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d'abord qu'introduire dans la société ainsi constituée un élément nouveau, l'élément barbare. Les Bourguignons et les Wisigoths, qui s'établirent dans la partie méridionale, y prirent les deux tiers des terres à leur convenance et laissèrent le reste aux anciens possesseurs (L. des Bourguignons, tit. 54 et 55; L. des Wisigoths, lib. 10, tit. 1, §§ 8, 9 et 16).-Quant aux Francs, 11 ne parait pas qu'ils aient dépouillé les anciens possesseurs. « Il y avait sans doute dans les Gaules, dit M. Laboulaye (Hist. de la propr. fonc. en Occid., p. 252), plus de terres incultes ou domaniales qu'il ne fallait pour les satisfaire tous; c'est du moins ce qu'on peut juger par ces domaines immenses attribués aux rois francs comme terres du fisc. » Ainsi, dans la Gaule, à côté de la population romaine il y eut la population barbare, à côté de la propriété romaine la propriété barbare, chacune régie par la loi qui lui était propre.

31. Mais ces éléments divers ne pouvaient ainsi coexister sur le même sol sans s'unir et s'amalgamer en quelque sorte. Pendant les cinq siècles qui suivirent, au milieu d'une confusion et à travers des vicissitudes qu'il n'entre pas dans notre sujet de décrire, un nouvel ordre social se forma peu à peu le résultat de cette lente élaboration, ce fut la féodalité. Cette révolation affecta profondément la propriété. Dans le régime féodal, la condition des personnes est subordonnée à celle de la terre; la propriété et la souveraineté se trouvent confondues. Le seigneur est censé avoir été dans l'origine propriétaire de tous les biens situés dans le ressort de sa souveraineté et ne les avoir concédés à ceux qui en jouissent que sous la réserve d'un droit éminent appelé directe, dont le signe est soit la foi et hommage due par le vassal, soit la prestation de redevances périodiques. Nous ne nous proposons point de retracer ici l'histoire ni de faire la description du régime féodal; ces détails trouveront naturellement leur place vo Propriété feodale.

32. La lutte de la royauté et du peuple contre la féodalité remplit toute notre histoire depuis l'avénement de la troisième race jusqu'à la révolution de 1789, qui abolit les derniers vestiges du régime féodal et proclama les principes d'égalité qui sont devenus la base de nos institutions nouvelles. Les légistes furent, dans cette lutte, les auxiliaires énergiques de la royauté. Pour la seconder, toutefois, ils contribuèrent à mettre en honneur des idées peu conformes à la véritable nature du droit de propriété et qui devaient favoriser l'établissement du pouvoir absolu: c'est que le roi a le domaine direct universel de toutes les terres du royaume (V. sur ce point, MM. Championnière, de la Propr. des eaux courantes, no 176; Troplong, de la Propr. d'après le code civ., ch. 21). Il y eut à la vérité quelques profestations. Ainsi, le chancelier Jean Juvénal des Ursins disait à Charles VII: « Quelque chose qu'aucuns disent de votre puissance ordinaire, vous ne pouvez prétendre le mien; ce qui est mien n'est point vôtre. Peut bien être qu'en la justice vous êtes souverain et va le ressort à vous. Vous avez votre domaine, et chaque particulier a le sien » (V. Loisel, Opusc., p. 400). Et Lovseau, dans son Traité des seigneuries (ch. 3, no 42) s'exprimait en termes analogues : « Les rois n'ont droit de prendre le bien d'autrui, parce que la puissance publique ne s'étend qu'au commandement et autorité, et non pas à entreprendre la seigneurie privée des biens des particuliers. »—Mais les maximes contraires, celles qui exagéraient les droits de la royauté, prevalurent. Galland (Tr. du franc-alleu) soutient que le roi est le seigneur uni(1) Exposé des motifs de la loi relative à la propriété, par le conseiller d'Etat Portalis (séance du 26 nivôse an 12).

4. Législateurs, le projet de loi qui vous est soumis définit la propriété et en fixe les caracteres essentiels; il determine le pouvoir de l'Etat ou de la cité sur les proprietes des citoyens; il règle l'etendue et les limites du droit de proprieté, consideré en lui-même et dans ses rapports avec les diverses especes de biens.-Dans cette matière, plus que dans aucune autre, il importe d'ecarter les hypothèses, les fausses doctrines, et de ne raisonner que d'après des faits simples dont la verité se trouve consacrée par l'experience de tous les âges.

2. L'homme en naissant n'apporte que des besoins; il est chargé du soin de sa conservation; il ne saurait exister ni vivre sans consommer: il a donc un droit naturel aux choses nécessaires à sa subsistance et à son entretien. Il exerce ce droit par l'occupation, par le travail, par l'application raisonnable et juste de ses facultes et de ses forces.-Ainsi le besoin et l'industrie sont les deux principes createurs de la propriété -Quelques écrivains supposent que les biens de la terre ont été originairement communs. Cette communaute, dans le sens rigoureux qu'on y attaehe, n'a jamais existé ni pu exister. Sans doute la Providence offre ses dons à l'univorsalité, mais pour l'utilita et les besoins des individus; car il n'y a que des

versel de toutes les terres qui sont dans son royaume; qu'elles doivent être présumées procéder de ses prédécesseurs, « sinon en tant que la dispense en sera justifiée au contenu, » Le même principe, posé dans le code Marillac (art. 383), sous Louis XIII, et dans un édit de Louis XIV, de 1692, fut formulé très-énergiquement dans l'instruction de ce prince au Dauphin (OEuvres de Louis XIV, t. 2, p. 95). Voici, en effet, ce qu'on y lit : « Tout ce qui se trouve dans l'étendue de nos États, de quelque nature qu'il soit, nous appartient au même titre. Vous devez être bien persuadé que les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les biens qui sont possédés, aussi bien par les gens d'Église que par les séculiers, pour en user en tout comme de sages économes. >>

33. La révolution de 1789 devait nécessairement avoir pour effet de modifier la notion du droit de propriété. Et toutefois les idees justes ne prévalurent pas tout d'abord. « Une propriété particulière, disait Mirabeau à l'assemblée constituante (V. Bu chez et Roux, Hist. parlem., t. 5, p. 325), est un bien acquis en vertu des lois. La loi seule constitue la propriété, parce qu'il n'y a que la volonté politique qui puisse opérer la renonciation de tous, et donner un litre commun, un garant à la jouissance d'un seul. » Et Robespierre, dans le projet qu'il avait préparé d'une déclaration des droits de l'homme (V. M. Thiers, t. 3, p. 407), définissait ainsi la propriété : « La propriété est le droit qu'a chaque citoyen de jouir de la portion de bien qui lui est garantie par la loi. » Comme le fait observer M. Troplong (Op. cit., p. 89), Louis XIV n'aurait pas mieux fait la part de l'Etat au nom de despotisme; de telles maximes réduisent la propriété à un état précaire. Mais ces idées ne furent point adoptées par la Convention. La déclaration des droits du 24 juin 1793 porte: « Art. 16. Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.-Art. 19. Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » C'étaient là les véritables principes; le droit de l'individu est affirmé; il n'est plus question ici de ce droit supérieur de l'Etat, qui, dans les idées communément reçues jusqu'alors, semblait toujours planer comme une menace sur la propriété individuelle. Ces principes passèrent également dans la constitution de l'an 3.

