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dère que le fonds destiné aux colons ne peut, ni d'après le droit, ni d'après l'esprit de l'ordonnance du 17 avril, être accordé aux Haïtiens, puisque la révolution de SaintDomingue ne les a pas dépouillés; que les déshérences seront nombreuses après les immenses malheurs de la colonie; que l'État n'hésitera pas sans doute à renoncer aux expectatives du fisc, et même à sa part, pour les propriétés coloniales, il est évident que les colons recevront au-delà du dixième de la valeur capitale de leurs propriétés perdues.

§ II.

Ces premières données, dont la commission a de plus en plus reconnu l'utilité dans le cours de son travail, étant une fois convenues, elle a dû s'occuper des moyens qui devaient être offerts aux réclamans pour justifier de la valeur des propriétés perdues.

Le plus simple, celui qui se présente le plus naturellement, est la représentation des états de produits, mais les tableaux officiels de 1788 et 1789, qui ont aidé la commission dans la recherche du produit général, n'offrent rien qu'on puisse appliquer aux positions individuelles. Les états de produits ne peuvent donc être présentés que par les particuliers qui ont été assez heureux pour les conserver.

Ici se présentaient plusieurs difficultés. Lorsque les comptes, en indiquant les produits annuels par quantité de matières, feront connaître ce qu'ils ont rendu en argent, s'en tiendra-t-on à ces résultats? Déterminera-t-on au contraire la somme qui doit être accordée en raison de telle quantité de denrées, et pour faire cette détermination, quel prix attribuera-t-on à chaque espèce de denrées?

La commission, à mesure qu'elle a discuté la première question, s'est convaincue qu'on ne pouvait prendre pour

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base des liquidations individuelles, les résultats énoncés aux comptes qui seront représentés.

D'abord la nécessité, pour connaître le revenu net, de faire un réglement spécial avec chaque réclamant, d'après ses états en recettes et en dépenses, exigerait un travail qui rendrait la liquidation interminable.

La forme des comptes envoyés par les gérans à leurs commettans, rendrait d'ailleurs ces calculs impossibles.

La commission en a conclu qu'il fallait fixer, pour tous ceux qui se trouvent dans cette position, un prix commun de chaque espèce de denrées. Il se trouve naturellement déterminé par celui qu'elle a déjà adopté pour arriver à connaître l'ensemble de la valeur des produits totaux de la colonie. Il a l'avantage incontestable d'appliquer à chaque partie du tout, la règle qui a servi pour l'évaluation de ce même tout.

Il était nécessaire de décider si la justification du revenu d'une seule année suffirait pour faire présumer que toutes étaient semblables, et par conséquent pour donner le droit d'obtenir l'application des évaluations proposées.

La position des colons interdit toute disposition trop rigoureuse. Celui qui n'a pu conserver qu'un seul état de ses produits, ne doit pas être privé de ce mode de réclamation. La justice due à la masse, ne permet pas aussi de la laisser sans garantie; un seul a paru admissible, c'est de donner le droit à la commission de liquidation, lorsqu'il lui paraîtra que l'année dont un réclamant justifie les produits, a été une époque d'abondance extraordinaire, de prononcer une réduction qui ne pourra toutefois être plus forte qu'un cinquième.

§ III.

Un grand nombre de colons ne pourront parvenir à

fournir des états de produits de leurs propriétés ; mais il s'en trouvera beaucoup qui, à l'aide de contrats de vente, d'inventaires, de partages, des recensemens que l'administration faisait dresser, ou même des comptes de leurs gérans, pourront prouver le nombre d'esclaves existant sur leurs habitations.

Est-il possible d'arriver, par le nombre d'esclaves dont une habitation était composée, à reconnaître, au moins à présumer quel en était le produit, afin d'appliquer ensuite à ce produit présumé les évaluations fixées pour les produits prouvés ?

La difficulté de la question égale son importance; la commission n'a rien négligé pour la résoudre.

Elle a examiné si l'on devait attribuer à tous les esclaves, sans distinction des cultures auxquelles ils étaient attachés, un prix de revenu égal.

