Page images
PDF
EPUB

SECTION V.

LA RÉCEPTION QUI AURAIT ÉTÉ FAITE D'UN LEGS, EMPÊCHET-ELLE, OU NON, D'ATTAQUER LE TESTAMENT?

Du paiement ou de la réception d'un legs, résulte-t-il une approbation du testament, telle que celui qui a reçu ou payé le legs ne puisse plus l'attaquer? -Trois différens cas à distinguer.

Dissertation sur cette matière.

325. Je terminerai ce chapitre par l'examen d'une question qui est restée avec toutes ses épines sous la législation actuelle. Cette question consiste à savoir si du paiement ou de la réception d'un legs de la part de celui qui, abstraction faite du testament, et comme héritier ab intestat, aurait eu droit à l'hérédité, il résulte une approbation de ce testament, telle que celui qui a payé ou reçu le legs ne puisse plus dans la suite l'attaquer.

On sent bien que je n'entends parler que de ce qui s'est fait après la mort du testateur, parce qu'il est sans difficulté que toute approbation quelconque donnée du vivant du testateur, comme du vivant du donateur, s'il s'agissait d'une donation, serait absolument sans effet. Le consentement du donataire ou de l'héritier serait alors réputé avoir été extorqué; il serait censé avoir été donné uniquement pour ne pas désobliger le donateur ou le testateur, ne pejus faceret.

La question que je viens d'annoncer porte sur trois différens cas qu'il faut bien distinguer, parce qu'ils sont susceptibles d'une application de règles différentes.

Le premier cas, est celui où l'on prétendrait invoquer l'approbation du testament, contre la personne qui aurait un droit supérieur au legs qu'elle aurait reçu, tel qu'un droit de réserve.

Le second, est celui où l'on voudrait, au moyen de l'approbation, résister à une réclamation qui aurait lieu après le paiement ou la réception du legs, à raison d'un faux qui aurait été découvert contre le testament.

Le troisième a trait à une nullité qu'il s'agirait d'opposer contre le testament, après le paiement ou la réception du legs.

Je dois prévenir que cette question a été traitée sous tous ces rapports, indépendamment des anciens docteurs, du nombre desquels est Cujas, par trois auteurs infiniment versés dans la jurisprudence française, qui sont, Ricard, des Donations, 3° partie, no 1552 et suiv.; Furgole, des Testamens, chapitre 6, sect. 3, nos 130 et suiv.; et Chabrol, sur l'article 30 du titre 12 de la Coutume d'Auvergne. Tous ces auteurs n'ont point eu une opinion uniforme sur tous les points de difficulté qui se présentent. En les lisant, on a la conviction que cette diversité d'avis résulte de ce qu'ils ont entendu, chacun dans un sens particulier, des lois romaines, qui, en cette partie, présentent des obscurités, on peut même dire des contradictions, d'après lesquelles il devenait très-difficile de les concilier.

On sait que, surtout relativement à la matière des testamens, les réponses des anciens jurisconsultes romains, qui étaient autant de décisions qu'ils donnaient sur des espèces qui variaient selon les circonstances, ont été recueillies comme lois par Tribonien, malgré les contrariétés qu'elles présentaient, et souvent dans un même titre du corps du droit,

Mais sans rentrer dans des routes où des jurisconsultes aussi habiles n'ont trouvé que des écueils, et en se guidant par des principes simples et élémentaires, on peut parvenir aux solutions qu'on désire.

la

A l'égard de la première hypothèse, c'est-à-dire, du cas où il s'agirait d'écarter la réclamation de celui auquel la loi défèrerait un droit supérieur au legs qui lui aurait été fait, parce qu'il aurait reçu ce legs, on peut partir d'un principe qui paraît incontestable; c'est que celui qui est saisi par loi d'un droit à une hérédité, ne peut en être privé que par une renonciation précise, ou par une vente. Les libéralités ne se supposent pas; elles doivent être établies. Ainsi, en recevant simplement le legs, c'est une quittance sur ce qu'on peut réclamer; mais l'action en supplément ne laisse pas de

subsister.

Les lois romaines ne présentaient pas sur ce point les mêmes difficultés que sur les autres dont j'ai parlé; et d'après ces lois, celui qui avait un droit de légitime, auquel on peut

comparer la réserve établic par notre législation, ne pouvait plus à la vérité attaquer de nullité le testament pour cause d'inofficiosité, c'est-à-dire, lorsque la légitime ne lui avait pas été laissée avec l'institution d'héritier particulier, nullité qui n'a plus lieu aujourd'hui; cela résultait de la loi Parentibus, au Code de inofficioso testamento; mais il pouvait toujours réclamer le supplément jusqu'à concurrence de toute sa réserve. Telle était la disposition de la loi 55, Si quando, S et generaliter, au même titre du Code. Il fallait, suivant cette loi, que le légitimaire eût expressément déclaré qu'il était satisfait de ce qu'il avait reçu, et qu'il entendait ne plus rien demander. Nisi hoc specialiter, sive in apocha, sive in transactione scripserit, vel pactus fuerit, quod contentus relictá vel datá parte, de eo quod deest nullam habeat quæstionem, tunc enim omni exclusá querelá paternum amplecti compellitur judicium.

Quelques auteurs ont appliqué à ce cas la disposition de l'article 50 du titre 12 de la Coutume d'Auvergne. Furgole lui-même se l'est opposé, en examinant la question de savoir si le paiement ou la réception d'un legs empêchait de demander ensuite la nullité du testament.

