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étranger par un individu qui aurait déjà des enfans. Dans l'espèce particulière, on peut ne vouloir se dépouiller que parce que c'est en faveur de la mère des enfans qu'on aura, et parce que ces enfans auront l'espoir de retrouver les biens donnés, dans la succession de leur mère, ce qui est un cas bien différent de celui où l'on donne à tout individu quelconque, au préjudice des enfans qu'on a déjà. Que le conjoint donataire décède laisant des enfans, avant l'époux donateur, cette espèce ne peut pas être comparée, quant aux effets, à celle où l'époux donataire décède sans enfans, du vivant de l'époux donateur, qui se remarie ensuite; en sorte que les biens donnés passeraient, du vivant même du donateur, aux collatéraux de l'époux donataire.

Il est encore vrai que si l'époux donataire prédécédait laissant des enfans, et qué l'époux survivant se remariât et eût des enfans de ce nouveau mariage, les enfans du premier lit profiteraient de la donation, comme héritiers de leur mère, sauf les réserves en faveur des enfans du second lit. Ce serait la condition des dispositions faites par le premier contrat de mariage.

Mais cette hypothèse n'est plus celle dont il s'agit; il est question, là, d'un avantage entre des individus qui sont tous enfans de l'époux donateur, ce qui est bien différent d'un concours entre les collatéraux de l'époux donataire prédécédé, qui sont étrangers à l'époux donateur survivant, et les enfans que celui-ci peut avoir d'un second mariage.

Il semble donc que, dans l'hypothèse, cet époux donateur survivant peut réclamer l'effet que la loi attache à la présomption qu'on n'a jamais voulu préférer des étrangers à ses propres enfans.

Telle a été l'opinion générale de tous les jurisconsultes, jusqu'à un arrêt de la Cour de cassation, du 29 messidor an 11, rapporté par M. Merlin, avec le discours qui a précédé ses conclusions, auxquelles l'arrêt est conforme, Questions de droit, au mot Révocation de donation. Cette opinion était même tellement formée, qu'au moins depuis longtemps on n'aurait pas élevé la question.

Je ne rappellerai point l'opinion des auteurs qui se sont

expliqués à ce sujet avant l'ordonnance de 1731; je me bornerai à celle de deux savans jurisconsultes qui ont écrit depuis cette ordonnance, sur laquelle l'art. 960 du Code civil a été conçu en cette partie.

Furgole, Quest. 49, sur cette ordonnance, no 4, dit que ces libéralités faites entre conjoints par contrat de mariage, ne sont pas sujettes à révocation par la survenance de leurs enfans communs, selon l'opinion des docteurs, comme le remarque Dumoulin dans son Traité de Donat. in contractu matrim. factis, no 5; ce qui, ajoute l'auteur, a été confirmé par l'art. 39 de l'ordonnance de 1731.

Prévôt de la Jannés, Principes de la jurisprudence française, tome 2, no 465, s'explique ainsi : «Si par le contrat » de mariage, l'un des conjoints avait fait une donation au » profit de l'autre, elle ne serait point révoquée par la nais»sance d'un enfant commun. Comme on ne se marie que » pour avoir des enfans, il est visible que le conjoint dona» teur n'était point arrêté par la considération des enfans >> qui pourraient naître de son mariage, etc. » Il faut observer qu'après ces mots d'un enfant commun, l'auteur cite l'art. 59 de l'ordonnance de 1731, et que dès lors il l'entend dans le sens de la restriction qu'il met à l'irrévocabilité de la donation, même en cas de survenance d'enfans.

Dans l'espèce de l'arrêt de la Cour de cassation, le tribunal de première instance de Montmorillon avait jugé que la loi du 17 nivôse an 2, sous l'empire de laquelle la donation avait été faite, n'était point un obstacle à ce qu'on se décidât par l'ordonnance de 1731; et il avait pensé qu'il résultait de cette ordonnance, que « si les donations » entre époux, par contrat de mariage, étaient excep»tées du principe de la révocation, cette exception devait » se borner aux enfans du mariage même en faveur du>> quel la donation a été faite, et que les donations même » entre époux, sont, aux termes de cette loi, révocables » par survenance d'enfans d'un mariage subséquent, etc. »

La Cour royale de Poitiers se décida, au contraire, pour la non-révocation de la donation, mais par le motif seulement que l'ordonnance de 1731 avait été abolie par la loi du

17 nivôse an 2, et qu'elle crut trouver dans cette dernière loi des dispositions favorables au maintien de la donation. En sorte qu'on peut dire que ces deux tribunaux ont été d'avis que, s'il eût été question de se prononcer d'après les seules dispositions de l'ordonnance, la donation aurait dû être révoquée par la survenance d'enfans du mariage subséquent.