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34. Le droit de propriété fait l'objet de l'un des titres du code Napoléon. Ce titre est le deuxième du livre 2. Le projet du livre 2 tout entier, c'est-à-dire les quatre titres dont il se compose, furent présentés au conseil d'Etat dans la séance du 20 vend. an 12, par M. Treilhard, organe de la section de législation. La discussion du titre 2, commencée dans cette séance, fut continuée dans la séance du 27 vendémiaire. Une rédaction nouvelle de ce titre fut arrêtée à la séance du 4 brumaire, et ce même jour fut ordonnee la communication officieuse au tribunat. La section du tribunat fit des observations qui donnèrent lieu à des conférences entre elle et la section du conseil d'Etat. A la séance du 14 niv. an 12, M. Treilhard en fit le rapport et présenta une rédaction définitive du titre entier. Cette rédaction fut adoptée de suite sans nouvelle discussion. Ce fut le 26 nivôse que le titre 2, De la propriété, fut porté au corps législatif par MM. Portalis, Berlier et Pelet. M. Portalis présenta l'exposé des motifs (1). individus dans la nature. La terre est commune disaient les philosophes et les jurisconsultes de l'antiquité, comme l'est un théâtre public qui attend que chacun vienne y prendre sa place particuliere. Les biens, reputes communs avant l'occupation, ne sont, à parler avec exactitude, que des biens vacants. Après l'occupation, ils deviennent propres à celui ou à ceux qui les occupent. La nécessite constitue un véritable droit: or c'est la nécessite même, c'est-à-dire la plus imperieuse de toutes les lois, qui nous recommande l'usage des choses sans lesquelles il nous serait impossible de subsister. Mais le droit d'acquérir ces choses et d'en user ne serait-il pas entierement nul sans l'appropriation, qui seule peut le rendre utile, en le liant à la certitude de conserver ce que l'on acquiert? - Méfions-nous des systèmes dans lesquels on ne semble faire de la terre la propriété commune de tous, que pour se ménager le prétexte de ne respecter les droits de personne.

3. Si nous decouvrons le berceau des nations, nous demeurons convaincus qu'il y a des proprietaires depuis qu'il y a des hommes. Le sauvage n'est-il pas maître des fruits qu'il a cueillis pour sa nourriture, de la fourrure ou du feuillage dont il se couvre pour se premunir contre les injures de l'air de l'arme qu'il porte pour sa defeuse, et de l'espace dans lequel il construit sa modeste chaumière ? On trouve, dans les temps et partout, des traces du droit individuel de propriété. L'exercice de ce droit, comme celui de tous nos autres droits naturels, s'est étendu et s'est

Dans ce discours, l'un des plus remarquables qu'il ait prononc's, l'éminent jurisconsulte commence par rechercher quel est le fon

perfectionné par la raison, par l'expérience et par nos découvertes en tout genre. Mais le principe du droit est en nous; il n'est point le résultat d'une convention humaine ou d'une loi positive; il est dans la constitution même de notre être, et dans nos différentes relations avec les objets qui nous environnent.

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Nous apprenons par l'histoire que d'abord le droit de propriété n'est appliqué qu'à des choses mobilières. A mesure que la population augmente, on sent la nécessité d'augmenter les moyens de subsistance. Alors, avec l'agriculture et les différents arts, on voit naître la propriété foncière, et successivement toutes les espèces de propriétés et de richesses qui marchent à sa suite. Quelques philosophes paraissent étonnés que l'homme puisse devenir propriétaire d'une portion de sol qui n'est pas son ouvrage, qui doit durer plus que lui, et qui n'est soumise qu'à des lois que l'homme n'a point faites. Mais cet étonnement ne cesse-t-il pas, si l'on considère tous les prodiges de la main-d'œuvre, c'est-à-dire tout ce que l'industrie de l'homme peut ajouter à l'ouvrage de la nature? Les productions spontanées de notre sol n'eussent pu suffire qu'à des hordes errantes de sauvages, uniquement occupées à tout detruire pour fournir à leur consommation, et réduites à se dévorer entre elles après avoir tout détruit. Des peuples simplement chasseurs ou pasteurs n'eussent jamais pu former de grands peuples. La multiplication du genre humain a suivi partout les progrès de l'agriculture et des arts; et cette multiplication, de laquelle sont sorties tant de nations qui ont brillé et qui brillent encore sur le globe, était entrée dans les vastes desseins de la providence sur les enfants des hommes. Oui, citoyens législateurs, c'est par notre industrie que nous avons conquis le sol sur lequel nous existons; c'est par elle que nous avons rendu la terre plus habile, plus propre à devenir notre demeure. La tâche de l'homme était, pour ainsi dire, d'achever le grand ouvrage de la création. Or, que deviendraient l'agriculture et les arts sans la propriété foncière, qui n'est que le droit de posséder avec continuité la portion de terrain à laquelle nous avons appliqué nos pénibles travaux et nos justes espérances?

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4. Quand on jette les yeux sur ce qui se passe dans le monde, on est frappé de voir que les divers peuples connus prospèrent bien moins en raison de la fertilité naturelle du sol qui les nourrit, qu'en raison de la sagesse des maximes qui les gouvernent. 'immenses contrées, dans lesquelles la nature semble d'une main libérale répandre tous ses bienfaits, sont condamnées à la sterilité, et portent l'empreinte de la dévastation, parce que les propriétés n'y sont point assurées. Ailleurs l'industrie, encouragée par la certitude de jouir de ses propres conquêtes, transforme des déserts en campagnes riantes, creuse des canaux, dessèche des marais et couvre d'abondantes moissons des plaines qui ne produisaient jusque-là que la contagion et la mort. A côté de nous un peuple industrieux, aujourd'hui notre alfié, a fait sortir du sein des eaux la terre sur laquelle il s'est établi, et qui est entièrement l'ouvrage des hommes. En un mot, c'est la propriété qui a fondé les sociétés humaines. C'est elle qui a vivifié, étendu, agrandi notre propre existence. C'est par elle que l'industrie de l'homme, cet esprit de mouvement et de vie qui anime tout, a été portée sur les eaux, et a fait éclore sous les divers climats tous les germes de richesse et de puissance.

5. Ceux-là connaissent bien mal le cœur humain qui regardent la division des patrimoines comme la source des querelles, des inégalités et des injustices qui ont affligé l'humanité. On fait honneur à l'homme qui erre dans les bois et sans propriete, de vivre dégagé de toutes les ambitions qui tourmentent nos petites âmes. N'imaginons pas pour cela qu'il soit sage et modéré; il n'est qu'indolent. Il a peu de désirs, parce qu'il a peu de connaissances. Il ne prévoit rien, et c'est son insensibilite même sur l'avenir qui le rend plus terrible quand il est vivement secoué par l'impulsion et la présence du besoin. Il veut alors obtenir par la force ce qu'il a dédaigné de se procurer par le travail : il devient injuste et cruel.-D'ailleurs, c'est une erreur de penser que des peuples chez qui les propriétés ne seraient point divisées n'auraient aucune occasion de querelle: ces peuples ne se disputeraient-ils pas la terre vague et inculte, comme parmi nous les citoyens plaident pour les héritages? ne trouveraient-ils pas de frequentes occasions de guerre pour leurs chasses, pour leurs pèches, pour la nourriture de leurs bestiaux ?- L'état sauvage est l'enfance d'une nation, et l'on sait que l'enfance d'une nation n'est pas son âge d'innocence.

Loin que la division des patrimoines ait pu détruire la justice et la morale, c'est au contraire la propriete, reconnue et constatée par cette division, qui a développé et affermi les premières règles de la morale et de la justice. Car, pour rendre à chacun le sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose. J'ajoute que les hommes portant leurs regards dans l'avenir, et sachant qu'ils ont quelque bien à prendre, il n'y en a aucun qui n'ait à craindre pour soi la représaille des torts qu'il pourrait faire à autrui.

