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§ II.

DE LA RÉVOCATION DE LA DONATION POUR CAUSE D'INEXÉCUTION DES CONDITIONS SOUS LESQUELLES ELLE A ÉTÉ FAITE.

Cette révocation est subordonnée à la volonté du donateur, et doit être demandée en justice.

209. La différence essentielle qu'il y a entre cette révo cation, et celle qui arrive par survenance d'enfans, qu'il est important de saisir, dérive de ce que, dans le cas de survenance d'enfans, c'est la loi qui révoque. Le principe de la révocation tient à l'ordre public, ainsi que je l'ai fait observer; et voilà pourquoi le donateur ne peut, directement ou indirectement, renoncer à la révocation opérée dans ce cas, ni avant qu'elle arrive, ni après. Lorsqu'elle est arrivée, il ne peut être dépouillé de son droit que par une nouvelle donation en règle.

Ici, au contraire, la donation n'est point révoquée dans l'intérêt de la loi, ou, ce qui est de même, de l'ordre public; elle l'est seulement dans l'intérêt du donateur, et elle est subordonnée à sa volonté.

Ainsi, on peut dire que la donation n'est pas révoquée par l'inexécution des conditions, elle est seulement révocable. La révocation doit être demandée en justice, et elle est soumise aux tribunaux, d'après les faits articulés sur l'inexécution des conditions, art. 956; d'où il suit que le donateur a la capacité de renoncer à son droit, ou de traiter sur ce droit, ainsi qu'il lui plaît.

Des effets de cette révocation.

210. Cependant, lorsque la donation est révoquée par 'la justice, les biens donnés rentreront dans les mains du donateur, libres de toutes charges et hypothèques du chef du donataire, art. 954, de la même manière que dans le cas de la révocation par survenance d'enfans. Cela doit

avoir lieu, même par rapport aux hypothèques de la femme du donataire, pour sa dot et ses reprises ou conventions matrimoniales, quoique l'art. 954 ne le dise pas expressément, comme l'article 963, qui est relatif à la révocation pour survenance d'enfans. Cela résulte du principe que la condition sous laquelle des engagemens ont été contractés, n'étant pas remplie, la résolution des engagemens s'opère de manière à mettre les parties au même état où elles étaient avant.

En un mot, l'effet de l'inexécution des donations faites sous conditions, est le même que l'effet de l'inexécution de tous autres engagemens contractés aussi sous conditions; et les dispositions des articles 954 et 956 du Code civil, ne sont que des conséquences des articles 1183 et 1184, relatifs à la nature et à l'effet de la condition résolutoire, apposée dans les conventions en général.

§ III.

DE LA RÉVOCATION DE LA DONATION POUR CAUSE
D'INGRATITUDE.

Cas où cette révocation peut avoir lieu.

211. La révocation de la donation pour cause d'ingratitude, peut être demandée dans trois cas

1o. Si le donataire a attenté à la vie du donateur.

2o. S'il s'est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves.

3o. S'il lui refuse des alimens. Art. 955.

C'est avoir ôté beaucoup à l'arbitraire, que d'avoir indiqué les cas dans lesquels la révocation pour cause d'ingratitude peut avoir lieu. Mais on sent que leur détermination peut encore tenir aux circonstances, qui doivent être pesées par les juges.

Du cas d'attentat à la vie du donateur.--Il suffirait que les jours du donateur eussent été en danger.

212. Par rapport au premier cas, premier cas, il ne faudrait pas qu'il y eût un attentat formel de la part du donataire, il suffi

rait qu'il eût employé d'autres moyens par lesquels il aurait pu mettre les jours du donateur en danger. C'est ce que disait M. Cambacérès, lors de la discussion au Conseil d'État.

La loi a mis une forte nuance entre les causes qui donnent lieu à la révocation de la donation pour ingratitude, et celles qui rendent indigne de succéder, et qui sont établies par l'article 727 du Code. Des causes moins graves ont suffi à l'égard du donataire, qui tient les objets de la bienfaisance du donateur, tandis que l'héritier en est saisi la loi.

par

Du refus des alimens. — Ancienne jurisprudence sur le défaut de rétention d'usufruit de la part du donateur. Réflexions sur cette cause de révocation, non applicable aux donations entre les ascendans et les enfans.

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213. S'il y avait dans la donation la condition de fournir des alimens, en nature ou par équivalent, ce serait alors le cas de l'inexécution des conditions, et d'appliquer les principes relatifs à cette cause de révocation.

