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De la donation en faveur de mariage.

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faveur de mariage. Changemens successifs de la jurisprudence. Procès du célèbre

Dumoulin.

189. La donation est encore révoquée, même quand elle aurait été faite en faveur de mariage, excepté dans deux cas dont je parlerai bientôt.

Il n'est pas inutile de rappeler les changemens successifs qu'a éprouvés ce point de jurisprudence, et d'expliquer comment la législation s'est formée.

Il paraît qu'avant le célèbre Dumoulin, on pensait assez généralement que, par cela seul qu'une donation était faite en faveur de mariage, elle était irrévocable, même en cas de survenance d'enfans, sauf néanmoins la légitime de ces enfans. On voit encore que telle était la disposition de la Coutume d'Auvergne, tit. 14, art. 33, et de celle de Bourbonnais, article 225.

Le motif de cette jurisprudence était, ainsi que le dit Ricard, des Donations, part. 3o, no 606, « que les do>> nations faites en faveur de mariage sont toujours oné» reuses, que les conjoints avaient sujet de dire qu'ils » ne se fussent pas engagés par les liens du mariage, et à » supporter les charges d'une famille, si ce n'eût été » dans la considération de cet avantage qu'ils avaient

>> reçu. >>

Mais Dumoulin ayant été dans le cas de demander la révocation, par survenance d'enfans, d'une donation qu'il avait faite à Ferri Dumoulin, son frère, par le contrat de mariage de celui-ci, présenta la question sous un nouveau jour. Il développa les idées qu'on devait se former d'après la loi Si unquam, de manière à prouver que la circonstance que la donation aurait été faite en faveur de mariage, ne devait pas être un obstacle à la révocation, lorsqu'il survenait des enfans au donateur.

En conséquence, la révocation de la donation qu'il avait faite, fut prononcée par un arrêt du parlement de Paris, rendu le 12 avril 1551, en robes rouges, circonstance qui, d'après l'usage du temps, annonçait l'impor

tance qu'on y attachait, et que cet arrêt devait, à l'avenir, fixer la jurisprudence. En effet, cette jurisprudence nonseulement se soutint au parlement de Paris, mais encore les arrêtistes apprennent qu'elle s'introduisit dans les autres parlemens.

C'est cette jurisprudence qui fixa la législation établie par l'article 39 de l'ordonnance de 1731, laquelle ordonnance dérogea dès lors aux Coutumes contraires rédigées avant Dumoulin, telles que celles dont je viens de rappeler les dispositions.

On peut en donner pour motifs les mêmes que ceux qui sont encore exposés par Ricard : « Qu'en cette ren» contre il faut considérer la personne du donateur, qui » de sa part a fait une action toute libérale, et qui n'a » pour objet que sa bonne volonté; que les conjoints ont » dû considérer la nature de la donation qui leur était » faite, et qui était révocable par un moyen qu'ils n'ont » pu ignorer, puisqu'il est de droit. De sorte que ne >> pouvant pas arguer le donateur de mauvaise foi, et » de leur avoir caché le principe pour lequel cette révo>> cation pouvait arriver, ils ne peuvent pas prétendre » que les choses données leur doivent demeurer par forme » de dommages et intérêts, comme les ayant engagés dans >> une affaire qu'ils n'eussent pas entreprise autrement. » Ainsi, quand la donation aurait eu principalement pour objet une dot, elle ne serait pas moins révoquée. Les époux ne peuvent dire qu'ils ont été trompés, puisqu'ils ont dû prévoir l'événement.

De la survenance d'un enfant naturel.

190. Sous la nouvelle comme sous l'ancienne législation, la naissance postérieure d'un enfant naturel ne porte point atteinte à la donation. Cette faveur n'appartient qu'à la naissance de l'enfant provenu du mariage. Telle est l'induction qu'on doit tirer de ces termes de l'art. 960, « par >> la survenance d'un enfant légitime du donateur, etc. ; » et il est indifférent que cet enfant ne vienne au monde qu'après la mort de son père.

De la survenance d'un enfant né d'un mariage nul, mais contracté de bonne foi par les parties ou par l'une d'elles.

191. Enfin, sous la nouvelle comme sous l'ancienne législation, la survenance d'un enfant né d'un mariage nul, à qui la loi accorderait les droits d'enfant légitime, en considération de la bonne foi des parties qui l'ont contracté, ou de l'une d'elles, révoquerait la donation. faite par celui des conjoints qui aurait contracté le mariage de bonne foi; car, quoique cet enfant, dans la vérité, ne soit pas né d'un mariage légitime, il suffit que les lois lui donnent les droits des enfans légitimes. On peut, pour cette décision, tirer un argument concluant de ce que la loi décide pour les enfans légitimés par mariage subséquent, lesquels ne sont pas, dans la vérité, nés de légitime mariage, quoique les lois leur en accordent les droits.