6. Ce n'est pas non plus au droit de propriété qu'il faut attribuer l'origine de l'inégalité des hommes.-Les hommes ne naissent égaux ni en taille, ni en force, ni en industrie, ni en talents. Le hasard et les événements mettent encore entre eux des differences. Ces inégalités premières, qui sont l'ouvrage mème de la nature, entraînent nécessairement celles que l'on rencontre dans la société.-On aurait tort de craindre les abus de la richesse et des differences sociales qui peuvent exister entre les hommes: l'humanité, la bienfaisance, la pitié, toutes les vertus dont la semence a été jetée dans le cœur humain, supposent ces differences, et ont pour objet d'adoucir et de compenser les inégalités qui en naissent, et qui forment le tableau de la vie.- De plus, les besoins réciproques et la force des choses établissent entre celui qui a peu et celui qui a beaucoup, entre l'homme industrieux et celui qui l'est moins, entre le magistrat et le simple particulier, plus de liens que tous les faux systemes ne pourraient en rompre. N'aspirons donc pas à être plus humains la nature, ni plus sage que la nécessité.

que

7. Aussi vous vous empresserez, législateurs, de consacrer par vos suffrages le grand principe de la propriété, présenté par le projet de loi comme le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue. Mais comme les hommes vivent en société et sous des lois, ils ne sauraient avoir le droit de contrevenir aux lois qui regissent la société. Il est d'une législation bien ordonnée de régler l'exercice du droit de propriété comme on règle l'exercice de tous les autres droits. Autre chose est l'indépendance, autre chose est la liberté. La véritable liberté ne s'acquiert que par les acrifice de l'indépendance.-Les peuples qui vivent entre eux dans l'etat de nature sont indépendants sans être libres; ils sont toujours forçants ou forcés. Les citoyens sont libres sans être indépendants, parce qu'ils sont soumis

dement de la propriété. Écartant le système d'une communauté originaire que quelques écrivains avaient admis, il trouve le

à des lois qui les protégent contre les autres et contre eux-mêmes.-La vraie liberté consiste dans une sage composition des droits et des pouvoirs individuels avec le bien commun. Quand chacun peut faire ce qui lui plaft, il peut faire ce qui nuit à autrui; il peut faire ce qui nuit au plus grand nombre. Le silence de chaque particulier opérerait infailliblement le malhenr de tous. Il faut donc des lois pour diriger les actions relatives à l'usage des biens, comme il en est pour diriger celles qui sont relatives à l'usage des facultés personnelles. On doit être libre avec les lois, et jamais contre elles. De là, en reconnaissant dans le propriétaire le droit de jouir et de disposer de sa propriété de la manière la plus absolue, nous avons ajouté, pourvu qu'il n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements,

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8. C'est ici le moment de traiter une grande question: Quel est le pouvoir de l'Etat sur les biens des particuliers? -Au citoyen appartient la propriété, et au souverain l'empire (a. Telle est la maxime de tous les pays et de tous les temps. C'est ce qui a fait dire aux publicistes que la libre et tranquille jouissance des biens que l'on possède est le droit essentiel de tout peuple qui n'est point esclave; que chaque citoyen doit garder sa propriété sans trouble; que cette propriété no doit jamais recevoir d'atteinte, et qu'elle doit être assurée comme la constitution même de l'Etat (b). — L'empire, qui est le partage du souverain, ne renferme aucune idée de domaine proprement dit (c). Il consiste uniquement dans la puissance de gouverner. Il n'est que le droit de prescrire et d'ordonner ce qu'il faut pour le bien général, et de diriger en conséquence les choses et les personnes. Il n'atteint les actions libres des citoyens qu'autant qu'elles doivent être tournées vers l'ordre public. Il ne donne à l'Etat, sur les biens des citoyens, que le droit de régler l'usage de ces biens par des lois civiles, le pouvoir de disposer de ces biens pour des objets d'utilité publique, la faculte de lever des impôts sur les mêmes biens. Ces différents droits réunis forment ce que Grotius (d), Puffendorf (e), et autres, appellent le domaine éminent du souverain; mots dont le vrai sens, developpé par ces auteurs, ne suppose aucun droit de propriété, et n'est relatif qu'à des prerogatives inséparables de la puissance publique.

Cependant des jurisconsultes celebres craignant que, dans une matière aussi délcate, on ne pût trop aisément abuser des expressions les plus innocentes, se sont élevés avec force contre les mots domaine éminent, qu'ils ont regardés comme pleins d'incorrection et d'inexactitude. Les discussions les plus solennelles sur ce point ont longtemps fixé l'attention de toutes les universités de l'Europe (f). Mais il faut convenir que cette dispute se réduisait à une pure question de mots, puisqu'en lisant les ouvrages qui ont été respectivement publiés on s'aperçoit que tous nos controversistes s'accordent sur le fond même des choses, et que ceux d'entre eux qui parlaient des prérogatives du domaine éminent, les limitaient aux droits que les autres faisaient dériver de l'empire ou de la souveraineté.

En France, et vers le milieu du dernier siècle, nous avons vu paraître des écrivains dont les opinions systématiques étaient vraiment capables de compromettre les antiques maximes de l'ordre naturel et social. Ces écrivains substituaient au droit incontestable qu'a l'Etat ou le souverain de lever des subsides, un prétendu droit de copropriété sur le tiers du produit net des biens des citoyens. Les hommes qui prêchaient cette doctrine se proposaient de remplacer toutes les lois fondamentales des nations par la prétendue force de l'évidence morale, presque toujours obscurcie par les intérêts et les passions, et toutes les formes connues de gouvernement par un despotisme légal (g), qui impliquerait contradiction jusque dans les termes; car le mot despotisme, qui annonce le fleau de l'humanité, devait-il jamais être placé à côté du mot légal, qui caractérise le règne bien aisant des lois? Heureusement toutes ces erreurs viennent échouer contre les principes consacrés par le droit nature et public des nations. Il est reconnu partout que les raisons qui motivent pour les particuliers la nécessité du droit de proprieté, sont étrangères à l'Etat ou au souverain, dont la vie politique n'est pas sujette aux mêmes besoins que la vie naturelle des individus. -Nous convenons que l'Etat ne pourrait subsister s'il n'avait les moyens de pourvoir aux frais de son gouvernement; mais en se procurant ces moyens par la levée des subsides, le souverain n'exerce point un droit de propriete: il n'exerce qu'un simple pouvoir d'administration. C'est encore, non comme propriétaire supérieur et universel du territoire, mais comme administrateur suprême de l'intérêt public, que le souverain fait des lois civiles pour régler l'usage des propriétés privées Ces propriétés ne sont la matière des lois que comme objet de protection et de garantie, et non comme objet de disposition arbitraire Les lois ne sont pas de purs actes de puissance; ce sont des actes de justice et de raison Quand le législateur publie des règlements sur les propriétés particulières, il n'intervient pas comme maître, mais uniquement comme arbitre, comme régulateur, pour le maintien du bon ordre et de la paix.

9. Lors de l'étrange révolution qui fut opérée par l'établissement du régime féodal, toutes les idées sur le droit de propriété furent dénaturees et toutes les veritables maximes furent obscurcies; chaque prince dans ses Etats voulut s'arroger des droits utiles sur les terres des particuliers, et s'attribuer le domaine absolu de toutes les choses publiques. C'est dans ce temps que l'on vit naître cette foule de règles extraordinaires qui régissent encore la plus grande partie de l'Europe, et que nous avons heureusement proscrites. Cependant, à travers toutes ces règles, quelques étincelles de raison qui s'échappaient laissaient toujours entrevoir les vérités sacrées qui doivent regir l'ordre social. - Dans les contrées où les lois féodales dominent le plus, on a constamment reconnu des biens libres et allodiaux; ce qui prouve que

(a) Omnia rex imperio possidet, singuli dominio. Sénèque, lib. 7, chap. 4 et 5 De beneficiis.

(b) Bohemer, Introductio in jure publico, p. 250.-Le Bret, de la Someraineté, liv. 4, chap. 10.-Esprit des lois, liv. 8, chap. 2.

(e) Imperium non includit dominium feudorum vel rerum quarumque civium. Wolf, Jus naturæ, part. 1, § 103.

(d) De la paix et de la guerre, liv. 1, chap. 1, § 6; chap. 3, § 6, liv. 2, chap. 14, §7; liv. 3, chap. 20.

(e) Du droit de la nature et des gens, liv. 8, chap. 5.

(f) Fleicher, Institutiones juris naturæ el gentium, liv. 3, chap. 11, § 2. Leyser, dans sa dissertation Pro imperio contra dominium eminens, imprimée à Wirtemberg en 1673.

(g) Voyez un ouvrage intitulé: de l'Ordre essentiel des sociétés politiques.

principe générateur de cette institution dans les besoins de l'homme et dans son industrie; il montre la propriété existant

I'on n'a jamais regardé la seigneurie féodale comme une suite nécessaire de la souveraineté. Dans ces contrées, on distingue dans le prince deux qualités, celle de supérieur dans l'ordre des fiefs, et celle de magistrat politique dans l'ordre commun. On reconnaît que la seigneurie féodale ou la puissance des fiefs n'est qu'une chose accidentelle qui ne saurait appartenir à un souverain, comme tel. On ne rauge dans la classe des prérogatives de la puissance souveraine que celles qui appartiennent essentiellement à tout souverain, et sans lesquelles il serait impossible de gouverner une société politique.

