Page images
PDF
EPUB

à l'impôt personnel, tel qu'il est organisé par la loi du 20 avril 1896. A défaut du cens ainsi fixé, on est électeur à l'une des conditions suivantes : 1° avoir occupé au 31' janvier, depuis le 1er août de l'année précédente, comme chef de famille ou célibataire, en vertu d'une location et sans interruption dans la même commune, au plus deux maisons ou parties de maisons pour chacune desquelles on a payé un loyer réel calculé par semaine, et qui varie, suivant l'importance de la commune, entre 2 florins et 0 fl. 80. Est équivalent le fait d'occuper comme propriétaire, usufruitier ou locataire, un bâtiment indépendant d'au moins 24 mètres cubes; 2° avoir, au 31 janvier et depuis le 1er janvier de l'année précédente, chez la même personne ou dans la même entreprise publique ou privée, été occupé comme employé, ou comme enfant habitant avec son père et coopérant à la profession ou emploi de celui-ci et avoir joui pendant cette année d'un revenu qui varie, suivant l'importance de la commune, entre 550 et 275 florins. Le logement et l'entretien gratuits, l'entretien des petits enfants sont comptés dans ce revenu, s'il y a lieu. La jouissance d'une pension de même valeur servie par un établissement public est considérée comme équivalente; 3° être propriétaire depuis plus d'un an, avec le droit d'en disposer librement, d'une inscription d'au moins 100 florins (nominaux) sur le Grand-Livre de la dette nationale, ou d'au moins 50 florins à la caisse d'épargne postale. du royaume; 4° avoir satisfait aux conditions de capacité qui sont exigées par la loi ou en vertu de la loi pour être nommé à certains emplois, pour exercer certaines professions ou métiers (352). J'ai résumé ce système, dans ses traits principaux, parce qu'il marque l'effort considérable (et probablement vain) que fait la législation de certains pays pour se rapprocher le plus possible du suffrage universel sans y tomber tout à fait. Il n'est guère d'ouvrier sérieux et régulier à qui la loi hollandaise n'ouvre le droit de suffrage; elle veut seulement écarter les nomades, les désœuvrés, les déclassés. Mais au prix de quelles complications elle est arrivée à ce résultat ? [Une révision de la constitution comprenant l'établissement du suffrage universel est en ce moment à l'étude (353).]

On le voit, le suffrage universel, idée simple, traduction d'un sentiment de justice instinctive, agit presque de nos jours avec l'universalité et la fatalité des forces naturelles. Ses progrès sont la marche même de la démocratie moderne.

(352) Cela comprend toutes les fonctions, emplois, professions ou métiers, pour l'obtention ou l'exercice desquels la loi exige une preuve de capacité ou un examen quelconques. L'ensemble des dispositions résumées ci-dessus forme les articles 1, 5 et 7

de la loi.

(353) [Viallate, Vie politique, 5° année, p. 233; 6 année, p. 231.]

§. - LA SOUVERAINETÉ NATIONALE ET LE GOUVERNEMENT
REPRÉSENTATIF.

C'est sous la forme du gouvernement représentatif, par l'élection des députés formant une Chambre délibérante et législative, que s'est attestée et exercée la souveraineté nationale dans les temps modernes. Devant cette donnée fournie par l'histoire, il semble qu'on ne puisse mettre en question la compatibilité et l'harmonie possibles entre le gouvernement représentatif et la souveraineté nationale. C'est pourtant une question ouverte, et qui mérite un examen attentif.

Pour la bien comprendre, il faut rappeler tout d'abord ce qu'on entend par la représentation dans le gouvernement représentatif, Ce qui caractérise les représentants du peuple souverain, c'est que dans la limite des attributions qui leur sont conférées, ils sont appelés à décider librement, arbitrairement, au nom du peuple, qui est censé vouloir par leur volonté et parler par leur bouche. Le délégué du souverain qui n'aurait en aucun cas un pouvoir de décision propre, dont tous les actes seraient déterminés d'avance par des règles légales ou par des instructions obligatoires, ou qui ne pourrait rien décider sans la ratification du souverain, celui-là ne serait pas un vrai représentant. « Dans l'ordre et les limites des fonctions constitutionnelles, ce qui distingue, disait Barnave, le représentant de celui qui n'est que simple fonctionnaire public, c'est qu'il est chargé dans certains cas de vouloir pour la nation, tandis que le simple fonctionnaire public n'est jamais chargé que d'agir pour elle. » (354). Et dans le même débat, Roederer, après avoir affirmé que « l'essence de la représentation est que chaque individu représenté vive, délibère dans son représentant, qu'il ait confondu, par une confiance libre, sa volonté individuelle dans la volonté de celui-ci », distinguait soigneusement les pouvoirs représentatifs et les pouvoirs commis (355).

