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d'enrichir des êtres inconnus, incertains, ou, pour mieux dire, le néant?

Ainsi, quand M. Prud'homme-d'Ailly s'est séparé de son épouse, que les liens de l'affection ont été rompus, que le retour des biens donnés a été stipulé et exécuté, que restait-il? Un contrat entre la donatrice et le néant. Voilà pourtant ce que l'on est réduit à dire pour la défense des enfans à naître.

M. Prud'homme-d'Ailly a été seul la cause finale de la libéralité; c'est par lui et pour lui qu'elle a pris sa naissance; c'est par lui qu'elle a été détruite dans l'acte de séparation.

Elle a été de plus révoquée spécialement par la donatrice, et ne nous y trompons pas. M.r Pruďhomme-d'Ailly étant l'objet unique de la donation, il ne s'agit pas même d'examiner ce que le droit du Brabant pouvait avoir d'obscur sur la révocabilité ou l'interposition des personnes : car des enfans à naître ne sont pas, dans ce cas, des personnes interposées ils ne sont autre chose que M.r Prud'homme-d'Ailly lui-même.

Ainsi, d'après les développemens donnés à la matière, la donation fut toujours demeurée révocable indépendamment de l'acte de séparation qui a dissous le principe de la libéralité.

Des enfans à naître peuvent-ils donc être l'objet d'une donation directe par actes entre-vifs?

Une donation, disent les défenseurs de l'appelante, est en Brabant, comme dans le droit romain, un

contrat; mais pour former un contrat, ne faut-il pas deux ou plusieurs personnes qui stipulent?

Des enfans à naître sont-ils des personues? Quelle est la loi qui donne la mission de contracter pour des êtres qui ne sont ni nés ni conçus?

Nous voyons dans le code civil, que le législateur n'a pas même supposé de doute. Pour être capable de recevoir entre-vifs, il suffit d'être conçu au moment de la donation, art. 906: il ne dit pas que l'on ne peut donner à des êtres imaginaires, mais il établit la nécessité d'une existence ayouée par les lois qui ont considéré les enfans conçus comme déjà nés, lorsqu'il s'agit de leurs intérêts.

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Si le code civil n'est pas la loi de la contestation il est au moins l'expression des principes reçus.

?

Nous ne répéterons pas les autorités qui ont été citées par les intimés pour établir la préexistence de cette doctrine.

Les appelans ont cependant invoqué Stockmans, et particulièrement Merenda; mais ils ont manifestement abusé de l'opinion de ces auteurs.

Le premier suppose les droits des enfans à naître liés à une tierce personne existante, intermédiaire.

Voici le titre sous lequel se trouve le passage extrait de Merenda, et cité par les défenseurs de l'appelante.

De fideicommisso in donatione inter vivos constituto ad favorem nasciturorum.

Ecoutons-le dans le raisonnement qu'il fait ensuite sur la capacité des enfans à naître, en les considérant par eux-mêmes.

Licet ergo receptum sit notarios ut personas publicas pro absentibus stipulari posse, non tamen potest hoc jus trahi ad nascituros nondum conceptos: quià respectu' absentium adest capacitas: respectu autem nondum conceptorum, non adest, et deficit terminus ad quem, sine quo non potest subsistere donatio aut aliqua conventio.

Merenda parle ensuite de l'exception relative au contrat d'empyhtéose, ou à la concession d'un fief. II à soin d'avertir qu'elle ne doit pas tirer à conséquence.

Ce n'est donc pas, comme on le voit, par l'effet de la maxime donner et retenir ne vaut, que les enfans non conçus sont incapables de donation; mais parce qu'ils ne peuvent pas faire l'objet d'une stipulation obligatoire.

Si la donation du 9 mai 1775 avait pu subsister, les enfans à naître l'auraient-ils recueillie autrement qu'à titre de substitution?

Lire l'acte qui la contient, c'est résoudre la question. Les enfans n'y sont appelés qu'après leur père.

C'est en vain qu'on les présente comme co-donataires sous le prétexte des expressions: les leur donnant, l'ordre de la stipulation indique l'ordre successif des droits des donataires.

Impossible que des enfans à naître soient l'objet d'une donation directe par acte entre-vifs: ils peuvent être co-donataires par acte de dernière volonté,

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s'ils sont nés à l'époque de la mort du testateur.' Tout ceci est démontré à l'évidence dans les questions de droit de M.r Merlin, au mot subst. fid. § 3, pag. 488, 489, 496, 499 et 500.

Aussi avons nous entendu les défenseurs de l'appelante, faire implicitement l'aveu que la vocation des enfans à naître pourrait bien former une substitution vis-à-vis leur père, mais seulement vis-à-vis leur père.

Le retour des biens à M.me Prud'homme d'Ailly a-t-il changé leurs droits?

M. Prud'homme d'Ailly a été donataire en premier degré, investi du domaine des biens donnés.

Il les a rendus à son épouse.

Ou ils sont revenus à cette dernière avec la plénitude du droit de propriété libre, ou ils sont restés dans les liens d'une affectation en faveur des enfans à naître.

Au premier cas, l'expectative des enfans aurait fini en même temps que les droits du père (c'est ce qui a été démontré).

Au second cas, M.me d'Ailly n'aurait recouvré qu'une propriété vinculée, c'est-à-dire, des biens grevés de substitutions.

Or, M.me Prud'homme d'Ailly ayant survécu à la loi du 25 octobre et 14 novembre 1792, cette loi aurait fait disparaître la substitution, en la rendant propriétaire libre, et dès-lors, les biens dont il s'agit,

se trouvent dans sa succession, et appartiennent à ses héritiers.

Par toutes ces considérations, qui laissent les autres questions sans intérêt, M. Tarte a estimé, que les prétentions d'Anne-Philippine Prud'homme-d'Ailly étaient sans fondement.

ARRÊT TEXTU EL.

« Considérant qu'Anne-Marie-Joseph de Steelant, ◄ ayant déclaré, en l'acte dont s'agit, donner irré<< vocablement, entre-vifs, à Henri-Louis-Joseph de « Prud'homme-d'Ailly, son époux, les biens com<< posant les domaines de Parcq et d'Elewyt, avec dé«fense d'en disposer, en manière quelconque, et « sous la condition de les laisser succéder, après « son décès, aux enfans à naître de leur mariage; « à leur défaut, à ceux à naître des secondes noces « du donataire, sauf la faculté d'élection entre les« dits enfans, comme il le trouverait convenir, il << en résulte que les enfans à naître n'étant point << appelés concurremment avec le donataire, mais sui« vant l'ordre des mariages, et dans un degré su<< bordonné au temps, cette disposition présente tous les caractères d'une substitution fidéicommissaire.

« Considérant que les termes qui suivent les ainsi leur donnant, dès-à-présent, irrévocable« ment comme dessus, se rapportent avec la mo« dalité qui les affecte, à la disposition substitu«tionnelle précédemment établie, et ne peuvent « avoir l'effet de transformer en donation directe et a distincte, une libéralité, qui, par la force des expressions et la nature des circonstances, n'était et Tome I, N.° 8.

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