La Cour de cassation a pensé que la loi du 17 nivôse n'avait porté aucune atteinte à l'ordonnance de 1731; mais en se décidant même par cette ordonnance, elle a jugé qu'il n'en résultait pas que la donation dût être révoquée par la survenance d'enfans du mariage postérieur, « At>> tendu que cet article 39 de l'ordonnance de 1731 ne >> permet pas de révoquer les donations faites entre époux, » même par survenance d'enfans; qu'ainsi, le jugement » dénoncé n'a violé aucune loi. »

Ce dispositif revient à ce que disait M. Merlin dans ses conclusions, que l'article 39 de l'ordonnance de 1731 (ce qu'on peut également dire de l'article 960 du Code), avait prononcé, d'une manière générale et absolue, l'irrévocabilité de la donation faite entre époux par leur contrat de mariage, même en cas de survenance d'enfans; ce qui, dans la généralité de la loi, devait se rapporter aux enfans d'un mariage postérieur, comme à ceux provenus du mariage même en faveur duquel la donation est faite; que «< sans doute, si, à côté d'une disposition conçue en ter» mes généraux, le législateur lui-même avait placé le >> motif que la loi a dicté, on devrait expliquer la disposi>>tion par le motif, et restreindre l'une au seul cas où l'au» tre serait applicable. »

On ne peut cependant se dissimuler qu'il reste de puissans raisonnemens à faire. On peut toujours s'appuyer sur le grand principe consacré par la législation, que le donateur n'est jamais présumé vouloir que ses biens passent à des étrangers, au préjudice des enfans qu'il pourra avoir dans la suite; que la loi même ne le permet pas, et que son but est de venir à son secours, s'il pouvait être imprévoyant sur les sentimens qu'il éprouverait si jamais il de

venait père. On peut dire que c'est par ce motif, qui tient à l'intérêt public, que le donateur ne peut point valablement renoncer à la révocation, art. 965; que les exceptions établies par le législateur doivent toujours se concilier avec ce principe; que lorsqu'il a voulu que la donation faite entre conjoints ne pût être révoquée par survenance d'enfans, il a seulement entendu les enfans qui naîtraient de ce mariage, parce qu'alors le principe n'était pas blessé; que ces enfans ne pouvaient pas attaquer une disposition qui avait donné lieu à un mariage auquel ils devaient le jour; que d'ailleurs ils devaient naturellement retrouver les biens donnés dans la succession de leur mère; mais que, hors cette circonstance, et en rentrant dans notre hypothèse, le grand principe dont le législateur est parti, revient dans toute sa force: c'est alors une famille formée après la donation, qui lutte contre des étrangers; que la faveur du donateur a bien été l'objet principal de la loi, puisque les biens donnés doivent lui retourner personnellement; mais qu'en même temps on ne peut disconvenir qu'elle n'ait eu en vue l'intérêt de sa famille.

Je n'entends certainement pas opposer mon opinion à un arrêt de la Cour de cassation; je professe le plus grand respect, comme tous les citoyens, pour ses arrêts. Je sens aussi tout le poids de l'opinion du savant magistrat à l'avis duquel l'arrêt a été conforme. Cependant il peut être douteux que cet arrêt fasse décidément jurisprudence, parce qu'il a été rendu seulement sur ce que l'arrêt de la Cour royale de Poitiers n'avait violé aucune loi. On sait qu'il est possible qu'un arrêt soit contraire à l'esprit d'une loi, et que néanmoins il ne soit pas cassé, parce qu'il n'est pas contraire à la lettre. Il se peut que la jurisprudence ne soit parfaitement affermie que dans le cas où un arrêt qui aurait décidé dans un sens opposé, serait réformé. Et dès lors j'ai cru pouvoir exposer la difficulté qui s'élève sur cette importante question.

Au surplus, par cela seul qu'on connaîtra la tendance de cet arrêt à une jurisprudence différente de celle qui s'observait, il en résultera que ceux qui voudraient faire de

pareilles dispositions, y apporteront plus de prudence dès qu'ils en connaîtront mieux les suites.

J'examinerai dans la 2o et dans la 3o partie, s'il n'y a pas d'autres dispositions que la donation entre vifs proprement dite, qui puissent être révoquées par la survenance d'enfans. De la manière dont s'opère la révocation par survenance d'enfans, et des effets qu'elle produit. Elle a lieu de plein droit.

200. Après avoir expliqué les cas dans lesquels cette révocation a lieu, relativement à la donation entre vifs, je passe à la manière dont elle s'opère, et aux effets qu'elle produit. Notre législation actuelle est absolument conforme, à cet égard, à celle qui était établie par les art. 41 et suivans, jusques et compris l'art. 45 de l'ordonnance de 1731.

Il faut d'abord fixer ses idées sur la cause de cette révocation. La donation, dans le sens de la loi, renferme implicitemment la condition que la donation n'aura point d'effet, s'il survient un ou plusieurs enfans au donateur. Cette condition implicite a le même effet que la condition expresse; elle est résolutoire de sa nature. Mais il y a une différence importante entre cette condition résolutoire, et celle qui concerne les conventions ordinaires, dont il est parlé dans les articles 1183 et 1184 du Code. Dans le cas de ces articles, la résolution est subordonnée à la volonté de la partie intéressée. Mais en cas de survenance d'enfans, la résolution de la donation est opérée par le seul ministère de la loi, sans qu'elle doive être demandée. C'est pourquoi, au lieu qu'il est dit dans l'art. 1184 que la résolution doit être demandée en justice, on lit dans larticle 960, demeureront révoquées de plein droit. La condition dont il s'agit est donc une condition résolutoire légale.

La loi, art. 962, exige bien la notification au donataire de la naissance de l'enfant, ou de sa légitimation par mariage subséquent, mais c'est seulement pour donner lieu, à compter de cette notification, à la restitution des fruits, si le donataire est en possession des biens donnés.

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