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d'appel quoiqu'il porte l'empreinte d'un interlocutoire par les expressions d'avant faire droit dans lesquelles il est conçu, en conformité de l'article 259 du code civil, on dit qu'il est réellement définitif en ce qu'il préjuge tellement le fonds que, d'après l'article 260, le juge est forcé d'admettre le divorce après l'année, si le demandeur persévère.

De là, on tire la conséquence que l'année d'épreuve ne peut être ordonnée par un avant faire droit du premier juge, que lorsque les faits allégués par l'époux demandeur sont assez graves et suffisamment prouvés pour admettre le divorce après l'année, et on s'appuie, à cet égard, sur l'expression de l'article 259, « encore qu'elle soit bien établie (la demande << en divorce), les juges pourront ne pas admettre «< immédiatement le divorce. »

Ainsi, dit-on, le premier juge doit rejeter simplement la demande en divorce et ne pas permettre l'année d'épreuve, si les faits ne sont ni assez graves ni assez justifiés; et tout comme il doit alors être permis au demandeur de se pourvoir par appel contre cette décision; il doit l'être à l'époux défendeur lorsque ce juge a reconnu la demande pleinement justifiée pour autoriser l'année d'épreuve et ensuite le divorce.

Le jugement définitif, prononcé après l'année, n'est que la conséquence naturelle et nécessaire de l'ayant faire droit, qui a ordonné l'année d'épreuve. En refusant l'appel, ce serait non-seulement exposer le défendeur à la crainte d'une fin de non-recevoir, lors de l'appel du jugement définitif, et par suite de la privation de la faculté de combattre la preuve des faits,

mais encore, consacrer le principe, que le premier juge est maître absolu de séparer les époux pendant une année, de condamner le mari à une pension alimentaire quelquefois excessive, et de laisser sa femme dans une maison d'une réputation équivoque ou dangereuse pour ses habitudes ou ses mœurs, sans que le mari eût le moindre moyen de faire réparer les torts qui pourraient lui en résulter, puisque ces trois dispositions définitives en elles mêmes peuvent être prononcées par le même avant faire droit, et que dès lors il semble qu'il ne doit pas y avoir plus d'appel des deux seconds chefs que du premier.

Qu'en admettant aussi que le défendeur puisse, en appelant du jugement définitif, proposer ses griefs contre l'avant faire droit, et le juge d'appel réformer l'un et l'autre, et rejeter la demande en divorce accueillie par le juge de première instance; le mari supporterait toujours trois torts réels et irréparables, également dangereux pour sa fortune et celle de sa femme, et dont l'un sur-tout, serait quelquefois capable d'empoisonner le reste de la vie des époux, puisque les suites résultantes de leur séparation, les impressions que la femme aurait reçues dans la maison qu'elle habitait pendant cette séparation, et le paiement de la pension excessive, ne souffriraient plus de changement.

Que la morale et la loi recommandent donc également l'admission de l'appel contre les jugemens intermédiaires de l'admission de la demande, de l'admission définitive du divorce, chaque fois qu'un pareil jugement intermédiaire emporte un grief irréparable on définitif, et que l'art 262 du code civil, qui ne

parle que de l'appel du jugement d'admission de la demande et de celui définitif, n'est pas assez impératif pour adopter l'opinion contraire, parce qu'il ne dit pas qu'on ne peut pas appeler des jugemens intermédiaires, encore qu'ils statueraient au fond.

Mais toutes ces considérations ne sont pas assez fortes pour convaincre ceux qui sont de l'opinion opposée.

Il n'en est pas, disent-ils, des affaires de divorce comme des affaires civiles ordinaires, et les principes qu'on applique avec succès à celles-ci ne sauraient être indistinctement appliqués à celles-là sans produire souvent l'effet le plus funeste. Tout est de rigueur dans une procédure civile, le moindre grief irréparable en définitif donne lieu à l'appel, tout doit se traiter avec célérité et la plus grande exactitude: dans les procédures de divorce au contraire, une lenteur sage peut souvent conduire aux plus heureux résultats, sur-tout lorsqu'elle tend à rapprocher ou concilier les esprits aigris des époux, à les ramener à l'union et à l'oubli des torts réciproques; et c'est, lorsque le juge peut espérer d'y parvenir, qu'il doit permettre un petit mal pour en éviter un grand.

