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CHAPITRE III.

Des jésuites.

Je n'avais aucune opinion sur les jésuites, et je n'ai presque jamais entendu que leurs ennemis. J'avoue toutefois que la passion furieuse avec laquelle ils ont été poursuivis de 1760 à 1765, e! l'animosité évidente d'une secte rivale qui régnait dans les parlemens, et qui fut secondée par la domination naissante du parti philosophique, et par des intrigues de cour, m'avaient donné pour eux cette prévention qu'il est naturel d'éprouver en faveur de ceux qui sont persécutés. Lorsqu'il y a peu d'années on a recommencé à s'occuper des jésuites, la mauvaise foi et le vague des reproches qu'on leur a faits, l'affectation avec laquelle on a été fouiller partout pour rechercher des accusations fausses ou exagérées, et qui, fussent-elles vraies, ne pourraient pas plus s'appliquer aux jésuites de nos jours, que les déclamations contre les seigneurs féodaux ne sont applicables aux gentilshommes du temps présent, voilà

ce qui a encore contribué à faire incliner mon opinion pour les jésuites, et surtout contre leurs ennemis. Enfin, l'ouvrage de M. de Pradt sur le jésuitisme a mieux éclairé la question pour moi, m'a démontré l'utilité des jésuites, et le peu de craintes qu'ils peuvent inspirer, et m'a déterminé tout à fait en leur faveur. Je vais détailler mes motifs. Commençons par le plus terrible reproche, et le plus répété, parce qu'il est le plus propre à faire impression sur les simples, et à inspirer l'horreur des jésuites à ceux qui sentent avant de raisonner : je veux parler de l'inculpation d'être des régicides, qui font métier de provoquer à l'assassinat des rois, et de les assassiner eux-mêmes. Cette seule accusation suffira pour persuader à tout homme raisonnable qu'il n'y a rien de sérieux à reprocher aux jésuites. Quand on a des reproches réels à faire à quelqu'un, l'on ne va point gâter une bonne cause en se livrant à des imputations si improbables, si impossibles, si ridicules, pour me servir du mot propre.

On a dit que les jésuites enseignaient, dans leurs écrits et dans leurs colléges, l'assassinat des rois, et qu'ils avaient souvent mis

ces préceptes en action; on a parlé de Jacques Clément, de Ravaillac, de Damiens : pourquoi, à ces noms hideux, n'a-t-on pas joint celui de Louvel? Il y aurait eu autant de raison Jacques Clément appartenait à un autre ordre religieux; Ravaillac n'avait aucun rapport avec les jésuites, pas plus que Damiens. Mais, Châtel, dit-on, avait étudié quelque temps chez les jésuites. Qu'en faut-il conclure? A-t-on jamais prétendu que dans les maisons d'éducation, où passent successivement tant d'individus, les instituteurs puissent répondre de tout ce que leurs élèves feront par la suite? Si l'on raisonnait ainsi, il faudrait poursuivre tous ceux qui faisaient partie de nos colléges d'autrefois, comme enseignant le brigandage, l'impiété, l'assassinat; car certainement il n'y a pas une maison d'éducation de ce temps d'où ne soit sorti quelqu'un des monstres qui ont rivalisé, à la fin du dernier siècle, à qui l'emporterait dans cette carrière de crimes. Mais quand quelques jésuites auraient écrit qu'il est permis d'assassiner un roi hérétique; quand Châtel aurait été lui-même jésuite, qu'en doiton conclure contre les jésuites d'à présent? A-t-on jamais fait tomber sur tout un corps

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le crime d'un individu, et cela dans la suite des siècles? Dans ces temps de fanatisme, la plupart des hommes étaient poussés par la même frénésie; et en demander compte aujourd'hui, c'est rendre un homme qui sort d'un accès de fièvre chaude, responsable de ce qu'il a dit ou fait pendant qu'il avait le transport au cerveau. Tous les hommes passionnés des divers ordres religieux, et même des deux partis contraires, professaient alors les mêmes doctrines. Poltrot, après avoir assassiné le duc de Guise, disait qu'il avait cru faire une chose utile à sa religion et agréable à Dieu. Clément, de l'ordre des jacobins, était, dit-on, poussé par ses supérieurs. Une simple réflexion montrera le ridicule de ces récriminations tirées de la poussière de nos vieilles archives. Certes, s'il fallait chasser les jésuites à cause des excès de quelquesuns d'entre eux lors de la ligue, il faudrait aussi chasser les protestans, à cause du crime du protestant Poltrot, et des cruautés exercées par plusieurs autres sur les catholiques; il faudrait aussi chasser tous les catholiques, à cause de la cruelle nuit de la Saint-Barthélemi; il faudrait encore chasser les philosophes et les incrédules, à cause de

cette Saint-Barthélemi de deux ans, ouvrage de ceux qui professaient la même impiété et la même incrédulité; d'où l'on voit qu'après avoir chassé les protestans et les catholiques, les croyans et les incrédules, il ne resterait plus personne en France pour jeter la pierre aux coupables.

Le reproche fait aux jésuites d'enseigner dans leurs colléges des doctrines dangereuses et une morale relâchée, me paraît tout aussi concluant et de la même force que celui du régicide. Il n'y a pas eu, depuis le commencement du monde, une école où on ait enseigné de mauvais principes, à moins qu'ils ne fussent sans contestation ceux de toute la nation. Les élèves auraient bientôt trahi le secret de pareilles leçons; devenus hommes, ils auraient dénoncé à la société l'éducation dont ils auraient par eux-mêmes reconnu le danger. Voltaire, qui avait été élevé dans leurs colléges, et qui les aurait aimés s'ils n'avaient pas été si bons chrétiens, n'aurait assurément pas gardé le silence sur les doctrines qu'ils enseignaient, s'il y avait cu le moindre fondement aux reproches qu'on leur fait sous ce rapport. J'ajouterai ici le suffrage d'un homme aussi respectable que

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