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<< Tout colon qui, abandonnant le bénéfice de la présente loi, consentira au délaissement de la totalité de la portion de l'indemnité à lui afférente, à ses créanciers porteurs de titres antérieurs à 1792, sera quitte et valablement libéré envers eux, sauf aux créanciers à se la partager conformément aux lois. »

LA COMMISSION Soumet à la chambre, par l'organe de M. son rapporteur, le résultat du travail auquel elle a dû se livrer, relativement aux trois amendemens en discussion.

M. PARDESSUS. « Messieurs, il était impossible, en s'occupant de fixer quelques règles sur la répartition de l'indemnité destinée aux colons de Saint-Domingue, de ne pas prévoir le cas où les créanciers voudraient exercer des saisies-arrêts sur cette indemnité.

Aussi, la commission nommée par l'ordonnance du 1 septembre en a fait l'objet d'une partie de son travail : le ministère vous a présenté un article à ce sujet ; votre commission combinant les idées de l'un et de l'autre, a proposé une rédaction nouvelle de cet article.

Trois systèmes s e ésentent :

Déclarer l'indemnité totalement insaisissable; laisser aux créanciers la faculté de la saisir en totalité, ce qui est le droit commun; admettre la saisie-arrêt dans une proportion égale entre le capital de la créance et l'objet perdu par le débiteur: c'est ce que nous vous avons proposé.

Pourriez-vous adopter le premier système, et la justice vous permettra-t-elle de n'avoir égard qu'à la position des débiteurs, sans vous occuper de celle des créanciers? A la manière dont on parle quelquefois dans le

monde, car ici tous les droits sont appréciés et défendus, on dirait que l'exercice des droits des créanciers est une sorte de vol fait à la misère des débiteurs; et pour appliquer cette réflexion plus particulièrement à l'objet qui nous occupe, on dirait que les colons seuls ont été malheureux, et qu'aucune perte n'a atteint leurs créanciers. Encore bien que cette considération si elle était vraie, ne fût pas décisive, le respect pour la vérité nous oblige à vous faire remarquer que souvent la position des créanciers a été aussi malheureuse que celle des débiteurs, quelquefois même elle l'a été davantage. Ils n'ont pas été plus que les colons à l'abri des désastres de la révolution : des pillages, que dans la loi du 27 avril 1825, vous n'avez pas cru possible de réparer, ne les ont pas épargnés en France: il ne les ont pas épargnés aussi à Saint-Domingue; et en réduisant l'indemnité aux biens-fonds, vous ne leur laissez aucune espérance. Combien n'y en a-t-il pas, dont la faillite et la ruine entière ont été le résultat des calamités survenues à leurs débiteurs, qui, du moins, vont recevoir quelque chose!

Privés de la faculté de se faire payer, soit parce que les poursuites n'auraient causé que des frais en pure perte, soit parce que les lois ont suspendu l'exricice de ces mêmes poursuites, les créanciers n'ont pas eu la consolation de toucher une partie des secours que l'Etat accorde aux colons, et tel a été très souvent l'inévitable résultat des choses, que de deux colons dont l'un avait vendu à l'autre une habitation de 1,000,000 fr., l'acquéreur qui n'avait pas payé un centime au vendeur, étoit admis aux secours comme propriétaire dépouillé, tandis que

le vendeur, dont toute la fortune consistait dans sa créance, qui n'était plus et ne pouvait se dire propriétaire dans la colonie, était repoussé; que ce vendeur à qui les lois interdisaient les poursuites contre le débiteur, était exposé à celles de ses propres créanciers.

Aujourd'hui que les colons reçoivent une indemnité, faible sans doute si on la compare à leurs pertes, mais évidemment égale à ce que la conquête leur aurait rendu, une indemnité inespérée, nous ne craignons pas de pro→ noncer ce mot, où serait la justice de rendre le sort des créanciers plus dur qu'il ne l'était, lorsque l'espoir de cette indemnité n'existait pas; d'anéantir leurs droits ultérieurs, que les lois de sursis ont laissé subsister? car, par cela seul qu'on accordait des sursis, on reconnaissait que les droits existaient.