Qu'il faut donc chercher la solution de la question dans le but moral que le législateur s'est proposé, autant et peut-être plus encore que dans les termes dont il s'est servi pour exprimer sa volonté, et qu'on se persuadera que son intention a été d'exclure l'appel de l'avant faire droit, qui ordonne l'an1née d'épreuve, malgré les petits inconvéniens qui peuvent en résulter.

A consulter d'abord les termes de la loi, on voit

que l'art. 262 ne parlant que de deux appels, savoir de celui du jugement d'admission, et de celui du jugement définitif, n'a pas voulu qu'il y eût appel des jugemens intermédiaires: inclusio unius, est exclusio alterius. Cette vérité se démontre à l'évidence lorsqu'on réfléchit que le législateur connaissant toutes les suites du jugement qui permet l'année d'épreuve, ne l'a néanmoins considéré que comme un avant faire droit. Pourquoi a-t-il choisi cette dénomination? Sans doute pour exclure l'idée de l'appel, car autrement ce serait supposer qu'il ne connaissait pas la valeur des mots.

On prétend que cet avant faire droit décide définitivement le fond en ce que le divorce doit être nécessairement admis après l'année d'épreuve, si le demandeur y persiste, et qu'ainsi il doit y en avoir appel, puisque ce même avant faire droit ne peut être rendu que lorsque le premier juge a reconnu les faits suffisamment prouvés.

La première conséquence semble en effet justifiée par l'art. 260 du code, mais la deuxième est fausse.

Que suit-il de la première? Que l'époux demandeur doit attendre une année avant de voir dissoudre le lien conjugal, et que le défendeur doit attendre de même avant de pouvoir appeler : ni l'un ni l'autre n'a donc le droit de l'appel pendant ce délai, et leur position est parfaitement égale; mais après l'année que le divorce est prononcé, le défendeur peut demander la réformation des deux jugemens; ainsi au fond, nul tort irréparable pour le défendeur appelant.

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année ne peut plus être réparée, le mari peut en souffrir un tort réel; il a le droit d'avoir son épouse, si là demande en divorce de celle-ci n'est pas trouvée fon dée en définitif. — Mais, on ne considère donc que le mari? La femme n'a-t-elle pas le même droit? Or, quoiqu'elle soit fondée dans sa demande, il faut néanmoins qu'elle attende l'expiration de l'année avant d'obtenir sa pleine liberté. La chance est encore parfaitement égale, leurs droits réciproques ne sont pas perdus, ils sont seulement suspendus, et le défendeur a d'autant moins à se plaindre, que l'exécution de l'avant faire droit dépend d'un événement incertain de la persévérance de l'époux demandeur dans sa demande du divorce, ainsi il n'a pas même un grief présent et certain.

Quant à la deuxième conséquence, qui consiste à dire que, le divorce devant être prononcé après l'année d'épreuve, cette année d'épreuve ne doit être ordonnée qu'autant que la demande du divorce est pleinement justifiée, elle résiste à la lettre de la loi autant qu'au motif du législateur.

A la lettre de la loi, puisqu'il en résulte que c'est -plutôt lorsque les preuves ne sont pas complètement fournies que l'année d'épreuve doit être ordonnée que lorsque la demande est parfaitement établie. Que veut dire le législateur par les mots : encore que la demande soit bien établie ? Le sens de ces expressions n'est pas difficile à trouver : quoique votre demande soit juste et fondée et que vous soyez autorisé à dẹmander d'abord le divorce; néanmoins, le juge peut -vous faire attendre une année : ainsi, si l'on doit attendre une année lorsque la demande est bien justifiée,

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