10. On a toujours tenu pour maxime que les domaines des particuliers sont des propriétés sacrées qui doivent être respectées par le souverain lui-même. - D'après cette maxime, nous avons établi, dans le projet de loi, que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.-L'Etat est, dans ces occasions, comme un particulier qui traite avec un autre particulier. C'est bien assez qu'il puisse contraindre un citoyen à lui vendre son héritage, et qu'il lui ôte le grand privilege qu'il tient de la loi naturelle et civile de ne pouvoir être forcé d'aliener son bien. Pour que l'Etat soit autorisé à disposer des domaines des particuliers, on ne requiert pas cette nécessité rigoureuse et absolue qui donne aux particuliers même quelque droit sur le bien d'autrui (a). I'es motifs graves d'utilité publique suffisent, parce que, dans l'intention raisonnablement présumée de ceux qui vivent dans une société civile, il est certain que chacun s'est engagé à rendre possible par quelque sacrifice personnel ce qui est utile à tous; mais le principe de l'indemnité due au citoyen dont on prend la propriété est vrai dans tous les cas, sans exception. Les charges de l'Etat doivent être supportées avec égalité et dans une juste proportion. Or, toute égalité, toute proportion serait détruite, si un seul ou quelques-uns pouvaient jamais être soumis à faire des sacrifices auxquels les autres citoyens ne contribueraient pas.

11. Après avoir déterminé le pouvoir de l'Etat sur les propriétés particulières, on a cherché à régler l'étendue et les limites du droit de propriété, considere en lui-même et dans ses rapports avec les diverses espèces de biens. Il résulte de tout ce qui a été dit que le droit de proprieté s'applique tant aux meubles qu'aux immeubles.

12. C'est un principe constant chez toutes les nations policées que la propriété d'une chose soit mobilière, soit immobilière, s'étend sur tout ce que celle chose produit. En conséquence les fruits naturels ou industriels de la terre; les fruits civils; le croit des animaux, appartiennent au proprietaire ; On appelle fruits naturels de la terre ceux qu'elle produit sans le secours de l'art. On appelle fruits industriels ceux que la terre ne produirait pas sans le travail de l'homme. On ne eroit pas avoir besoin de motiver la disposition qui rend proprietaire de ces fruits celui qui est déjà propriétaire de la terre même; car, dans l'ordre et la marche des idees, c'est la nécessité de reconnaître le droit du cultivateur sur les fruits provenus de son travail et de sa culture, qui, au moins jusqu'à la récolte, a fait supposer et reconnaître son droit sur le fonds même auquel il a appliqué ses labours. C'est ainsi que d'année en année le cultivateur s'assurant les mêmes droits par les mêmes travaux, la jouissance s'est changée pour lui en possession continue, et la possession continue en propriété. Il faut donc bien avouer que le propriétaire du fonds est nécessairement proprietaire des fruits, puisque c'est le droit originaire du cultivateur sur les fruits qui a fondé la propriété même du sol. — De plus, la propriété du sol serait absolument vaine, si on la séparait des emoluments naturels ou industriels que ce sol produit. L'usufruit peut être séparé à temps de la propriété par convention ou par quelque titre particulier; mais la propriété et l'usuiruit vont nécessairement ensemble, si l'on ne consulte que l'ordre commun et général.- La règle que nous avons établie pour les fruits naturels et industriels de la terre s'applique au croît des animaux qui sont élevés et nourris par nos soins, et aux fruits civils qui sont le résultat d'une obligation légale ou volontaire.

13. Comme on ne peut recueillir sans avoir semé, les fruits n'appartiennent au propriétaire du sol qu'à la charge de rembourser les frais des labours, travaux el semences faits par des tiers. Il serait trop injuste de percevoir l'emolument sans supporter la dépense, ou sans payer les travaux qui le produisent.

14. On a toujours distingué le simple possesseur d'avec le véritable propriétaire : la propriété est un droit, la simple possession n'est qu'un fait. Un homme peut être en possession d'une chose ou d'un fonds qui ne lui appartient pas des lors peut-il s'approprier le produit de cette chose ou de ce fonds? On décide, dans le projet de loi, que le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. La bonne foi est constatée quand le possesseur jouit de la chose comme proprietaire et en vertu d'un titre translatif de propriété dontil ignore les vices. Il est censé ignorer les vices de son titre tant qu'on ne constate pas qu'il les connaissait. La loi civile ne scrute pas les consciences. Les pensées

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ne sont pas de son ressort; à ses yeux le bien est toujours prouvé quand le mal ne l'est pas.

15. Non-seulement le droit de propriété s'étend sur tout ce qui est produit par la chose dont on est propriétaire, mais il s'étend encore sur tout ce qui s'y unit et s'y incorpore, soit naturellement, soil artificiellement. C'est ce qu'on appelle droit d'accession. - Pour bien apprécier le droit d'accession, il est nécessaire de parler séparément des choses mobilières et des choses immobilières.

16. Nous avons posé le principe que la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. Nous en avons conclu que le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions, et au-dessous toutes les constructions el fouilles qu'il juge convenables. On comprend que la propriété serait imparfaite, si le proprietaire n'était libre de mettre à profit pour son usage toutes les parties extérieures et intérieures du sol ou du fonds qui lui appartient, et s'il n'était le maître de tout l'espace que son domaine renferme Nous n'avons pourtant pas dissimulé que le droit du propriétaire, quelque étendu qu'il soit, comporte quelques limites que l'état de société rend indispensables.. - Vivant avec nos semblables, nous devons respecter leurs droits, comme ils doivent respecter les nôtres. Nous ne devons donc pas nous permettre, même sur notre fonds, des procédes qui pourraient blesser le droit acquis d'un voisin ou de tout autre. La necessite et la

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(a) On sait le droit qu'a tout propriétaire qui n'a point d'issue pour arriver à son domaine, d'obliger les propriétaires à lui donner, en payant, passage sur leurs propres terres.

TOME XXXVIL

partout où se trouvent des hommes, même chez le sauvage, et en conclut avec raison qu'elle est inhérente à la nature humaine,

multiplicité de nos communications sociales ont amené, sous le nom de servitudes et sous d autres, des devoirs, des obligations, des services, qu'un propriétaire ne pourrait méconnaître sans injustice et sans rompre les liens de l'association commune. - En général les hommes sont assez clairvoyants sur ce qui les touche: on peut se reposer sur l'énergie de l'intérêt personnel du soin de veiller sur la bonne culture. La liberté laissée au cultivateur et au propriétaire fait de grands biens et de petits maux L'intérêt public est en sûreté quand, au lieu d'avoir un ennemi, il n'a qu'un garant dans l'intérêt privé. · Cependant, comme il est des propriétés d'une telle nature que l'intérêt particulier peut se trouver facilement et frequemment en opposition avec l'intérêt général dans la manière d'user de ces propriétés, on a fait des lois et des règlements pour en diriger l'usage: tels sont les domaines qui consistent en mines, en forêts et en d'autres objets pareils, et qui ont dans tous les temps fixé l'attention du législateur. Dans nos grandes cités, il importe de veiller sur la régularité et même sur la beauté des édifices qui les décorent. Un propriétaire ne saurait avoir la liberté de contrarier par ses constructions particulière les plans généraux de l'administration publique. Un propriétaire, soit dans les villes, soit dans les champs, doit encore se resigner à subir les gênes que la police lui impose pour le maintien de la sûreté commune.- Dans toutes ces occurrences, il faut soumettre toutes les affections privées, toutes les volontés particulières, à la grande pensée du bien public.