Un état de choses si contraire à la loi civile et à l'équité naturelte ne pouvait subsister indéfiniment. Les lois ont cessé d'accorder des sursis.

Une indemnité est offerte au débiteur; était-il juste de ne pas permettre au créancier d'y prendre quelque part?

Si nous interrogeons les législations: partout il est écrit que les créanciers ont droit sur tous les biens de leur débiteur, avant lui-même; un débiteur ne pouvant être considéré comme vraiment propriétaire de ce qui lui reste, déduction faite de ses dettes, peut venir en concurrence avec son créancier.

Les droits du créancier sont immuables, tandis que la fortune du débiteur est susceptible d'accroissemens ou de diminutions suivant la chance d'évènemens; et de même que si j'ai prété à un homme 100,000 francs, lorsque sa

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fortune consistait seulement en un capital de 200,000, je n'aurai pas le droit de lui demander le double, si, à l'échéance, et le plus souvent même avec le secours de l'argent que je lui ai prêté, il a doublé sa fortune; de même si, à cette échéance, mon débiteur n'a plus que 100,000 fr., j'ai le droit d'absorber, par ma créance, tout ce qui lui

reste.

La conséquence rigoureuse de ces principes aurait conduit, nous en convenons, à laisser aux créanciers le droit de saisir l'indemnité pour la totalité de leurs créances si, à côté de cette règle, la plupart des législations n'avaient placé, pour en adoucir la sévérité, une concession d'alimens en faveur du débiteur.

L'ancienne législation française qui a toujours, à cet égard, présenté un grand caractère d'humanité, voulait que si la totalité des biens d'un débiteur était saisie par ses créanciers, les tribunaux lui accordassent, sur les revenus, des secours alimentaires jusqu'au moment où la distribution du prix était terminée. Mais cette faveur qui n'a pas même été conservée par nos codes, n'était que temporaire, elle était personnelle; les enfans n'obtenaient point de secours alimentaires sur la succession de leur père grevée de dettes supérieures à son actif. **

Néanmoins, Messieurs, quoiqu'on puisse douter que l'humanité commande, en faveur du débiteur, quelque chose de plus qu'une portion des fruits, avec réserve du capital entier aux créanciers, le ministère et votre commission vous proposent de lui accorder une part dans le

* Edit du mois d'août, 1669, titre XVI, art. 8.

** Frain et Hevin, t. 1. p. 136 et 1337.

capital. Cette ressource échappera, nous en convenons, à celui dont les créanciers, par l'exercice du dixième de chaque créance, absorberont l'indemnité; mais c'est que,' dans la réalité, ce débiteur n'avait rien, puisqu'il devait plus qu'il ne possédait.

Le projet va plus loin, et quoique rien ne semble excuser une extension de la mesure à des collatéraux, à des légataires, à des donataires, il ne les en excepte pas! et c'est dans une telle position qu'on l'accuse d'injustice et de barbarie !

Nous serions presque tentés de croire qu'il a besoin d'être justifié aux yeux des créanciers; et nous eussions été moins surpris d'objections et de critiques faites dans leur intérêt, que de celles qu'on a faites dans celui des débiteurs.

Cependant il paraît que les créanciers eux-mêmes, dont un grand nombre nous a adressé des observations, que ceux d'entre vous qui sont plus spécialement habitués à peser les intérêts respectifs, ont trouvé raisonnable la proportion qu'on vous propose d'établir. Vous avez jugé qu'il n'était pas juste d'aller au-delà de cette concession commandée par les circonstances, et vous avez rejeté tous les amendemens qui tendaient à éteindre, au moyen du paiement du dixième, le reste des droits du créancier.

Mais on demande que ce qui restera de l'indemnité, après que les créanciers auront touché le dixième de leurs créances, ne puisse plus être saisi, quei que soit l'emploi qu'en fera le débiteur !

Votre commission aurait eu des reproches à se faire si,

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