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RAPPORT

DE LA COMMISSION.

MESSIEURS

La commission nommée pour examiner le projet de loi relatif à la répartition de l'indemnité destinée aux anciens colons, m'a chargé de vous présenter le résultat de son travail.

Les désastres de Saint-Domingue ne sont que trop connus ; l'histoire en transmettra le récit à la postérité, et la postérité épouvantée doutera de la véracité de l'histoire.

Privée de cette colonie, par les suites d'une révolution que d'indignes Français avaient préparée avec tant de perfidie, et qu'ils firent éclater avec tant de fureur, la France semblait ignorer que Saint-Domingue lui eùt jamais appartenu; ou plutôt elle ne s'en souvenait que pour ́pleurer des victimes et pour voter quelques secours en faveur des malheureux colons.

Après avoir été à leur tour déchirés par leurs propres dissensions, les habitans actuels offraient depuis quelques années le spectacle d'une association régie par des førmes

CHAMBRE

DES.

DÉPUTÉS.

M. Pardessus

protectrices et régulières, mais sans existence politique; et les Français, que leurs spéculations commerciales conduisaient dans une île si long-temps appelée la reine des Antilles, et la plus belle colonie de la France, étaient réduits à dissimuler, en quelque sorte, leur qualité, et à cacher un pavillon que partout ils montrent avec orgueil.

Il était de la sagesse du roi de rechercher les moyens de mettre fin à un état de choses dont les dangers n'étaient pas moins grands sous les rapports politiques que le dommage sous le rapport des intérêts privés. S. M. ne pouvait ni oublier que les habitans de Saint-Domingue étaient ses sujets, ni se dissimuler que dans la situation où ils se trouvaient, notamment depuis qu'une tentative infructueuse avait été faite en 1802, ce n'était pas par de simples négociations qu'on pouvait les ramener à la soumission envers la métropole. Elle devait apprécier aussi l'utilité ultérieure d'une réduction à main armée. Après avoir balancé tant de considérations importantes, elle a rendu l'ordonnance du 17 avril 1825.

Cette ordonnance n'a été et n'a pu être ce que, dans le language usuel de la diplomatie, on appelle un traité. Un traité n'a lieu que d'égal à égal, c'est-à-dire, entre deux gouvernemens étrangers l'un à l'autre, indépendans l'un de l'autre.

Telle n'était point la situation respective de la France et de Saint-Domingue avant que l'ordonnance du 17 avril 1825 eût été portée, par ordre du roi, dans cette île.

La souveraineté de la France existait incontestée au moment où commencèrent les insurrections de 1791, au moment où les insurgés se déclarèrent indépendans. De

I puis cette dernière époque, cette même souveraineté a continué d'être reconnue par toutes les nations; les divers traités par lesquels le roi a réglé nos rapports politiques, l'attestent.

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Or, une province, une colonie qui a été sous la domination d'un souverain, ne peut cesser de lui appartenir sans son consentement. Tant que ce consentement n'est pas intervenu, le titre de souverain subsiste dans l'un, la qualité de sujet reste à l'autre.

Lorsque par l'effet de ces grandes catastrophes dont le récit remplit les pages de l'histoire, une fraction d'un État s'en sépare violemment, de quelque forme que soit revêtu l'acte qui proclame cette indépendance, il est sans force à l'égard du souverain véritable; et lors même que le sort des armes ou la chance des évènemens, qui ne sont pas toujours favorables à la cause la plus juste, décident ce souverain à concéder l'indépendance aux insurgés, ce n'est point par un traité proprement dit que cette concession doit être faile; employer cette forme ce serait porter la plus fâcheuse atteinte aux droits de la souveraineté et de la légitimité.

Ce n'est pas devant vous, Messieurs, qu'il est nécessaire de donner à ces principes des développemens plus étendus.

Mais pour n'avoir pas les formes extérieures d'un traité, l'ordonnance du 17 avril n'en est pas moins un acte de la pleine puissance royale, conséquence du droit de paix et de guerre que nos rois ont toujours exercé sans partage, et que l'article 14 de la Charte a proclamé et non créé.

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Les publicistes reconnaissent que le droit de céder des portions de l'état, à l'ennemi qui les a envahies, lorsque la nécessité de terminer la guerre commande ces sacrifices, appartient à la couronne dans un gouvernement monarchique *; et sans examiner comment ce principe serait applicable au territoire de la France, puisque cet examen ne pourrait être rattaché qu'à des souvenirs pénibles ou à des hypothèses de triste présage, nous pouvons dire qu'il ne saurait être mis en problême en ce qui concerne des colonies. Placées par la nature des choses et l'objet même de leur établissement, dans une situation toute spéciale, les colonies forment, dans l'ordre politique, une classe particulière qu'il n'est ni possible de confondre avec les autres corps sociaux, ni permis de leur assimiler; parce qu'étant, en général, un résultat de la conquête et considérées comme des postes militaires et des établissemens commerciaux, non moins que comme des propriétés foncières, leur conservation dépend bien plus que celle des autres parties de l'Etat, du sort des armes et de la possibilité de s'y maintenir.

Ces principes qu'il serait aisé de justifier par des exemples puisés dans les annales d'un peuple chez lequel la puissance royale est bien plus limitée qu'en France, n'ont jamais été, parmi nous, l'objet d'une controverse. Jamais les parlemens, dans le temps même où leurs querelles avec la cour étaient les plus vives et leurs prétentions portées au plus haut degré d'exagération, n'ont mis au rang de leurs griefs et des abus d'autorité qu'ils repro

* Wattel, Droit des Gens, liv. Iv, § 11, in finem.

chaient aux ministres, les cessions successives de l'Acadie, en 1713, de la Louisiane en 1762, du Canada en 1763, d'un grand nombre d'îles et de colonies qui, avec plus ou moins de nécessité ou de prudence, avaient été abandonnées à des souverains étrangers, souvent à la suite d'une guerre, quelquefois en pleine paix.

Ce que des rois peuvent faire par des traités, pour mettre fin aux calamités d'une guerre étrangère, auraientils moins le droit de le faire pour terminer une guerre civile, pour arrêter ou prévenir l'effusion du sang qu'entraînerait la réduction d'une colonie armée contre la métropole? Dans de telles circonstances, le droit de reconnaître l'indépendance des insurgés, n'est-il pas une conséquence du droit de paix et de guerre? Si pendant quinze siècles, nos rois n'ont jamais été réduits à la nécessité de reconnaître l'entière et absolue indépendance de sujets soulevés contre leur autorité; si l'ordonnance du 17 avril qui nous en offre le premier exemple, n'a été que la suite d'une insurrection survenue au temps même de la terrible révolution qui, dans la métropole, a tout brisé, jusqu'au sceptre lui-même, ces cas ne sont point rares dans l'histoire de l'Europe. Les souverains d'Autriche, a quator→ zième siècle, d'Espagne au dix-septième siècle, d'Angleterre, au siècle dernier, n'ont-ils pas été forcés de reconnaître l'indépendance de leurs provinces insurgées; et si votre mémoire et votre attention se reportent sur les formes, vous croirez sans doute que celle de l'ordonnance du 17 avril était préférable; qu'il était plus convenable et pour la dignité de la couronne et pour l'honneur de la France que le roi parlât en souverain aux habitans de

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