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ART. sactions. La loi n'a pu admettre de composition, elle a voulu rester absolue. On a rappelé les fléaux qui fondent quelquefois sur nos campagnes et nos cités. On n'a point fait remise de leurs dettes aux incendiés de Salins, a-t-on dit à une autre tribune: mais c'est que ces accidens funestes, ces désastres, heureusement peu fréquens, sont cependant dans le cours ordinaire des choses. Ils sont entrés dans la prévoyance du législateur. Il n'a pas cru que les avantages des exceptions, en faveur de ceux qui en auraient été les victimes, pussent balancer les inconvéniens qu'ils offriraient à la société considérée dans son ensemble. Remarquez, d'ailleurs, Messieurs, que, quelle que soit l'étendue de ces désastres, il est bien rare que la ruine complète du débiteur en soit le résultat. Le sol lui reste; ses parens, ses amis, ses concitoyens viennent à son secours. En est-il de même des colons? La terre même a manqué sous leurs pieds; tous ont été frappés du même coup, et depuis lors ils n'ont vécu que des secours précairement votés en leur faveur.

« Il est vrai que le législateur doit contempler d'un œil égal tous ceux qui, attendent ses décisions. Les intérêts des créanciers ont droit aussi à sa protection; mais n'est-il pas certain qu'il n'est certain qu'il n'est pas à présumer que celui qui prête emploie tous ses fonds dans un pareil placement; que le créancier, en perdant sa créance, ne perd, par conséquent, presque jamais tous ses moyens d'existence, tandis que, dans la catastrophe dont nous subissons les conséquences, le débiteur a incontestablement perdu la totalité de sa fortune?

« Il faut d'ailleurs examiner quelle est la nature, quels

sont les caractères particuliers des créances qui pèsent sur ART. les colons de Saint-Domingue.

«La plupart ont pour objet l'exploitation des sucreries de l'île. Des fonds ont été avancés, des nègres ont été vendus antérieurement aux troubles qui ont préludé à la destruction de la colonie. Les négocians qui avaient avancé les fonds ou vendu les nègres avaient pour gage l'habitation, spécialement ses revenus. C'est, pour ainsi dire, à l'habitation plutôt qu'au propriétaire qu'ils avaient prêté. L'habitation a été anéantie; le gage a disparu.

« Ces circonstances ne pouvaient manquer d'exciter la sollicitude du Gouvernement. Six fois, depuis 1802 jusqu'en 1818, ses actes, ou la loi elle-même, se sont occupés des créances qu'on a spécialement qualifiées de créances de Saint-Domingue. L'arrêté du 6 septembre 1802 (19 fructidor an 10) prononça « en faveur de tous « les débiteurs un sursis aux poursuites relatives au paie<<< ment des créances antérieures au 1 janvier 1792, << causées pour vente d'habitations et de nègres à Saint<«< Domingue, ainsi que pour avances faites à la culture « dans cette colonie. >>

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« Ce sursis a été successivement et régulièrement renouvelé jusqu'en 1820 d'abord par un décret du 20 juin 1807, et depuis la restauration, par les lois du 2 décembre 1814, du 21 février 1816, et du 15 avril 1818.

« Les créances, ainsi spécifiées, n'ont-elles pas été placées, par ces dispositions extraordinaires, hors du droit commun? et ne serions-nous pas autorisés à regarder, sous ce rapport, la chose comme déjà jugée ?

«Il y a plus: la loi du 2 décembre 1814 et celle du 21 février 1816 portent que le ministre de la marine re

ART. délais sont les mêmes que ceux qui ont été fixés pour les réclamations relatives à l'indemnité des émigrés.

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5.