Cette qualité de représentant, ainsi entendue, apparaît déjà chez les magistrats qui ont l'exercice du pouvoir judiciaire, bien qu'ils ne soient chargés, en principe, que d'appliquer la loi. Non seulement, en effet, c'est par un acte libre de leur intelligence, uniquement déterminé par les règles scientifiques de l'interprétation juridique, qu'ils appliquent les textes généraux aux espèces particu

(354) Assemblée constituante, séance du 10 août 1791.

(355) « Les députés au Corps législatif sont non seulement représentants du peuple, mais encore représentants du peuple pour exercer un pouvoir représentatif, par conséquent égal à celui du peuple, indépendant comme le sien, tandis que les administrateurs ne sont représentants du peuple que pour exercer un pouvoir commis, un pouvoir subdélégué et subordonné. >>

lières, mais aussi et surtout là où règne le système des preuves morales et non légales, ils décident des points de fait d'après leur conscience et leur clairvoyance personnelles. Ce caractère représentatif est plus nettement marqué, plus largement ouvert, chez le titulaire du pouvoir exécutif, partout où la Constitution admet un pouvoir exécutif plus ou moins indépendant (356). A côté des cas où il intervient simplement comme administrateur et pour faire exécuter la loi, il est des actes de gouvernement, nombreux et importants, qu'il détermine librement dans la mesure de son indépendance constitutionnelle. Enfin, la plénitude de son caractère représentatif apparaît dans les assemblées législatives: leur rôle est uniquement de vouloir et de décider arbitrairement, sauf sur les points que la Constitution leur interdit. C'est principalement, presque uniquement, en ce qui concerne le pouvoir législatif, que la question a été posée, soit en théorie, soit en pratique, de savoir Si le système représentatif est compatible avec le principe de la souveraineté nationale.

I

Jean-Jacques Rousseau l'a nié très nettement dans un passage célèbre du Contrat social. Ce n'est pas que lui ni aucun autre auteur moderne ait proposé, dans les grands Etats, la suppression des assemblées délibérantes. Elles sont nécessaires pour proposer et discuter la loi, pour en arrêter la rédaction et l'expression: seule, la démocratie suisse arrive parfois à se passer de leur concours dans les formes les plus directes de l'initiative populaire. Mais, dans la théorie de Rousseau et de ses modernes disciples, l'œuvre des assemblées n'est jamais définitive par elle-même; ce n'est qu'un projet qui ne peut devenir loi que par la ratification directe du peuple souverain. Voici comment s'est exprimé le maître: « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée. Elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté générale ne se représente point: elle est la même ou elle est autre, il n'y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc et ne peuvent être ses représentants; ils ne sont que ses commissaires; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est

(356) La Constitution de 1793 refusait nettement le caractère représentatif au Conseil exécutif qu'elle instituait et faisait élire par le Corps législatif; Rapport sur la Constitution du peuple français, fait par Hérault-Séchelles à la Convention, dans la séance du 10 juin 1793 (Réimpression de l'ancien Moniteur, t. XVI, p. 618). « On ne représente point le peuple dans l'exécution de sa volonté. Le Conseil (exécutif) ne porte donc aucun caractère de représentation; s'il était élu par la volonté générale, son autorité deviendrait dangereuse, pouvant être érigée en représentation par une de ces méprises si faciles en politique. »

[ocr errors]
[ocr errors]

nulle ce n'est point une loi. Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort; il ne l'est que durant l'élection des membres du Parlement: sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l'usage qu'il en fait mérite bien qu'il la perde. L'idée des représentants est moderne: elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement, dans lequel l'espèce humaine est dégradée et où le nom d'homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques, et même dans les monarchies, jamais le peuple n'eut de représentants; on ne connaissait pas ce mot-là » (357). Dans un chapitre antérieur, il avait développé plus au long l'idée maîtresse sur laquelle repose sa thèse: « Je dis donc que la souveraineté, n'étant que l'exercice de la volonté générale, ne peut jamais s'aliéner, et que le souverain, qui n'est qu'un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même: le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonté. En effet, s'il n'est pas impossible qu'une volonté particulière s'accorde sur quelque point avec la volonté générale, il est impossible au moins que cet accord soit durable et constant; car la volonté particulière tend, par sa nature, aux préférences, et la volonté générale à l'égalité. Il est plus impossible encore qu'on ait un garant de cet accord, quand même il devrait toujours exister; ce ne seroit par un effet de l'art, mais du hasard. Le souverain peut bien dire : « Je veux actuellement ce que veut tel homme ou, du moins, ce qu'il dit vouloir »; mais il ne peut pas dire « Ce que cet homme voudra demain, je le voudrai encore », puisqu'il est absurde que la volonté se donne des chaînes pour l'avenir.» (358)

Dans ces réflexions de Rousseau, il y a une constatation exacte; l'antiquité n'a jamais connu que le gouvernement direct en matière législative. C'est un fait dont l'influence a été très grande sur son esprit et sur celui de tous ceux qui, comme lui et avant lui, avaient emprunté toute leur science politique aux Grecs et aux Romains.