Il résulte de ce que je viens de dire, que l'enfant né d'un mariage nul, contracté par des parties dont l'une était de bonne foi, ne donne pas lieu à la révocation de la donation faite par celle qui n'était pas de bonne foi. Cependant cet enfant aurait, dans la succession de celui des conjoints qui n'aurait pas été de bonne foi, les droits des enfans légitimes, et en conséquence la donation serait sujette au retranchement jusqu'à concurrence de la réserve.

Il n'y a point là de contradiction. La raison de la différence est que l'action en retranchement de la réserve est un droit de l'enfant, lequel ayant tous les droits des enfans légitimes, doit avoir celui-ci. Mais le droit de révoquer la donation pour cause de survenance d'enfans, est un droit accordé au donateur, ainsi que je l'expliquerai bientôt dans ce §, et le donateur n'a pu acquérir ce droit en contractant sciemment l'union illégitime dont l'enfant est né, cùm nemo ex proprio delicto possit sibi quærere actionem. Tel est l'avis de Furgole, Quest. 17, sur l'ordonnance de 1731, et de Pothier, Introd. au tit. 15 de la Coutume d'Orléans, no 104, et cet avis est fondé en raison.

Différences entre l'article 960 du Code et l'art. 59 de l'ordonnance de 1731.

192. Tels sont les points sur lesquels il y a une conformité absolue entre l'article 960 du Code civil et l'article 59 de l'ordonnance de 1731, et sur lesquels la jurisprudence ancienne relative aux questions que j'ai cru devoir rappeler, peut également recevoir son application.

Je vais actuellement faire remarquer les différences.

1o. Des effets de la légitimation d'un enfant naturel par mariage subséquent.

195. En premier lieu, suivant l'article 960, la légitimation d'un enfant naturel, par mariage subséquent, donne lieu à la révocation de la donation, et il en était de même d'après l'article 39 de l'ordonnance de 1731.

Mais il y a cette grande différence, c'est que, suivant cet article de l'ordonnance, il était indifférent que l'enfant légitimé par mariage subséquent fût né avant ou après la donation, puisque cet article ne faisait aucune distinction.

Au lieu que, d'après l'addition contenue dans l'article 960 du Code, s'il est né depuis la donation, la légitimation de l'enfant naturel par mariage subséquent ne révoque la donation qu'autant que sa naissance est postérieure à la donation; en quoi la nouvelle législation a reçu une amélioration respectivement à l'ancienne.

En effet, ainsi que l'observait le Tribunat, auquel l'article avait été présenté sans cette addition, la naissance de l'enfant légitime ne donnant lieu à la révocation qu'autant qu'il naît après la donation, il est impossible de donner plus de faveur à l'enfant naturel qui dans la suite est légitimé.

Mais la révocation a également lieu, quand même l'enfant aurait été conçu au temps de la donation. Art. 961. Il doit en être de même, à cet égard, et de l'enfant légitimé par mariage subséquent, et de l'enfant légitime. La loi les a assimilés dans l'article 960, et la modification à cet arti

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cle, apposée dans l'article suivant, leur est commune dès qu'elle est faite sans exception.

Il est inutile de s'occuper de l'effet des expressions qu'on lit dans l'article 59 de l'ordonnance de 1731, et non par aucune autre sorte de légitimation. Elles avaient trait à la légitimation qui avait lieu par rescrit du Prince. Il n'y a parmi nous d'autre légitimation que celle qui résulte du mariage subséquent. Cette légitimation, lorsqu'elle est faite dans les termes des art. 351, 332 et 333 du Code civil, met les enfans, qui auparavant étaient enfans naturels, au niveau des enfans nés dans le mariage.

En traitant de l'adoption, j'examinerai si l'adoption postérieure à la donation peut donner lieu à sa révo

cation.

2o. Quelles donations faites en faveur de mariage ne sont point révoquées par survenance d'enfans.- Examen des expressions employées dans l'ordonnance et le Code, relativement à ces donations.

194. En second lieu, l'article 960 du Code contient des expressions qui méritent d'être pesées. En même temps qu'il veut, comme l'article 59 de l'ordonnance de 1731, que la circonstance que la donation aurait été faite en faveur de mariage ne soit pas un obstacle à la révocation, il y est ajouté, par autres que par les ascendans aux conjoints, ou par les conjoints l'un à l'autre. Tandis qu'on lit dans l'article 39 de l'ordonnance, par autres que par les conjoints ou les ascendans.

L'article 960 avait été présenté au Tribunat, sous le n° 72, dans les mêmes termes que ceux de cet article de l'ordonnance, et le Tribunat demandait qu'on rédigeât ainsi cette partie de l'article, par autres que par les ascendans ou conjoints, et qu'on ajoutât, ou par les conjoints l'un à l'autre.

Mais cette rédaction n'a point été adoptée, au moins intégralement, et on n'a point conservé celle sous laquelle l'article qui est devenu le 960° avait été présenté. On a préféré la troisième rédaction que j'ai déjà rappelée.

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