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traversé par une des routes les plus curieuses des Alpes; en fermant aux moutons le haut de la vallée depuis les deux pics jumeaux du Galibier, à 3.200 mètres, sur une dizaine de kilomètres, jusqu'au torrent de Champlausier, elle en ferait un bassin de verdure attrayant pour les touristes et les baigneurs. Il ne faudrait pas vingt ans pour voir reverdir toute la moitié inférieure des versants, de 1.600 à 2.400 mètres. Par le pâturage des vaches, l'accalmie des eaux, le bon état de la route et l'afflux des étrangers, ce serait une excellente affaire.

Au retour, entre les Guibertes et la Villeneuve, nous admirons la prairie de la Guisanne, clairsemée de mélèzes émondés comme des chênes, le fût couvert de branches gourmandes; leurs cimes légères, baignées à cette heure dans la lumière du soir, conservent la flèche inclinée vers l'aval par le vent dominant qui descend la vallée. C'est comme un paysage du Tyrol.

Et le Ban du Bez, que nous voyons à notre droite, est aussi comme une belle forêt tyrolienne avec d'énormes mélèzes sur une pente très rapide dominant le village. Au-dessus du massif forestier s'étale une charmante prairie, arrosée par les ruisselets qui convergent au torrent du Bez et animée par les chalets de Fréjus. Un canton de mélèzes intercalé entre deux ruisseaux les abrite au sud; c'est comme le parc de Fréjus, où tout est vert, frais et tranquille. Je peux vous assurer qu'on y dort bien, surtout après avoir excursionné au Grand-Pré ou à la Crête de la Balme. Le canton de Fréjus est réservé aux vaches; nourries d'herbages parfumés, elles donnent un lait délicieux. Là le ciel d'été revêt à l'approche de la nuit, au-dessus des pics glacés du Pelvoux comme au loin sur les montagnes d'Italie des teintes admirables, étranges. Un chalet confortable à Fréjus en ferait en juillet-août un séjour enchanteur.

Après deux bonnes nuits à l'hôtel Terminus du P.-L.-M., il est facile d'aller au plateau d'Oréal. Le premier train conduit à Largentière-laBesée, et de là, sur un cheval ou un mulet, la montée est agréable au matin. