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la dernière de ces considérations qui l'émut, à ce que rapporte un écrivain dont le témoignage n'est pas suspect. «Chaque fois, dit M. de Vaulabelle dans son Histoire de la Restauration, que les ministres soumettaient la question (des ordonnances) à Charles X, ce prince leur opposait les arguments de la majorité de la commission; il invoquait comme celle-ci les droits de l'Église, la liberté de conscience ainsi que la charte, et défendait ses conclusions avec une ténacité d'autant plus obstinée que son étroite dévotion était plus sincère. M. de Martignac et ses collègues crurent cependant avoir fortement ébranlé cette résistance lors du dépôt de la proposition d'accusation contre le dernier ministère et firent entendre à Charles X que la majorité se montrerait probablement moins opiniâtre à poursuivre leurs devanciers si l'on donnait satisfaction à sa passion contre la Société de Jésus; ils avaient lieu d'espérer, disaient-ils, que le sacrifice des jésuites comme prêtres enseignants servirait de rançon à M. de Villèle. >>

Ainsi, dans la pensée des conseillers de Charles X, les ordonnances n'avaient pas d'autre portée que celle d'un expédient, et, loin d'y voir l'affirmation solennelle d'une maxime d'État, on devrait les considérer comme un simple accident de la vie parlementaire et des luttes passionnées qui marquèrent les dernières années de la Restauration. Quoi qu'il en soit, il nous a paru bon de rappeler ces faits. Isolées des circonstances politiques qui les provoquèrent, les ordonnances de 1828 ont pu être invoquées par

les adversaires de la liberté d'enseignement comme un des principes de notre droit public; placées dans leur milieu, considérées dans leurs rapports avec l'état des esprits dans les Chambres et dans le pays, il est plus facile de leur restituer leur véritable caractère et leurs proportions.

On sait d'ailleurs le peu de succès qu'eut cette concession in extremis; elle réussit tout juste à sauver M. de Villèle et ses collègues, elle ne sauva ni M. de Martignac ni la dynastie. Les jésuites n'avaient été pour l'opposition qu'un prétexte. Quand celui-là vint à lui manquer, elle n'eut pas de peine à en trouver d'autres. Un des membres les plus distingués du parti constitutionnel sous la Restauration nous a laissé sur ce point un précieux témoignage. M. le comte Beugnota pu, sans être démenti, faire en 1836 à la tribune de la Chambre des députés cet aveu bien digne d'être médité : « Vous vous rappelez, messieurs, la croisade que nous fìmes contre les jésuites. Je ne sais si mes souvenirs me trompent, mais il me semble qu'en 1828 nous poursuivions toute autre chose que les jésuites. Je rappellerai aux personnes qui étaient alors dans l'opposition que, si les jésuites nous avaient manqué, nous aurions trouvé autre chose pour justifier et affirmer notre opposition, parce qu'elle était en effet légitime et nationale. » Que de rapprochements piquants on pourrait faire ici! Que de retours en arrière et de réflexions sur le rôle des oppositions!

1. Voir aussi les si curieux Souvenirs de M. le duc de Broglie, qui viennent de paraître,

On trouva donc « autre chose »; il est vrai que Charles X y mit du sien. Seulement au lieu de se faire au cri de: A bas les jésuites! 1830 se fit au cri de: Vive la charte! ce fut toute la différence.