(357) Contrat social, liv. III, ch. xv, p. 237.

(358) Contrat social, liv. II, ch. 1, p. 137. Le raisonnement de Rousseau paraît reprendre faveur de nos jours. M. Duguit l'a fait sien (L'Etat, II, p. 169), et en Angleterre les conservateurs s'en servent actuellement (ci-dessus, p. 207). M. Sidney Low le reproduit également, op. cit., p. 111: « Il suit également qu'à aucun moment donné, si ce n'est pendant les quelques mois qui suivent immédiatement une élection générale, on ne peut dire que la Chambre des Communes représente l'opinion même de la majorité du Corps électoral. Elle peut l'avoir représentée en gros, lorsqu'elle a été élue; mais elle peut avoir perdu ce caractère bien avant qu'il ait paru bon au premier ministre de recommander une dissolution. La balance des partis dans les circonscriptions électorales peut avoir changé; mais la balance des partis dans la Chambre reste la même sauf dans la mesure où elle a pu être modifiée par des élections partielles. Le premier ministre peut continuer à gouverner pendant une période qui peut durer des années, défiant l'opinion publique, qui a seulement les moyens indirects pour faire sentir son influence, jusqu'à ce que le cabinet consente à faire élire un nouveau Parlement. >>

Ils en avaient conclu (car sur ce point, comme sur tant d'autres, Rousseau n'est pas un inventeur, mais un fidèle disciple reproduisant des doctrines reçues) que le pouvoir législatif, même quant à son exercice, était incommunicable de la part du souverain, qui devait toujours se réserver au moins le droit de ratification. C'est ce qu'enseignait particulièrement Bodin (359). Mais de ce que l'antiquité n'avait pas connu le gouvernement représentatif, était-ce une raison suffisante de le condamner, s'il est démontré qu'il présente sur le gouvernement direct des avantages certains? Or, cette démonstration fut faite pleinement au XVIIe siècle déjà, avant Rousseau et après lui; elle fut dès lors définitive, car, sur ce point. encore comme sur bien d'autres, on n'a guère fait que répéter depuis les mêmes arguments.

Celui qui la présenta d'abord fut Montesquieu. Il était pourtant favorable, sur certains points, à l'intervention directe du peuple souverain, mais il lui refusait toute compétence, soit pour diriger lui-même le pouvoir exécutif, soit pour légiférer directement.. « Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité. Il n'a qu'à se déterminer pour des choses qu'il ne peut ignorer et des faits qui tombent sous les sens Il sait très bien qu'un homme a été souvent à la guerre, qu'il y a eu tels et tels succès: il est donc capable d'élire un général. Il sait qu'un juge est assidu, que beaucoup de gens se retirent de son tribunal contents de lui, qu'on ne l'a pas convaincu de corruption; en voilà assez pour qu'il élise un préteur. Il a été frappé de la magnificence, des richesses d'un citoyen; cela suffit pour qu'il puisse choisir un édile. Toutes ces choses sont des faits dont il s'instruit mieux dans la place publique qu'un monarque dans son palais. Mais saura-t-il conduire une affaire, connoître les lieux, les occasions, les moments, en profiter? Non, il ne le saura pas.» (360) Voilà le pouvoir exécutif; voici maintenant pour le

(359) Les six livres de la République, liv. I, ch. x, p. 220-222 : « Les empereurs disoient sancimus, qui estoit le mot propre à la majesté, comme disoit le consul Posthumus en la harangue qu'il fit au peuple: Nego injussu populi quidquam sanciri posse quod populum teneat... Voilà donc quant à la première marque de souveraineté, qui est le pouvoir de donner loy ou commander à tous en général et à chacun en particulier, qui est incommunicable aux subjects, car combien que le prince souverain donne puissance à quelques-uns de faire des lois, pour avoir telle vertu que si luimesme les avoit faictes comme le fit le peuple d'Athènes à Solon, les Lacédémoniens à Lycurgue, toutesfoys les lois n'estoient pas de Solon ni de Lycurgue, qui ne servoient que de commissaires et procureurs; ainsi la loy estoit du peuple athénien et lacédémonien. Mais il advient ordinairement, ès républiques aristocratiques et populaires, que la loy porte le nom de celuy qui l'a dressée et minutée, qui n'est rien que simple procureur, et l'émologation d'icelle est de celui qui a la souveraineté. Aussi voit-on en Tite-Live que tout le peuple fut assemblé pour émologuer les lois rédigées en douze tables par les dix commissaires députés à ceste charge. » Cf. Hancke, Bodin, p. 51, 52. (360) Esprit des Lois, liv. II, ch. II. Cf, liv. XI, ch. vI : « Il y avoit un grand vice dans la plupart des anciennes républiques; c'est que le peuple avait le droit d'y prendre

« PreviousContinue »