<«< Si nous nous occupons, maintenant, de la liquidation nécessaire pour la répartition de l'indemnité, nous reconnaîtrons promptement que cette opération ne saurait être faite que par une commission spéciale. On avait pensé qu'elle pourrait être confiée aux conseils de préfecture; mais un moment de réflexion suffit pour apercevoir qu'il n'y a aucune analogie entre la liquidation qui doit fixer l'indemnité des colons, et la liquidation qui doit fixer celle des émigrés. Pour celle-ci, il s'agit de déterminer la valeur des biens situés dans le département même dont le conseil est appelé à donner son avis, ¿d'après des actes de l'administration passés et conservés sur les lieux. Pour celle-là, au contraire, il s'agit de déterminer la valeur de biens situés dans un autre hémisphère, sans qu'aucune base légale puisse être assignée. Les conseils de préfecture manqueraient de moyens de s'éclairer; ils manqueraient de termes de comparaison; ils ne pourraient par conséquent se former aucune jurisprudence, et l'on verrait adopter autant de modes de liquidation qu'il y aurait de conseils. Il était donc nécessaire de concentrer l'opération dans la capitale, à portée de tous les renseignemens que contiennent les archives des ministères. Une commission spéciale sera, à cet effet, nominée par le roi; elle sera divisée en trois sections, qui prononceront séparément.

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« Il fallait prévoir le cas où les parties intéressées contesteraient la décision rendue, et ne pas les priver du second jugement, de l'appel dont nos lois, soit dans les matières judiciaires, soit dans les matières administrati

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ves, garantissent à tous la salutaire ressource; mais il ART. n'est pas besoin de vous faire remarquer qu'il s'agit ici d'une matière toute particulière : ce ne sont point les lois et ordonnances du royaume qu'on doit appliquer; la commission prononcera en quelque sorte comme un grand jury d'équité. C'est donc en elle-même qu'on a dû chercher les moyens de rectifier une décision surprise ou erronée. Aussi, le recours au Conseil d'État est-il sagement remplacé par celui qu'on formera devant les deux sections qui n'auront point concouru à la décision attaquée : les deux sections réunies statueront définitivement.

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<«<< Un commissaire du roi sera établi, auprès de la commission, pour requérir le renvoi, devant les tribunaux, des questions d'état ou de propriété qui s'élèveraient; il sera chargé de proposer sur la valeur des immeubles, et sur la quotité des indemnité réclamées, les réquisitions qu'il jugera utiles aux intérêts de la masse, et d'interjeter appel des décisions rendues par une des sections, devant les deux autres sections, comme nous venons de l'expliquer.

« La création de ce commissaire était peut-être une simple mesure d'administration dont il n'aurait pas été nécessaire de faire l'objet d'un article du projet de loi; mais cette création nous paraît utile, et puisqu'elle vous est soumise, nous devons vous proposer de l'approuver. Nous ferons seulement observer à vos Seigneuries que l'article qui la concerne serait mieux placé immédiatement auprès de l'article qui institue la commission dont ce magistrat sera partie intégrante, ou le complément. L'article 7 deviendrait alors l'article 6, et l'article 6 du pro→ jet prendrait le n° 7.

6.

7.

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ART. « Ce dernier article porte que la cómmission statuera sur les réclamations, d'après les actes et documens qui seront produits devant elle. Il l'autorise à employer même la voie d'enquête.

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<< On aurait desiré pouvoir donner à la liquidation.une règle fixe et déterminée, ainsi que cela a eu lieu pour l'indemnité allouée aux émigrés; mais, comme nous l'avons déjà indiqué, il n'était pas possible d'établir une similitude. La spoliation des émigrés a été consommée par des actes réguliers qui ont établi ou fourni des bases pour l'évaluation de leurs biens. Si ces bases, appliquées à la liquidation de l'indemnité, ont l'inconvénient de blesser souvent l'équité, du moins elles ont l'immense avantage d'exclure l'arbitraire, et de permettre à chacun de vérifier lui-même la liquidation qui le concerne. A SaintDomingue, au contraire, la spoliation des colons, consommée successivement au milieu du carnage et des flammes, n'a été accompagnée d'aucun acte qui ait attribué une valeur à leur propriété. Il faut, après trente années, chercher à reconnaître celle qu'elles avaient quand ils en furent dépossédés. La commission préparatoire a cherché à fixer des règles d'évaluation. Ce seront d'utiles jalons pour guider la marche de la commission de liquidation; mais ces règles ne partant point d'un acte authentique, comment pourrait-on les opposer aux titres primitifs que les réclamans auraient à présenter ? Le projet de loi a donc déféré à la commission le soin de fixer la valeur des inmeubles, d'où doit résulter la répartition de l'indemnité. Il statue seulement que ces immeubles seront appréciés d'après la valeur commune des proprié tés dans la colonie en 1789.

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