Une révolution qui était le triomphe des idées libérales devait nécessairement donner beaucoup de force au principe de la liberté d'enseignement. En effet, la nouvelle charte inscrivit au nombre des objets que le législateur aurait à régler : « l'instruction publique et la liberté d'enseignement ». Cependant trois années s'écoulèrent avant que cette prescription constitutionnelle reçût un commencement d'exécution. C'est M. Guizot qui le premier, en 1833, eut l'honneur d'inaugurer dans le sens fixé par la charte la réforme de notre législation scolaire. La loi qu'il présenta aux Chambres à cette époque et qu'elles votèrent à une grande majorité supprimait le régime de l'autorisation préalable et le remplaçait par le système, aujourd'hui général, de la déclaration d'ouverture. Toutefois elle maintenait l'obligation du certificat de bonnes vie et mœurs et du brevet de capacité, pour l'instituteur libre aussi bien que pour les instituteurs publics. C'était un premier pas fait dans la voie de la liberté; mais c'était de beaucoup le plus facile. En réformant le régime des écoles primaires, M. Guizot était allé, sans doute, au plus pressé. Là, en effet, nul système antérieur, nulle organisation d'ensemble n'existait, tout était à faire ou du moins à constituer. Le gouvernement de Juillet avait pour ainsi dire carte blanche. Mais cette tâche, si importante qu'elle fût, n'était rien

en comparaison de celle qui l'attendait le jour où, pour se conformer aux promesses de la charte, il toucherait à l'organisation de 1808. De ce côté, le terrain était en quelque sorte hérissé d'obstacles; on n'y pouvait avancer qu'avec une extrême précaution. D'abord la charte laissait planer une certaine obscurité sur la question même de la liberté d'enseignement. Comment devait-on entendre l'article 69? Fallait-il l'interpréter dans le sens de la liberté réglée par des lois spéciales ou dans le sens de la liberté absolue, de la liberté comme en Belgique ? Les deux opinions avaient leurs partisans également convaincus. Dans la pensée des premiers, l'article 69 ne pouvait signifier qu'une chose c'est que le monopole universitaire devait disparaître et faire place à un régime de droit commun pour tous les citoyens, sauf la surveillance exercée par l'État sur les établissements libres et les garanties exigées de leurs professeurs. Suivant les autres, une liberté réglée de cette sorte, soumise à toutes ces conditions de grade et de surveillance, n'était qu'une forme de la servitude. Au lieu de faire disparaître le monopole, elle le consacrait; au lieu d'enlever à l'Université ses privilèges, elle maintenait son détestable << esprit d'inquisition et de fiscalité ». Au lieu d'abaisser les barrières, elle créait une sorte de << douane des intelligences ». Telles étaient les prétentions exclusives et contradictoires en face desquelles allait se trouver la monarchie de Juillet.

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1. Discours de M. de Montalembert dans la discussion de 1844 à la Chambre des pairs.

Ajoutez-y la question brûlante des écoles secondaires ecclésiastiques et des congrégations qu'il fallait s'attendre à voir revenir, et vous n'aurez qu'une faible idée des difficultés qui se préparaient. Toutefois, il faut lui rendre cette justice, le gouvernement du roi Louis-Philippe n'hésita pas à se jeter dans cette mêlée. Fort des promesses de la charte et désireux d'y faire honneur, il n'eut pas de cesse avant d'avoir apporté devant les Chambres un projet qui étendait à l'enseignement secondaire le principe de liberté déjà contenu dans la loi de 1833. Ce fut encore à M. Guizot que revint l'honneur de cette initiative. Lors de son second passage au ministère de l'instruction publique en 1836, il déposa sur la tribune de la Chambre des députés un projet qui devait servir de base à tous ceux qui furent successivement présentés et rejetés ou abandonnés dans les années postérieures, en 1841, 1844 et 1847. M. Guizot n'eut pas la prétention de faire une loi qui donnât satisfaction à toutes les exigences des partis extrêmes. « Nous ne sommes pas, lisons-nous dans son exposé des motifs, de ceux qui voient dans la prolongation indéfinie des mouvements, des idées et de l'esprit révolutionnaire la conséquence nécessaire et légitime de la révolution de 1830. Nous avons pensé de bonne heure que cette crise nationale devait être contenue dans les limites du grand résultat qu'elle avait glorieusement accompli et qu'il y avait hâte de ramener la société à sa marche légale et régulière. Mais nous n'en voulons pas moins dans leur plénitude les conséquences raisonnables de notre ré

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