Cette idée était séduisante par sa simplicité et la facilité d'exécution; elle a même été défendue par la considération que les esclaves avaient une valeur à-peu-près uniforme dans la colonie ; qu'en général, les uns ne travaillaient pas plus que les autres. (1)

On

peut admettre

469 et 470,000.

que

le nombre des esclaves était entre

En supposant que 58,000 étaient appliqués à des travaux d'industrie étrangers à la culture, et 10,000 aux guildiveries, tanneries, fours à chaux, briqueteries, hattes et places à vivres, indépendantes d'habitations, les esclaves attachés

(1) La commission, après avoir démontré que la fixation d'un prix égal par tête d'esclaves serait injuste dans ses résultats, estime qu'il faut déterminer, d'après des données communes et des probabilités, ce qu'un esclave produisait dans chaque genre de culture. Not. des Edit.

à des habitations ou immeubles productifs, auraient été de 402,000.

Mais comment ces 402,000 esclaves étaient-ils répartis entre les diverses cultures? (La commission reconnaît qu'elle n'a aucun document précis et officiel à cet égard.) Dans cette position, elle a dû se livrer aux conjectures, en s'éclairant de quelques renseignemens isolés qui n'ont pas été sans utilité.

Elle croit qu'on peut, avec assez de vraisemblance`, admettre les présomptions suivantes : 1o Que 142,823 esclaves étaient employés aux sucreries; 2° 154,154 esclaves employés aux caféières; 3° 33,333 esclaves employés dans les cotonneries; 4o 70,000 esclaves dans les indigoteries, 5o 1,015 esclaves dans les cacaoteries.

L'appréciation du produit par tête d'esclave donnerait donc le résultat suivant:

Par esclave sur une sucrerie en blanc, et en ayant égard non-seulement a la valeur du sucre, mais à celle du sirop, qui était une partie des produits des sucreries, 415 f.

Par esclave sur une sucrerie en brut, en ayant aussi égard au sirop, 400 fr.

Par esclave de caféière, 325 fr.
Par esclave de cotonnerie, 288 fr.
Par esclave d'indigoterie, 288 fr.
Par esclave de cacaoterie, 286 fr.

Par esclave de hattes, ou places de vivres indépendantes d'habitations, de guildiveries, tanneries, briqueteries, fours à chaux250 fr.

§ IV.

La commission a reconnu néanmoins qu'en établissant

une présomption de revenu par le nombre des esclaves attachés à la culture, elle exposait à une lésion les propriétaires dont les habitations produisaient, à nombre égal d'esclaves, une plus grande quantité de denrées que d'autres.

Cette considération est presque nulle, dans tous les cas où le produit prouvé servira de base; car, qu'importe que ce produit soit créé par un nombre d'esclaves plus ou moins considérable? La position change, au contraire, lorsque le nombre d'esclaves sert à présumer la quantité du produit.

La commission a pensé qu'on pouvait remédier à cet inconvénient par une graduation de classes, faite d'après les diverses circonstances accidentelles qui viennent d'être indiquées; elle propose en conséquence la classification ainsi qu'il suit. (1)

S V.

Il s'agit maintenant de s'occuper du sort de ceux qui ne présenteront ni la preuve du produit de leurs propriétés, ni la justification du nombre des esclaves, à l'aide duquel ce produit puisse être présumé.

La commission ne saurait trop le répéter, les désastres de Saint-Domingue sont si anciens, qu'un grand nombre de colons, les héritiers surtout, ne trouveront d'autres documens que les copies des titres de propriété, dont heureusement les minutes existent au dépôt de la marine.

Il arrivera quelquefois que ces titres exprimeront le nombre d'esclaves attaché à la culture de la propriété. Il est naturel de leur appliquer les bases qui viennent d'être

(1) Nous ne transcrirons point ici ce tableau, pour éviter une répétition inutile; il trouvera sa place dans la série des articles présentant le résumé du travail de la commission, et qui termineront notre analyse. (Note des Editeurs.)

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