17. Après avoir averti les propriétaires de l'étendue et des limites naturelles de leurs droits, on s'est occupé des hypothèses dans lesquelles la propriété foncière ou immobilière peut accidentellement s'acc oltre. Il peut arriver, par exemple, qu'un tiers vienne faire des plantations dans le fonds d'autrui, ou y construire un édifice: à qui appartient cet édifice ou cette plantation? Nous supposons le tiers de bonne foi; car s'il ne l'etait pas, s'il n'avait fait qu'un acte d'émulation et de jalousie, son procédé ne serait qu'une entreprise, un attentat. Il ne s'agirait point de peser un droit, mais de réprimer un delit.-Les divers jurisconsultes ne se sont point accordés sur la question de savoir si la plantation faite dans le fonds d'autrui appartient à celui qui a planté ou au propriétaire du fonds sur lequel la plantation a été faite. Les uns ont opiné pour le proprietaire du fonds, et les autres pour l'auteur de la plantation.Il en est qui ont voulu etablir une sorte de société entre le planteur et le propriétaire foncier, attendu que d'une part les plantes sont alimentées par le fonds, et que d'autre part elles ont par elles-mêmes un prix, une valeur qui ont été fournis par tout autre que celui à qui le fonds appartenait. Il faut, a-t-on dit, faire un partage raisonnable entre les parties intéressées. Cette opinion est celle de Grotius et de quelques autres publicistes célèbres: Grotius a été réfuté par Puffendorf, ce dernier a fait sentir avec raison tous les inconvénients qu'il y aurait à établir une société forcée entre des hommes qui n'ont pas voulu être associes; il a prouvé qu'il serait impossible de conserver l'égalité entre les parties intéressées dans le partage des produits d'une telle société; il a observé qu'il serait dangereux d'asservir ainsi une propriété foncière à l'insu et contre le gré du propriétaire, et que d'ailleurs chacun étant maître par le droit de faire cesser toute possession indivise et de séparer ses intérêts de ceux d'autrui, il n'y avait aucun motif raisonnable d'imposer au propriétaire d'un fonds une servitude insolite et aussi contraire au droit naturel qu'au droit civil. A travers les differents systèmes des auteurs, nous sommes remontés au droit romain, qui décide qu'en général tout doit céder au sol qui est immobile, et qu'en conséquence dans la nécessité de prononcer entre le propriétaire du sol et l'auteur de la plantation, qui ne peuvent demeurer en communion malgré eux pour le même objet, le propriétaire du sol doit avoir la préférence, et obtenir la propriété des choses qui ont été accidentellement réunies à son fonds. La loi romaine ne balance pas entre le propriétaire foncier et le tiers imprudent qui s'est permis, avec plus ou moins de bonne foi, une sorte d'incursion dans la propriété d'autrui. Dans le projet de loi, nous sommes partis du principe que toutes les plantations faites dans un fonds sont censées faites par le propriétaire de ce fonds et à ses frais, si le contraire n'est prouve.

18. Nous donnons au propriétaire du sol sur lequel un tiers a fait des plantations la faculté de les conserver ou d'obliger ce tiers à rétablir les lieux dans leur premier état. Dans le premier cas, nous soumettons le propriétaire à payer la valeur des plantations qu'il conserve et le salaire de la main-d'œuvre, sans égard à ce que le fonds même peut avoir gagné par la plantation nouvelle. Dans le second cas, le tiers planteur est obligé de rétablir les lieux à ses propres frais et dépens; il peut même être exposé à des dommages et intérêts; il supporte la peine de sa légèreté et de son entreprise. Nous avons suivi l'esprit des lois romaines. Nous décidons par les mêmes principes les questions relatives aux constructions de bâtiments et autres ouvrages faits par un tiers sur le sol d'autrui; nous donnons au propriétaire la même alternative. Nous avons pensé qu'on ne saurait trop avertir les citoyens des risques qu'ils courent quand ils se permettent des entreprises contraires au droit de propriété. - Nous avons excepte de la règle générale le cas où celui qui aurait planté ou construit dans le fonds d'autrui serait un possesseur de bonne foi, qui aurait été évincé sans être condamné à la restitution des fruits, et qui aurait planté ou construit pendant sa possession. Dans ce cas, le propriétaire est tenu, ou de payer la valeur des constructions ou plantations, ou de payer une somme égale à l'augmentation de valeur que ces plantations et constructions peuvent avoir apportée au sol.

19 Nous nous sommes occupés de l'hypothèse où le propriétaire d'un fonds fait des plantations et constructions avec des materiaux qui appartiennent, à un tiers. Nous avons pensé, dans une telle hypothèse, que ce tiers n'a pas le droit d'enlever ses matériaux, mais que le proprietaire du fonds doit en payer la valeur, et qu'il peut même, selon les circonstances, être condamné à des dommages-intérêts. Cela est fondé sur le principe que personne ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui. 20. Le projet de loi termine la grande question des alluvions. Il décide, conformément au droit romain, que l'alluvion profite au proprietaire riverain, soit qu'il s'agisse d'un fleuve ou d'une rivière navigable, floitable ou non, à la charge, dans le premier cas, de laisser le marche-pied ou chemin de halage conformément aux règlements. L'alluvion est un allerrissement ou accroissement qui se forme insensiblement aux fonds riverains d'un fleuve ou d'une rivière Les principes

de la féodalite avaient obscurci cette matière; on avait été jusqu'à prétendre que les alluvions formees par les fleuves et rivières appartenaient au prince, lorsqu'il s'agissait d'une rivière ou d'un fleuve navigable; ou au seigneur haut-justicier, lorsqu'il s'agissait d'une rivière ou d'un fleuve non navigable. Les propriétaires

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doctrine avec énergie et réduit le domaine éminent de l'État aux trois points suivants : droit de régler l'usage des biens des citoyens par des lois civiles; pouvoir de disposer de ces biens pour des objets d'utilité publique; faculté de lever des impôts sur ces mêmes biens. Après avoir ainsi posé les principes qui forment la philosophie de la matière, abordant l'examen des dispositions dont se compose le titre qui nous occupe, l'orateur en explique l'esprit et les motifs avec cette clarté, cette précision, cette noblesse de style qui forment, en quelque sorte, le caractère distinctif de son talent.

que son principe réside dans la constitution même de notre être | tiers du produit net des biens des citoyens; il repousse cette el dans nos différentes relations avec les objets qui nous entourent; puis il décrit à grands traits l'influence qu'elle exerce sur le développement de l'humanité, sur l'agriculture, les arts, sur l'accroissement de la population, sur la fondation des cités, et fait en quelque sorte toucher du doigt les merveilleuses transformations qu'elle opère dans la nature elle-même; enfin il justifie a division des patrimoines et oppose une réfutation lumineuse à l'accusation paradoxale dont elle a été l'objet d'être la source des querelles, des inégalités et des injustices qui ont affligé l'humanité. Passant de là à un autre ordre d'idées, il examine quel est le pouvoir de l'État sur les biens des particuliers et s'applique à le renfermer dans de justes limites. Quelques écrivains avaient prétendu attribuer au souverain un droit de copropriété sur le

riverains étaient entièrement écartés par la plupart des contumes. Dans les pays de droit écrit, ces propriétaires s'étaient pourtant maintenus dans leurs droite; mais on voulut les en dépouiller peu d'années avant la révolution, et l'on connaît à cet egard les réclamations solennelles de l'ancien parlement de Bordeaux, qui repoussa avec autant de lumières que de courage les entreprises du fise, et les intrigues anbitieuses de quelques courtisans dont le fise n'était que le prête-nom. - Il fut etabli à cette époque que les alluvions doivent appartenir au propriétaire riverain, par cette maxime naturelle que le profit appartient à celui qui est expose à souffrir le dommage. Des propriétés riveraines sont menacées plus qu'aucune autre. Il existe, pour ainsi dire, une sorte de contrat aléatoire entre le propriétaire du fonds riverain et la nature, dont la marche peut à chaque instant ravager ou accroître ce fonds. Le système féodal a disparu; conséquemment il ne peut plus faire obstacle au droit des riverains. Mais dira-t-on que les fleuves et les rivieres navigables sont des objets qui appartiennent au droit public et des gens, et qu'ainsi les alluvions produites par ces fleuves et par ces rivières ne peuvent devenir la matière d'une propriété privée? Nous répondrons avec Dumoulin que les propriétés privées ne peuvent certainement s'accroître des choses dont l'usage doit demeurer essentiellement public, mais que toutes celles qui sont susceptibles de possession et de domaine, quoiqu'elles soient produites par d'autres qui sont régies par le droit public, peuvent devenir des proprietes privees, et le deviennent en effet, comme les alluvions qui sont produites par les fleuves et les rivières navigables, et qui sont susceptibles par elles-mêmes d'être possedées par des particuliers, à l'instar de tous les autres héritages. Nous avons cru devoir rétablir les propietaires riverains dans I exercice de leurs droits naturels. Nous les avons seulement soumis, relativement aux fleuves et rivières navigables, à laisser libre l'espace de terrain suffisant pour ne pas nuire aux usages publics.

