les rivières, les montagnes, les rochers, la sécheresse et l'ardeur du soleil ne sauraient arrêter leur fougue et leur ardeur, Les volailles de toute espèce, les pigeons, les lapins pullulent à très-peu de frais. Les perdrix, les cailles, les ortolans, les tourterelles, les flamands, les pintades, les perroquets, les paons, les pluviers dorés, les poules d'eau, les cercelles, les bécasses, les bécassines, les canards sauvages et quantité d'autre gibier qu'il serait trop long de citer ici, dédommagent amplement le chasseur de la moindre de ses peines. On compte dans ce pays sept à huit espè

ces d'oiseaux, entre lesquels on distingue l'oiseaumouche et le colibri.

Les mœurs des créoles sont faciles plutôt que corrompues. Ils sont généreux, francs, hispitaliers, doux, patiens, et généralement bien faits. Les femmes joignent à ces avantages, ceux qu'on peut désirer dans leur sexe.

L'ile de Saint-Domingue a 160 lieues de long de 25 au dégré; sa largeur moyenne est à peu près de 30 lieues, et son circuit est de 350 ou de 600, en faisant le tour des ances. Elle est coupée dans toute sa longueur qui va de l'est à l'ouest, par une chaîne de montagnes couvertes des bois les plus précieux, qui s'élèvent en amphithéâtre et forment de très-belles perspectives. Plusieurs de ces montagnes sont remplies de mines d'or, d'argent, de fer, de cuivre, de tale, d'antimoine et de cristal, etc.; mais des mines plus fécondes encore et plus heureuses ont été ouvertes par la culture.

Les plaines à qui la nature a donné la fertilité pour appanage, sont abreuvées de rivières dont les eaux salutaires sont remplies de toute espèce de poissons. Les routes qui traversent ces plaines sont ornées de haies de citroniers, d'orangers, de limons, de campêches, d'acacias et d'autres bois odoriférans; elles sont rafraîchies par les vents alisés durant le jour, et par la brise de l'intérieur durant la nuit ; il semble qu'on y respire cette chaleur douce et voluptueuse. Ces plaines cependant

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