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Quel que puisse être le sens de cette loi, les donations modales ne sont pas moins atteintes par l'abolition des fideicommis que les substitutions expresses et même acceptées par les substitués.

A quoi aurait abouti l'anéantissement des substitutions, si le substitué conservait une action utile pour se faire restituer la chose ou le prix ?

N'importe l'acte dans lequel se trouve un fidéicommis la loi du 25 octobre enveloppe indistinctement toutes les substitutions; d'ailleurs, ce n'est que par là qu'elle arrive à son but.

Sur cela, l'article 20 du décret du 9 fructidor an II, dissipe jusqu'à la moindre incertitude.

Supposerait-on que la loi du 25 octobre et 14 novembre n'est pas applicable, parce qu'elle n'a de rapport qu'entre le grevé et le substitué, et que, dans le cas particulier, il n'existait plus de charge, parce que le donataire avait rétabli la donatrice dans ses droits à son égard?

Pure sophisme.

Les biens compris dans la donation du 9 mai, ont repassé dans le domaine de la donatrice, tant par la séparation, que par la révocation.

Or, il n'y a pas de milieu; ou elle est rentrée dans le domaine avec le droit absolu d'en disposer, ou elle ne l'a recouvré qu'à la condition de le conserver pour les enfans à naître d'un futur mariage de M. Prud'homme d'Ailly.

Tome I, N.° 8.

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Au premier cas (c'est celui de la cause), nulle prétention de la part de ces êtres imaginaires : dans le second, la donatrice est elle même vinculée de fideicommis, et comme elle a survécu à la loi abolitive des substitutions, la propriété est demeurée libre dans ses mains.

Les héritiers de M.me Prud'homme d'Ailly allaient plus loin, ils disaient que, quand les substitués eussent été nés, connus et nominativement désignés dans l'acte, la révocation faite entre la donatrice et le donataire, eût emporté celle de la substitution, les substitués n'ayant ni comparu, ni accepté.

Telle était l'opinion des meilleurs auteurs, dans le cas d'une donation entre-vifs, à l'égard de la convention par laquelle le donateur déchargeait le donataire d'une substitution qu'il lui avait imposée. Ricard, Traité des substitutions, partie 1., chapitre 4, Grotius, de jure belli et pacis, lib. 2, cap. 11, § 18, Duarenus et Deker, libre 1, dissert. 4: ce dernier cite beaucoup d'arrêts et d'autorités.

Pothier, Traité des substitutions, sect. f, art. 2, examinant la question pour lui-même, ne dissimule pas que son opinion est conforme à celle des auteurs qui viennent d'être cités; mais il écrivait depuis l'ordonnan ce de 1747, dont l'article 11 paraît prononcer dans un sens contraire.

L'ordonnance de 1747 a été limitée au territoire farnçais, elle est donc sans application dans la cause.

L'article 1121 du code civil a prescrit le retour des principes.

Dira-t-on qu'ici, le tiers a déclaré vouloir profiter de la libéralité ?

Ce tiers n'existait pas; son existence future et incertaine dépendait de la volonté et du pouvoir de celui qui stipulait. N'est-il pas assez inconcevable que la personne en qui réside la faculté de donner ou de refuser l'être physique, soit dans l'impuissance de révoquer ce qu'elle a fait pour le même être encore dans le néant.

Ainsi, un célibataire qui dirait dans un contrat d'ac quisition; qu'il accepte pour lui et ses enfans à naître, serait irrévocablement tenu envers ces enfans, lors de leur naissance; il ne pourrait plus revendre à leur préjudice, ni rétrocéder l'objet de son acquisition!

Encore une fois, il n'y a que la faveur du contrat de mariage qui ait rendu obligatoires les stipulations faites au profit des enfans à naître, parce qu'ils sont considérés comme la loi de la nouvelle famille.

C'est ce que dit encore Pothier, sur la coutume d'Orléans, au titre 5, des donations entre-vifs, § 2: « Pour être donataire il faut, avant tout, exister. » l'exception n'est que pour les contrats de mariage.

On retrouve le même principe dans le code civil, qui était publié avant qu'Ide-Anne - Philippine Prud'homme d'Ailly fut née et même conçue: elle est donc, à tous égards, mal fondée.

Elle serait, d'ailleurs, en tous cas, non-recevable, quant à présent, puisque la disposition qu'elle réclame, fût-elle aussi valable qu'elle est nulle, pourrajt, aux termes de l'acte du 9 mai, être résolue par l'événement de la mort de son père sans enfans.

Pour soutenir les prétentions d'Ide-Anne-Philippine Prud'homme-d'Ailly, ses défenseurs observaient en premier lieu :

Qu'en Brabant, les donations étaient parfaites, par le seul consentement des parties, conformément au droit romain, § 2, inst. de donat., 1. 35, au code

eod. tit.

Hodie nudo pacto donationes perficiuntur, Stockmans, décis. 44, n.o 3.

On n'y connaissait pas la règle donner et retenir ne vaut, dans ce sens, qu'il fallut une tradition réelle de la chose. Stockmans, décision 43, n.o 32; Wy nants, dans ses remarques sur les commentaires de Legrand.

La réalisation par œuvre de loi n'y était utile que contre les tiers acquéreurs, soit que l'objet de la donation consistât en fiefs, ou en biens allodiaux, le principe restait le même. Christyn, sur l'article 40 de la coutume féodale du Brabant; Stockmans, décision 44.

Il suffisait donc que la donation fût acceptée, pour produire un lien de droit, tel que le donateur ou ses héritiers étaient tenus de l'accomplir, soit en délivrant la chose, soit en indemnisant le donataire de la valeur, au cas qu'elle eût passé à un tiers.

Ils concluaient de là, que la donation faite le 9 mai 1776, aux enfans à naître d'un autre mariage de M. Prud'homme-d'Ailly, ayant été acceptée pour eux, avait formé une obligation synallagmatique, aussi irrévocable que tout autre contrat.

- Mais, disaient-ils, si les dispositions du droit romain ont été suivies en Brabant, quant à la nature et aux effets des donations entre-vifs, elles ont été méconnues et même rejetées sur les donations entre conjoints pendant le mariage.

L'article 241 de la coutume de Bruxelles autorise les époux à se donner mutuellement leurs meubles et immeubles par testament ou donations entre-vifs.

Suivant l'article 245 de cette coutume, et l'article 10, chapitre 12, de celle de Louvain, les conjoints avaient la faculté de déroger à leur contrat de mariage, faculté inconciliable avec la défense de s'avantager.

L'importance de ces deux coutumes a formé le droit commun de l'ancien Brabant, il ne reçoit d'exception que par un texte formel d'un statut local.

Wynants, dans ses remarques sur la coutume de Troyes, atteste qu'à Bruxelles, où les conjoints peuvent s'avantager, la donation qu'ils se font, subsiste.

Stockmans, décision 60, dit: que cette opinion est fondée sur la tradition des praticiens, il est vrai qu'il manifeste lui-même un doute sur la question de savoir, si cette liberté indéfinie de se donner entre époux, doit s'entendre selon le dernier état de la législation romaine, mais son doute, il ne le résout pas, et n'allègue aucune raison pour détruire l'opinion contraire.

Dans le droit romain, comme dans les coutumes prohibitives, il était naturel que les enfans de l'in

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