21. Ce que nous avons dit des alluvions s'applique aux relais que forme l'eau courante qui se retire insensiblement de l'une de ses rives en se portant vers l'autre. Le propriétaire de la rive découverte profite de ces relais, sans que le iverain du côté opposé puisse venir réclamer le terrain qu'il a perdu Entre Iverains, l'incertitude des accidents forme la balance des pertes et des gains, et maintient entre eux un équilibre raisonnable. Les délaissements formés par la mer sont régis par d'autres principes, parce qu'ils tiennent à un autre ordre de choses: ils sont exceptes des maximes que nous avons établies.

22. Si un fleuve ou une riviere opère une revolution subite dans la propriété d'un riverain, et emporte une partie considérable de cette propriété pour la joindre à une autre, le propriétaire évincé par le fleuve ou par la riviere peut reclamer pendant un an la portion de terrain dont il a été si brusquement dépouille; mais après ce temps, il ne peut plus réclamer.

23. L'alluvion n'a pas lieu à l'égard des lacs et étangs, dont le proprietaire conserve toujours le terrain que l'eau couvre quand elle est à la hauteur de la décharge de l'etang, encore que le volume de l'eau vienne à diminuer.—Réciproquement le proprietaire de l'étang n'acquiert aucun droit sur les terres riveraines que son eau vient à couvrir dans les crues extraordinaires.- La justice de cette disposition est évidente par elle-même.

24. Quant aux îles, on distingue si elles se sont formées dans une rivière navigable ou flottable, ou dans une rivière qui n'a aucun de ces deux caracteres. Dans le premier cas, elles appartiennent à la nation; dans le second, elles se parlagent entre les riverains des deux côtes, si elles sont sur le milieu de la rivière, ou elles appartiennent au proprietaire riverain du côte où elles se sont formées. Si une rivière ou un fleuve, en se formant un bras nouveau, coupe et embrasse le champ d'un propriétaire riverain et en fait une île, ce proprietaire conserve la proprieté de son champ, encore que l'e se soit formée dans une rivière ou dans un fleuve navigable ou flottable. C'est la justice même qui commande cette exception. La cite dedaignerait un moyen d'acquérir qui aurait sa source dans la ruine et le malheur du citoyen.

25. Un fleuve ou une riviere abandonne-t-elle son ancien lit pour se former un nouveau cours? Les propriétaires des fonds nouvellement occupes prennent à titre l'indemnité l'ancien lit abandonné, chacun dans la proportion du terrain qui lui a té enlevé.

26. Les animaux peuvent sans doute devenir un objet de propriété. On distingue eurs différentes espèces.- La première est celle des animaux sauvages; la seconde celle des animaux domestiques; et la troisième celle des animaux qui ne sont ni entièrement domestiques, ni entièrement sauvages. Les animaux de la premiere espèce sont ceux qui ne s'habituent jamais au joug ni à la société de l'homme : le droit de proprieté sur ces animaux ne s'acquiert que par l'occupation, et il finit avec l'occupation même.- Les animaux domestiques ne sortent pas de la propriété du maître par la fuite; celui-ci peut toujours les réclamer. Les animaux de la troisième espèce, qui ne sont ni entièrement domestiques ni entierement sauvages, appartiennent, par droit d'accession, au propriétaire du fonds dans lequel ils ont ete se refugier, à moins qu'ils n'y aient éte attires par artifice. Les animaux de cette troisième espèce sont l'objet d'une disposition particulière du projet de loi. 27. Nous allons examiner actuellement le droit d'accession par rapport aux boses mobilières. - Ici la matière est peu susceptible de principes absolus; l'equité seule pent nous diriger.- La regie generale est que l'accessoire doit suivre

La communication officielle par le corps législatif au tribunat fut faite le lendemain de cette présentation, c'est-à-dire le 27 niv. Le 30, M. Faure, au nom de la section de législation du tribunat,

le principal, à la charge, par le propriétaire de la chose principale, de payer la valeur de la chose accessoire. Mais dans les choses mobilières la difficulté est de discerner la chose qui doit être réputée principale, d'avec celle qui ne doit être réputée qu'accessoire.-On répute chose accessoire celle qui n'a été unie que pour l'usage et l'ornement d'une autre.-Neanmoins, quand la chose unie est beaucoup plus précieuse que la chose principale, et quand elle a été employée à l'insu du propriétaire, celui-ci peut demander que la chose unie soit séparée pour lui être rendue, même quand il pourrait en résulter quelques dégradations de la chose à laquelle elle a été jointe.-Dans le doute, on peut regarder comme l'objet principal celui qui est le plus précieux, et regarder comme simplement accessoire celui qui est de moindre prix Dans les choses d'egale valeur c'est le volume qui détermine. 28. Si un artiste a donné une nouvelle forme à une matière qui ne lui appartenait pas, le proprietaire de la matière doit obtenir la preference en payant la maind'œuvre. S'il s'agit pourtant d'une vile toile animée par le pinceau d'un habile peintre, ou d'un bloc de marbre auquel le ciseau d'un sculpteur aura donné la respiration, le mouvement et la vie, dans ce cas et autres semblables, l'industrie l'emporte sur le droit du propriétaire de la matière première.

29. Une personne a-t-elle employé à un ouvrage quelconque une portion de matière qui lui appartenait et une portion qui ne lui appartenait pas, la chose devient commune aux deux propriétaires dans la proportion de leur intérêt respectif. -Si une chose a été formée par un mélange de plusieurs matières appartenant à divers proprietaires, le propriétaire de la matiere la plus considerable et la plus précieuse peut demander à garder le tout, en remboursant le prix des matières qui ne lui appartenaient pas.- Si on ne peut distinguer quelle est la plus precieuse des matieres mélangées, la chose provenue du melange demeurera commune à tous les divers proprietaires.- La communauté donne ouverture à la licitation.

30. Dans tous les cas où le proprietaire de la matière employee à un ouvrage sans son aveu peut réclamer l'entière propriété du tout, il lui est libre de demander le remplacement de sa matière en mème nature, quantite, poids, mesure bonté, ou d'exiger qu'on lui en paye la valeur.-Au reste, suivant les circonstances, le proprietaire a l'action en dommages-interêts, et même l'action criminelle contre celui qui a employé à son insu une matiere qui ne lui appartenait pas.-Les règles qui viennent d'être tracées ne sauraient convenir à toutes les hypotheses. Tout ca que peut le législateur en pareille occurrence c'est de diriger le juge. C'est à la sagesse du juge, dans une matière aussi arbitraire, à résoudre les differents cas qui peuvent se presenter, et qui n'ont pu être l'objet d'une prévoyance particulière. 51. Tel est, legislateurs, dans son ensemble et dans ses details, le projet de loi sur la propriété. Vous ne serez point surpris que ce projet se réduise à quelques definitions, à quelques règles générales: car le corps entier du code civil es consacré à définir tout ce qui peut tenir à l'exercice du droit de propriete; droit fondamental sur lequel toutes les institutions sociales reposent, et qui pour chaque individu est aussi precieux que la vie même, puisqu'il lui assure les moyens de la conserver. La cité n'existe, disait l'orateur romain, que pour que chacun conserve ce qui lui appartient. Avec le secours de cette grande verite, cet orateur philosophe arrétait de son temps tous les mouvements des factions occupées à desorganiser l'empire -C'est à leur respect pour la proprieté que les nations modernes sont redevables de cet esprit de justice et de liberté qui, dans les temps mème de barbarie, sut les défendre contre les violences et les entreprises du plus fort. C'est a propricte qui posa dans les forêts de la Germanie les premières bases du gouverne ment representatif. C'est elle qui a donné naissance à la constitution politique de nos anciens pays d'etats, et qui, dans ces derniers temps, nous a inspire le courage de secouer le joug et de nous délivrer de toutes les entraves de la feodalite. Legislateurs, la loi reconnaît que la propriété est le droit de jouir et de disposer. de son bien de la maniere la plus absolue, et que ce droit est sacré dans la personne du moindre particulier. Quel principe plus fecond en consequences utiles?Ce principe est comme l'àme universelle de toute la legislation; il rappelle aux citoyens ce qu'ils se doivent entre eux, et à l'Etat ce qu'il doit aux citoyens; il modère les impôts; il fixe le règne heureux de la justice; il arrète dans les actes de la puissance publique les grâces qui seraient préjudiciables aux tiers, il éclaire la vertu et la bienfaisance mème; il devient la règle et la mesure de la sage composition de tous les interêts particuliers avec l'interèt commun; il communique ainsi un caractère de maje 4é et de grandeur aux plus petits details de l'administration publique. Aussi vous avez vu le genie qui gouverne la France établir sur la propriete les fondements inebranlables de la République. Les hommes dont les possessions garantissent la fidelite sont appelés desormais à choisir ceux dont les lumieres, la sagesse et le zele doivent garantir les deliberations. En sanctionnant le nouveau code civil vous aurez affermi, législateurs, toutes nos institutions nationales. Dejà vous avez pourvu à tout ce qui concerne l'état des personnes : aujourd'hui vous commencez à régler ce qui regarde les biens. Il s'agit, pour ainsi dire, de lier la stabilité de la patrie à la stabilite même du territoire. On ne peut aimer sa propriete sans aimer les lois qui la protegent. En consacrant des maximes favorables à la proprieté vous aurez inspue l'amour des lois : vous n'aurez pas travaille seulement au bonheur des individus, à celui des familles particulieres, vous aurez crée un esprit public, vous aurez ouvert les véritables sources de in prosperite genérale, vous aurez préparé le bonheur de tous,

