Page images
PDF
EPUB

tés avec l'indemnité. La chose est de toute justice et n'est pas contestable. Ainsi les créanciers qui, depuis 1792, ont fait soit à Saint-Domingue, soit pour Saint-Domingue des transactions de tout genre, et le nombre en est fort grand, viendront en concours et souvent par contribution avec les créanciers antérieurs. Ceux-ci n'ont pas le droit de se plaindre, leur titre les a exposés à ce danger.

Si les contractans postérieurs à 1792 ont droit à l'indemnité, c'est à cause des règles qui veulent que tout l'actif du débiteur, quels qu'en soient la cause et l'origine, soit soumis aux créanciers. Mais pourquoi ces règles ne s'appliqueraient-elles pas aux créanciers antérieurs pour l'actif acquis ou survenu au débiteur depuis le contrat? La convention et la loi leur ont affecté les biens présens et avenir; de l'ancien contrat dérive, comme du contrat postérieur à 1792, l'action réelle et personnelle. On fait entrer les postérieurs, sans les réduire, en partage des biens sur lesquels on dit qu'ils n'ont pas compté, et on refuse aux antérieurs le recours à des biens, à un actif sur lequel ils ont compté.

1

On se trompe en disant que l'amendement donne aussi au créancier le dixième de sa créance. La justice oblige à reconnaître que le vendeur d'une habitation a un privilège qui exclura souvent les autres créanciers. Mais alors comment ceux-ci auront-ils leur dixième? sera-t-il mieux alloué aux créanciers qui seront réduits à venir à contribution au marc le franc? Le colon propriétaire du sol est préservé par la disposition qui réduit la saisiearrêt au dixième. Mais les créanciers du saisissant, du colon vendeur de l'habitation, par exemple, peuvent saisir toute sa part en conservant en outre toutes les

actions sur les autres biens meubles et immeubles. Il n'y a pas là de transaction: ce n'est pas la justice de la commission qu'il faut accuser, mais l'impossibilité d'une transaction que la loi n'a pas le droit de faire.

Il y a bien d'autres embarras : l'amendement réduit au dixième le capital des créances antérieures à 1792, ayant pour cause des ventes d'habitations, de maisons, de nègres, d'avances à la culture; et afin de rendre complète la nomenclature des créanciers, il ajoute les dons et legs. Mais ces deux monosyllabes ne la complètent pas. Il Ꭹ a bien d'autres causes de créances telles que les simples prêts, les partages, les comptes de tutelle, de gestion, les ventes de récolte, etc., etc.; qu'entend statuer l'amendement pour ces créances qui ont d'autres causes? L'amendement statue que les transactions passées relativement aux créances ci-dessus mentionnées sortiront leur effet; mais, par ces mots, il exclut les transactions sur les créances non mentionnées: est-ce l'intention de la commission? cela est-il juste? Elle réduit les dons et legs parce qu'ils ont pu être faits en 1791; mais sa réduction porte aussi sur les legs faits en 1781 et avant. Cependant l'héritier, en jouissant dix ans et plus sans payer, comme l'acquéreur d'une habitation, en percevant pendant dix ans et plus les revenus d'une habitation, se sont fait, en dix ans, un capital égal à la valeur de l'héritage ou de l'habitation vendue, sans que le légataire ou le vendeur aient rien reçu, leur créance sera pourtant réduite, et ils seront, eux, exposés à toutes les actions de leurs propres créanciers! Par l'amendement il y aura bien des classes de créanciers. Les postérieurs à 1792; et parmi les antérieurs, on en distinguera deux

selon les causes de la dette; puis ceux qui ont transigé; puis entre les transactions selon que la cause est ou n'est pas mentionnée dans l'amendement. Que statuer ensuite sur les créanciers qui, depuis la levée du sursis, ont touché plus du dixième de la créance qu'on réduit à ce taux ?

