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LE PROPRIÉTAIRE.

Il y a tout juste cinq membres de la Chambre actuelle des députés qui ont fait ou font partie de la congrégation, et encore leur concours est d'autant moins dangereux, qu'ils ne votent pas tous les cinq de la même manière.

LE JOURNALISTE.

Tout cela ne prouve rien; je vois qu'on vous a pris pour dupe. Mais moi, qui ne le suis point, je vais vous dire des faits. Apprenez que cette puissance mystérieuse, nommée congrégation, est aussi confuse dans sa composition que dans son objet, dans son objet que dans son origine; que quelquefois son corps est entier, et alors on y voit un tronc et des membres; d'autres fois une partie de ces membres s'en retire, et il paraît comme mutilé; que le corps lui-même est composé de manière à pouvoir, quand cela lui convient, se dissiper comme une ombre; que l'imagination s'étonne et demeure en suspens; que la corruption de la chair a produit le déluge; la corruption de l'esprit a produit l'enfer; que par la corruption de la chair, la luxure est entrée dans le monde ; par la corruption de l'esprit, l'orgueil; que pour

l'homme du monde, le grand écueil ce sont les faiblesses de la chair; pour le prêtre qui a dompté la chair, la grande tentation c'est l'orgueil; qu'au lieu de la Bastille, on a aperçu Mont-Rouge; au lieu de la chevalerie, des moines; au lieu de la noblesse, la congrégation. Et je ne peux rien ajouter à ce dernier mot, parce qu'il comprend tout.

LE PROPRIÉTAIRE.

Je vous remercie de ce que vous m'apprenez, et de me laisser des idées si nettes et si précises. Il est des argumens auxquels il n'y a pas moyen de répondre, et je m'avoue vaincu. Adieu donc, mon cher monsieur.

LE JOURNALISTE.

Adieu, mon ancien camarade. Je ne me doutais pas que vous fussiez devenu si dévot, depuis que nous nous sommes quittés. Je vous en fais mon compliment.

LE PROPRIÉTAIRE.

Je ne suis point dévot; et je ne me donne point pour tel, parce que je ne veux pas me faire passer pour meilleur que je ne suis; mais je suis juste : l'injustice me ré

volte, les fausses accusations m'indignent. Je n'ai jamais pu entendre porter, même contre un ennemi, une accusation fausse, sans prendre sa défense: à plus forte raison quand il s'agit, non d'un ennemi ni d'un adversaire, mais d'hommes de bien que je respecte sans avoir le bonheur de les imiter. Si le mal s'était borné à l'introduction des fantômes dans les livres graves, et du genre romantique dans la politique, je n'aurais fait qu'en rire à part moi; mais quand j'ai trop bien vu qu'en courant après un danger imaginaire, l'on négligeait de veiller sur les dangers réels; quand j'ai vu le parti que nous combattons depuis douze ans profiter si bien du succès de cette manœuvre habile, je me suis résolu à signaler cette dangereuse erreur toutes les fois que j'en trouverais l'occasion.

Savez-vous comment je me représente tout ce qui se passe? Je crois voir des gens qui veulent mettre le feu dans un coin de la ville. Pour écarter tout obstacle, ils font crier au feu à l'autre bout de la ville. Tout le monde accourt avec émoi : on se précipite en criant au feu! Il se trouve quelques personnes qui disent: Mais on ne voit

ni feu ni fumée. « C'est égal, » dit un brave homme qui criait plus fort que les autres, «< c'est un feu mystérieux, c'est une fumée «< invisible. Soyez sûrs qu'il est quelque part. « Il faut que ce soient des fagots de l'inquisi<tion: ça sent déjà le brûlé. Vîte de l'eau! « de l'eau!» Comme celui qui leur parle est un homme de bien et d'esprit, qui a toujours été des leurs, tout le monde se met en mouvement: on jette de l'eau de tous côtés, et on noie cette partie de la ville, tandis que le feu est mis à l'autre extrémité, et qu'il n'y a personne pour l'éteindre. Voilà ce qui nous arrivera, si nous continuons à demander le secours de nos ennemis pour nous défaire de nos amis.

LE JOURNALISTE.

Chacun a ses visions, à ce qu'il me semble.

CHAPITRE VI.

Conclusion.

La conclusión de ce que j'ai dit dans les chapitres précédens est: Que le clergé a moins de chances que jamais pour envahir le pouvoir temporel, et que sans doute il n'en a point le projet; qu'à peine a-t-il assez de force, en réunissant tous ses moyens, pour conserver ou regagner le pouvoir spirituel qui lui appartient, et qu'on lui refuse souvent; qu'en conséquence, il n'y a point, danger pour la chose publique ni pour personne en particulier; et que, sans les cris d'effroi poussés à dessein par les uns, répétés sans réflexion par les autres, les générations se seraient succédées en France, sans que rien vînt de ce côté troubler leur tranquillité, et sans se douter seulement de l'existence des jésuites, des ultramontains et de la congrégation.

Ma conviction sur ce point vient de la manière dont j'envisage la France actuelle sous le rapport religieux. Je vais établir les

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