fit le rapport (1) à l'assemblée générale. Laissant de côté les généralités philosophiques qui avaient occupé dans l'exposé des

11) Rapport fait au tribunat par le tribun Faure, au nom de la section de légissaston, sur la loi relative à la propriété (séance du 30 niv. au 12).

32. Tribuns, des règles générales sur la propriété forment la matière du projet de loi soumis à votre examen. Ces règles ne sont relatives qu'à des questions qui appartiennent essentiellement à la loi civile.

Je n'examinerai point quelle est l'origine du droit de propriété, sur quels objets la propriété s'est d'abord fixée, quels ont été les progrès de ce droit depuis la formation des états politiques : ces questions d'un ordre supérieur ont exercé dans tous les temps les méditations des ecrivains les plus célèbres: elles viennent d'être l'objet des recherches de l'crateur éloquent qui a présenté le projet actuel au corps législatif; et les développements qu'il à donnés ont répondu à l'importance du sujet. S'il est bien démontre que l'origine du droit de propriete se perd dans la nuit des temps; s'il est évident qu'on ne peut à cet égard présenter autre chose que des conjectures plus ou moins vraisemblables, il est egalement certain que la propriete est la base de tout édifice politique, qu'une des premières conditions du pacte social est de protéger et de maintenir la propriete, que tout ce qui tient à cet objet est de la plus grande influence sur le sort des peuples, et enfin que plus les lois sur la propriete sont justes et sages, plus l'état est florissant et heureux Le projet dont je vais vous entretenir merite-t-il d'occuper entre ces lois un rang distingue? - C'est ce qua pensé la section de legislation dont je suis l'organe. — Je l'ai dit en commençant: Le projet n'etablit que des règles générales. -Jusqu'où s'étend le droit de propriété ? Quelles sont les limites de ce droit? Que pent-on reelama.omme accessoire de la propriete? Quelles obligations résultent de ces reclamations? - Telles sont, tribuns, les questions importantes que le projet

resont.

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33. Le propriétaire d'une chose a le droit d'en user comme il le juge à propos; qu'il la conserve ou qu'il la detruise, qu'il la garde ou qu'il la donne, il en est le maître absolu. Sans doute sa liberté peut en certains cas être limitée par des lois ou des règlements; mais cette limitation n'a lieu que lorsqu'elle est commandée par un interèt plus puissant : elle n'est établie que pour le bien général, auquel l'intérêt particulier doit toujours ceder Si, par exemple, la loi ne permet pas que le proprietaire d'une forêt la fasse défricher, c'est une précaution sage qu'elle prend pour la conservation d'un genre de richesses précieux sous tant de rapports à tous les membres de l'Etat. De même, si des règlements de police défendent à tout propriétaire de faire sur son propre terrain des constructions qui obstrueraient la voie publique; s'ils défendent de vendre et ordonnent même de jeter des aliments qui par leur nature pourraient occasionner des maladies, ou s'ils prohibent à tout autre qu'à des personnes de l'art de vendre des objets trop dangereux par leur nature pour être mis indiscretement à la disposition de tout le monde: ce sont autant de mesures nécessitées pár l'intérêt général; et chacun est censé avoir consenti d'avance à ces prohibitions auxquelles tous sont egalement intéressés.

34. Lorsqu'enfin l'utilité publique exige qu'une proprieté soit cédée, celui à qui cette propriete appartient ne peut s'y refuser. Il ne pretendra pas sans doute que son intérêt particulier, en supposant même que cet intérêt existe réellement, doit prévaloir sur celui de l'Etat en général : cette prétention serait en contradiction manifeste avec le pacte social, dont l'obligation est tellement rigoureuse que personne, sous quelque pretexte que ce soit, ne saurait s'en dispenser. L'étranger mème qui voudrait user de la propriété qu'il possède dans un autre pays que le sien, ne pourrait, en pareil cas, alleguer que n'ayant point souserit au pacte, il ne peut être tenu des obligations qu'il entraîne: on lui répondrait avec raison que par cela seul qu'il est proprietaire, il est soumis, quant à sa propriété, à toutes les lois du pays où elle se trouve. - Enfin, des que le proprietaire à qui l'Etat demande sa pro priété reçoit une indemnité proportionnée au sacrifice qu'il fait, dès qu'il est indemnisé avant d'ètre dessaisi, ce que l'individu doit à la societe et ce que celle-ci doit à l'individu sont également satisfaits. Telle doit être une loi juste, et telle est la disposition du projet.

Au

35. On vient de voir que l'usage de la chose dont on est propriétaire ne peut être restreint que par un motif d'utilité publique, et que lorsqu'on est dépouille de la ebose même, la société assure un dedommagement au propriétaire. Le projet s'occupe ensuite du premier effet de propriete La propriete, dit-il, donne droit nonseulement à tout ce qu'elle produit, mais encore à tout ce qui s'y unit de quelque manière que ce soit. - Ce droit est appele droit d'accession. Cette expression est celle de la loi romaine. Les fruits produits par la chose sont ranges dans la premiere classe des objets auxquels s'applique le droit d'accession. Le projet en distingue trois especes: Les fruits naturels, les fruits industriels, les fruits civils. Au premier cas, la nature agit seule; sa main bienfaisante n'appelle aucun secours étranger. second, elle invite l'homme à l'aider de son industrie; et, pour prix des travaux qu'elle lui demande, elle étend et multiplie ses jouissances. Au troisième, elle lui fait retirer d'une masse pecuniaire, c'est-à-dire de signes représentatifs de richesses foncières, un intérêt qui est aux fruits ce que le capital est au fonds.-Dans ces trois cas, l'accessoire est d'autant plus essentiel au principal, que sans lui le propriétaire du principal ne serait pas plus avancé que s'il n'avait rien. Il ne pourrait avoir quelque chose qu'en alienant le fonds ou en dissipant la somme qui le represente. Le même raisonnement est applicable au croît des animaux. Sans leur croft, ils ne forment qu'une propriété stérile: si pour qu'elle cesse d'ètre stérile on est obligé de l'aliener ou de la detruire, elle se perd en même temps qu'on en use. 36. Il arrive souvent que le proprietaire qui recueille les fruits de la chose n'a pas lui-même fait les frais de culture. Nul doute qu'il ne doive les rembourser à celui qui les a faits. Cette obligation est fondée sur une des premières règles d'équité, qui ne veut pas que personne s'enrichisse aux dépens d'autrui.