Mais ces deux applications étaient également défectueuses. Il ne résultait autre chose de cet article, si ce n'est que l'héritier légitime, au préjudice duquel on ne pouvait disposer par testament que du quart, ne pouvait plus, après le paiement ou la réception d'un legs, ou après avoir autrement agréé en aucune partie le testament, s'aider de la réduction au quart. Les trois quarts dont on ne pouvait priver l'héritier par des dispositions testamentaires, étaient bien ce que l'on appelait une réserve coutumière; mais une pareille réserve ne pouvait être comparée, ni à la légitime, ni aux réserves établies par notre législation, qu'on peut assimiler à la légitime. D'ailleurs cet article, qui a été de tous les temps la matière de grandes difficultés, ne peut actuellement, sous aucun rapport, être considéré comme loi.

Il n'est pas inutile de remarquer que, d'après l'opinion' de quelques auteurs, fondée sur des inductions tirées de certaines lois romaines, on jugeait dans quelques tribunaux

que celui qui avait un droit de légitime, et qui avait reçu le legs qui lui avait été fait, était obligé de prendre son supplément en argent, sur le pied de la valeur des biens à l'époque de la quittance. On considérait la réception du legs, ou, ce qui revenait au même, de la légitime conventionnelle, sinon comme une renonciation au supplément, au moins comme une vente de la portion légitimaire, sauf le supplément du prix. On peut consulter, à ce sujet, Henrys, tom. 3, suite du liv. 5, quest. 99, pag. 487, et ce qu'en a dit Bretonnier, à la suite. On y voit, ou à peu près, les opinions de tous les auteurs qui s'en sont expliqués.

Il est encore à propos de connaître l'opinion de Lebrun, Traité des Successions, liv. 2, chap. 3, sect. 10; et de Cambolas, liv. 4, chap. 35.

Mais tous ces auteurs présentent le tableau d'une jurisprudence peu stable. Nous ne serions pas étonnés qu'on n'y vît que des subtilités. Une action en partage, fondée sur un droit aussi sacré que la réserve, qui porte essentiellement sur la substance de la succession qui en est grevée, subsiste toujours tant qu'on n'y a pas renoncé, en rapportant ou restituant ce qu'on a reçu. On peut n'avoir pas d'abord connu les forces de la succession; et une exclusion du droit qu'on ferait résulter de la réception d'un legs, serait souvent le résultat d'une surprise. Il faut donc une renonciation en connaissance de cause, à tout droit de réserve et de supplément, et par forme de vente ou de traité. Mais, au moins, cette réflexion doit faire sentir combien il est important, pour le repos des familles, que l'on fasse avec des individus qui auraient un droit de réserve, et auxquels le défunt aurait fait des legs, même pour en tenir lieu, des transactions tellement précises, qu'on puisse jouir, et de plus disposer des biens de la succession, sans craindre à l'avenir des recherches.

Quant à la seconde hypothèse, qui a trait au cas où il s'agirait de la découverte d'un faux dans le testament, il ne peut y avoir de difficulté, et là-dessus les auteurs sont d'accord.

Il n'y a pas de doute, dit Chabrol, qu'en quelque temps qu'on fasse la découverte du faux, elle met en droit de re

venir sur ce qui a été fait : c'est un principe que le faux ne se couvre jamais, à moins qu'il n'ait été proposé, et qu'en connaissance de cause on ne s'en soit départi.

Il en serait de même du cas où, après l'approbation du testament, qu'on voudrait faire résulter du paiement ou de la réception d'un legs, on découvrirait un testament qui dérogerait au premier.

Enfin, par rapport à la troisième hypothèse, qui concerne le cas où il s'agirait d'une réclamation postérieure au paiement ou à la réception du legs, fondée sur une nullité du testament, il y a plus de difficulté.

Il est bien entendu qu'on suppose que l'approbation a été donnée par un individu qui eût capacité; car, sans cela, il n'y aurait point de question. Il n'y a pas de différence entre une approbation nulle et une approbation qui n'existe pas: on suppose encore que le testament a été connu. Les auteurs disent, en pareil cas, cognitis perspectisque verbis testamenti.

Ricard s'est décidé par une distinction entre les nullités apparentes et les nullités cachées : il admet là réclamation pour les dernières, et il l'exclut pour les premières. Chabrol incline pour cette distinction; mais Furgole ne l'admet point. «< Ainsi, dit-il, au n° 140, on doit tenir sans distinc» tion que la réception du legs ne doit jamais exclure, ni » de plein droit, ni par voie d'exception, les héritiers » ab intestat de la faculté de faire valoir la nullité du tes» tament, soit qu'ils aient erré en fait ou en droit. » Et au n° 142 « L'héritier institué dans un testament nul, et >> ainsi approuvé, ne peut être saisi de l'hérédité, et deve>> nir propriétaire des biens que par un transport fait en » sa faveur par les successeurs ab intestat, soit par une >> transaction expresse, ou par quelque autre acte translatif » du droit des successeurs ab intestat. »

Pour parvenir à une solution, il ne faudra pas se livrer à une discussion aussi pénible que celle qui a occupé les auteurs que je viens de citer, si on revient à quelques principes également simples, et si on saisit l'esprit qui s'est manifesté à ce sujet dans le Code civil.

« PreviousContinue »