Lorsque la donation ne contient aucune convention à cet égard, c'était une question, sous l'ancienne législation, de savoir si la donation n'était pas nulle lorsqu'elle était générale et sans réserve, et qu'il n'y avait pas de rétention d'usufruit. Cette nullité était prononcée par l'article 42 du titre 14 de la Coutume d'Auvergne. Son objet était d'empêcher qu'un donateur, trop libéral, ne se réduisît à l'indigence. Plusieurs arrêts avaient jugé conformément à cette disposition, même dans les pays de droit écrit, ainsi qu'on peut le voir dans le commentaire de Chabrol, qui cite les auteurs qui s'en sont expliqués. Contra bonos mores, disait Fachineus, et humanitatem est, aliquem in eum statum ponere, ut nihil prorsùs habeat vel habiturus sit, adeòque infeliciter vivere debeat.

Cependant, cette jurisprudence, qui est devenue étrangère à notre législation actuelle, a fait toujours matière à difficulté. Mais au moins est-il certain que le donateur qui tombait dans l'indigence, avait droit de demander au dona

taire une pension, ou de faire retrancher la donation jusqu'à concurrence des alimens.

La législation nouvelle a fait, du refus des alimens, une cause de révocation pour ingratitude. Mais il est bien sensible que cette cause est, peut-être plus particulièrement que les autres, soumise à l'empire des circonstances.

Il serait difficile que les tribunaux ne fissent pas une différence entre la donation universelle absolue, et celle qui contiendrait une réserve en faveur du donateur; entre la donation universelle, et celle d'une quotité seulement, ou même d'un objet particulier, surtout s'il était d'une valeur modique; qu'ils n'eussent pas égard à la circonstance que le donateur eût retenu en son pouvoir des biens qu'il aurait dissipés après la donation. Enfin, le donataire pourrait encore être condamné au paiement d'une pension, sans que ce fût le cas de prononcer la révocation, parce que le droit du donateur pouvait être considéré comme litigieux, et que dès lors il pourrait ne pas y avoir précisément mauvaise foi de la part du donataire.

La révocation pour ingratitude doit être demandée, et dans quel délai. - Restriction pour le cas d'impossibilité physique.

214. La révocation pour ingratitude n'a point lieu de droit; elle doit être demandée, comme celle pour cause d'inexécution des conditions, et par une conséquence des mêmes principes. Ce n'est pas tout la demande doit être formée dans l'année, à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour que le délit aura pu être connu par le donateur. Art. 957. Suivant le même article, cette révocation ne pourra être demandée par le donateur contre les héritiers du donataire, ni par les héritiers du donateur contre le donataire, à moins que, dans ce dernier cas, l'action n'ait été intentée par le donateur, ou qu'il ne soit décédé dans l'année du délit.

Cependant, s'il y avait eu, par quelques circonstances, une impossibilité physique, qui eût empêché le donateur de former la demande dans l'intervalle de l'injure à sa

mort, on sent que l'action, de la part des héritiers du donateur, pourrait être admise, sans qu'il en résultât une violation de la loi. Pothier, Introd. au tit. 15 de la Cout. d'Orléans, no 116, cite pour exemple le cas où le donataire aurait tué le donateur.

De la réconciliation intervenue depuis l'offense.

215. L'action dont il s'agit a une grande affinité avec l'action d'injure. En conséquence, il serait difficile de ne pas adopter ce que dit encore Pothier, que la réconciliation intervenue depuis l'offense devrait opérer une fin de non-recevoir contre l'action.

Elle ne

Des effets de la révocation pour ingratitude. préjudicie aux tiers que du jour de l'inscription de la demande, en marge de la transcription de la donation.

216. Il y a une grande différence entre les effets de la révocation pour cause d'ingratitude, et ceux de la révocation par survenance d'enfans, ou pour cause d'inexécution des conditions.

J'ai déjà dit que la révocation, dans ces deux derniers cas, tenait à une condition résolutoire, avec cette différence que, lorsqu'il s'agit de survenance d'enfans, cette condition opère son effet, l'événement étant arrivé, par le seul ministère de la loi, et que lorsqu'il est question de révocation pour l'inexécution des conditions, cet effet est entièrement subordonné à la volonté du donateur. Mais, dans ce cas même, la révocation étant prononcée par les tribunaux, donne lieu, comme dans l'autre cas, à la rentrée des biens donnés, libres des hypothèques imposées par le donataire, comme s'il n'y avait jamais eu de donation. Au lieu que la révocation pour cause d'ingratitude ne tient à aucune condition. Le législateur a bien pu l'introduire par un principe de morale, afin de punir ceux qui, par l'exemple de l'ingratitude, tendent à affaiblir des affections qui méritent d'être protégées; mais, dans ce motif même, elle a dû s'arrêter devant l'intérêt des tiers, avec d'autant plus de raison que l'action pour cause

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