Les embarras où jetterait l'amendement en empêchent l'admission. Les considérations sur lesquelles ils se fondent s'étendent aux créanciers; il y a du danger pour la société à partager les débiteurs et les créanciers en deux classes ennemies, les propriétés mobilières sont aussi légales que les immobilières. Les créanciers sont colons aussi; et quand ils n'ont eu que des valeurs mobilières, ils sont exclus de l'indemnité, comme ils l'ont été même des secours. Rien n'est alloué pour l'immense valeur de leurs marchandises de tout genre qui ont péri dans leurs magasins, pour la multitude de leurs noirs, parce qu'ils n'étaient pas attachés au sol. Il y a plus de titres de créances perdus que de titres de propriété d'habitation. Pour la plupart des créanciers, pas d'archives publiques en France, pas d'enquête pour eux en cas de perte; ils n'ont pas été, ils ne sont pas préservés des poursuites de leurs propres créanciers. C'est un malheur, la loi n'y peut rien; ils ont subi les conséquences de leur espèce de propriété. Mais c'est au moins une raison de ne pas réduire leur créance et leur action, pour faire passer l'indemnité dont souvent on leur doit la cause,à des collatéraux éloignés des colons. Il n'est pas juste que la caution du colon qui a été poursuivie, dépouillée de son héritage, voie sa créance réduite quand elle exercera son recours. Il serait injuste que des colons créanciers de négocians en eussent

fait exproprier les familles déjà accablées par les fléaux de la révolution, et que ces négocians dépouillés par les uns, vissent réduire les titres de créance qui leur restent contre d'autres colons.

On s'expose à mille injustices imprévues en altérant les contrats faits sous la garantie des lois. Il faut ou les respecter tous, ou s'ériger en juges pour statuer sur toutes les hypothèses. C'est à ce dernier résultat que la chambre serait conduite si elle entrait dans les voies de la commission; et pour juger, elle devrait examiner les titres, peser les circonstances, entendre les créanciers. Ceux-ci, après une longue suspension de leurs droits, ont été rendus au droit commun depuis six ans ; la commission préparatoire, le Gouvernement, le projet de loi, l'adoption de l'autre chambre les avaient rassurés, ils ont gardé le silence. Tout-à-coup, au dernier période de la loi, un amendement inattendu vient les surprendre. Il serait au moins impossible d'annuler des droits si souvent reconnus, sans de plus grands renseignemens.

Il est desirable sans doute que des transactions interviennent entre les débiteurs et les créanciers, c'était le motif des sursis. Le projet de loi en facilite les moyens. En réduisant la saisie-arrêt du créancier, il respecte son titre et lui laisse ses actions; en même temps il donne au débiteur la disposition de la part non saisie, s'en remettant à sa morale particulière sur l'usage qu'il en fera en valeurs saisissables ou non. C'est au débiteur lui même que le projet laisse à fixer la quotité de sa provision insaisissable, et l'emploi des fonds dont la destination naturelle sera de transiger. L'autorité législative ne peut aller

[ocr errors]

jusqu'à détruire les contrats; si elle en a le pouvòir, elle n'en a pas le droit. »

M. LE MINISTRE DES FINANCES croit qu'il est de son devoir de combattre une disposition que le gouvernement n'a trouvé ni juste ni dans le domaine du pouvoir législatif et que par ces raisons, il s'est abstenu d'insérer dans le projet de loi.

En repoussant une disposition que l'on présente comme devant établir entre les colons et leurs créanciers une égalité proportionnelle, le ministre ne désavouera pas cependant des paroles que l'on a citées à l'appui d'une opinion contraire. Il a dit et il pense encore qu'il est une juste proportion à observer entre les droits du créancier et les ressources du débiteur. Mais il croit aussi que le projet de loi fait à cet égard tout ce qui était possible, en n'autorisant la saisie-arrêt que pour le dixième des créances. On soutient cependant que le projet favorise les créanciers au préjudice des colons; qu'il invoque contre ces derniers le droit politique pour les déposséder, tandis qu'il place les autres à l'abri du droit commun, pour leur conserver l'intégralité de leur droit. Ce reproche, qui se reproduit à chaque instant et sous mille formes diverses, repose sur, une erreur palpable. Ce n'est pas, quoi qu'on en dise, l'acte du 17 avril et la loi qui en est la suite, qui dépossède les colons; la dépossession est consommée depuis long-temps, et l'ordonnance sauve au contraire pour les colons tout ce qu'il était possible de sauver. Peut-être même l'indemnité stipulée excède-t-elle les ressources de ceux qui se sont engagés à la payer. Comment donc arrive-t-il que les colons eux-mêmes fassent entendre des plaintes amères contre un acte qui a tant fait pour eux?

« PreviousContinue »