37. Lorsque la chose est en la possession d'un autre que le propriétaire, le possesseur est tenu de la rendre aussitôt qu'elle est revendiquee. Le projet n'exige pas que ce possesseur, s'il est de bonne foi, rende les fruits qu'il a perçus; il l'y astreint, s'il est de mauvaise foi. Cette distinction paraft infiniment juste. - Le possesseur de bonne foi, croyant que la chose lui appartenait, a joni des fruits comme d'un accessoire de sa propriété : on ne peut lui imputer aucune faute; et ce serait le punir comme coupable en le forçant à restituer ce qu'il n'a peut-être plus.

Il n'en est pas ainsi du possesseur de mauvaise foi. Des qu'il savait, quand il a perqu les fruits, que la chose ne lui appartenait pas, il savait également qu'il n'avait

motifs de M. Portalis une si grande place, il s'appliqua surtout à justifier, à commenter les règles positives adoptées par le lé

aucun droit aux fruits. Il devait conserver les fruits comme la chose au légitime propriétaire: c'est pour le propriétaire seul qu'il a joui, comme c'est pour lui seul qu'il a possédé; et rien ne doit être excepté de la restitution. Il est évident que la bonne foi n'a lieu qu'avec un titre dont on ignore les vices, et qu'on a pu croire valable. A l'instant même où le possesseur connaît ces vices, il doit rendre la chose tant qu'il la garde, ce n'est qu'un possesseur de mauvaise foi.-Le projet le dit formellement. Tel est le droit d'accession sur ce que la chose produit.

38. Les dispositions suivantes s'occupent du droit d'accession sur ce qui s'unit et s'incorpore à la chose. Toute chose est immobilière ou mobilière. Le projet considère l'une et l'autre séparément : il suppose d'abord le cas d'une propriété immobilière. Une règle trop ancienne et trop constante pour n'être pas bien connue, c'est que le propriétaire du sol peut planter et bâtir au-dessus, feuiller et construire au-dessous, en un mot élever ou creuser à telle hauteur ou profondeur qu'il lui plaît. L'exercice de ce droit est restreint à la verité par les iois sur c servitudes. Mais ces lois n'ont en vue que d'empêcher l'abus du droit et de forcer à supporter ce que dans la nature des choses chaque voisin doit souffrir. - Tout propriétaire est aussi tenu de se conformer aux lois ei règlements relatifs aux mines. L'exploitation de certaines mines intéresse la nation entière. Il doit se conformer aux lois et règlements de police. — L'action de la police intéresse la sûreté ei◄ tranquillité publiques. La restriction du droit de propriété en ces divers cas ess un effet nécessaire des obligations résultant du pacte social.

39. Les arbres plantés sur un terrain sont presumes l'avoir été aux frais d propriétaire du sol; celui-ci est également présumé propriétaire des arbres. Cette présomption est de droit, et dispense le maître du fonds de prouver d'une autre manière que les arbres lui appartiennent. Quelqu'un lui en conteste-t-il la propriété? c'est à celui qui réclame de justifier sa réclamation. Il en est de mème des constructions et ouvrages: la loi regarde comme propriétaire de ces objets le maître du fonds où ils se trouvent. Tant que le contraire n'est pas prouvé, la seule force de la loi suffit pour le maintenir dans cette qualité qu'elle lui donne. Ал surplus, la loi n'entend point porter atteinte aux droits des tiers résultant de la prescription. Un tiers qui aurait possede quelque partie d'un bâtiment pendant le laps de temps suffisant pour que la prescription fût acquise, ne pourrait être écarte à la faveur de la règle générale. Le proprietaire doit s'imputer d'avoir laissé prescrire, et, par le long silence qu'il a gardé, la loi le considère comme ayant tacitement consenti à ce que la propriété fût transmise au possesseur.

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40. Quoique le propriétaire du sol ait planté les arbres, quoiqu'il ait fait les constructions, il peut arriver que les arbres qu'il a employés, que les matériaux dont il s'est servi ne lui appartenaient point, qu'ils appartenaient à une autre personne.--Il ne serait pas juste que ce tiers en souffrft; il répugnerait à la raison que le propriétaire du sol profitât de ce qui n'était point à lui, sans en tenir compte au legitime propriétaire de ces objets.- Qu'il soit de bonne foi ou qu'il ne le soit pas, il doit également en payer la valeur; mais il ne doit que la valeur, s'il est de bonne foi. Le propriétaire, eût-il éprouvé quelque préjudice par la privation de ces objets, ne peut demander davantage ce qu'il exigerait de plus ne serait point le payement d'une dette; ce serait la punition d'une faute. Mais lorsqu'il n'y a point de faute, il ne peut y avoir de peine, et l'on n'est pas répréhensible pour avoir fait usage d'objets qu'on croyait être à soi. Si, quand on fait cet usage, on savait qu'on n'était pas propriétaire des objets employés, c'est alors qu'on est dans le cas de la mauvaise foi: alors on ne doit pas en être quitte pour payer la valeur de ces objets. Pour peu que celui à qui ils appartenaient ait éprouvé de dommage, le tors qui lui a ete fait doit être réparé. La justice doit condamner l'auteur de ce dommage à une réparation proportionnée. Si même les circonstances étaient de nature à faire croire qu'il avait l'intention de voler ces arbres ou ces matériaux, il serait poursuivi comme coupable de vol et pourrait être puni comme tel. Mais dans tous les cas, dans celui de la mauvaise foi comme dans celui de la bonne foi, les objets une fois employés ne peuvent être enlevés par celui qui en était le propriétaire; il serait plutôt reçu à faire vendre la chose, si son débiteur n'avait pas d'ailleurs assez pour le satisfaire. Enlever les arbres, serait souvent les détruire; enlever les matéria, serait dégrader la construction. L'équité ne permet pas de rendre le mal pour le mal; et souvent le résultat serait tres-sterile pour celui qui se serait ainsi vengé. 41. Le projet fait ensuite la supposition inverse. Il suppose que c'est un tiers qui a planté ou construit sur un fonds qui ne lui appartenait pas : il ne peut pas non plus enlever, malgré le proprietaire du fonds, ces arbres ou ces matériaux; mais celui-ci peut les retenir, ou le contraindre à les enlever.-Dès que la plantation est faite, dès que la construction est finie, l'une et l'autre font partie de la propriete du fonds par droit d'accession. Le propriétaire du fonds n'ayant point consenti à ces ouvrages est libre d'exiger que celui qui les a faits remette les choses dans l'etat où elles étaient avant qu'il piantat ou qu'il construisît; et, en ce cas, le propriétaire des arbres ou des matériaux ne peut se dispenser de les retirer: si en les retirant il degrade, il faut qu'il répare les degradations. En un mot le propriétaire du fonds doit être parfaitement indemnisé.Si, au contraire, le propriétaire du fonds aime mieux profiter des ouvrages, il ne tient qu'à loi de les retenir. Alors, voulant retenir ces ouvrages, il les approuve dès qu'il les approuve, il est censé les avoir commandés lui-même; et comme il eût été obligé de payer le prix des fournitures et de la main-d'œuvre, si dans le principe il les eût fait faire, son approbation ultérieure, qui le place dans cette même situation, l'assujettit aux mêmes obligations. Voici cependant une exception: - Le projet refuse au proprietaire du fonds le droit de demander la suppression des ouvrages dans le cas où celui qui les a faits possédait le sol de bonne foi et s'en regardait comme légitime propriétaire. La justice, en prononçant l'eviction, décidera s'il est ou non de bonne foi. S'il n'est pas de bonne foi, il sera nécessairement condamné à restituer les fruits. La justice aura donc reconnu sa bonne foi, lorsque le jugement ne portera pas cette condamnation contre lui. En ce cas, le propriétaire du fonds ne pourra se dispenser de garder les ouvrages; et comme ce n'est plus par sa volonté qu'il les retient, mais par la volonté de la loi, il n'est point astreint la nécessité de payer la valeur des arbres ou des matériaux et le prix de la main-d'œuvre. En effet, il est possible que la somme dont le fonds a augmenté de valeur soit inferieure à celle qu'il aurait à payer d'une autre manière le projet lui laisse le choix de l'une ou de l'autre. Enfin, d'après l'alternative qui lui est laissée, il peut à la vérité lui en coûter moins que la valeur de l'augmentation du fonds: il ne peut jamais être obligé de payer plus. La loi prend la sage précaution de mettre preuve de la bonne foi que lorsqu'elle

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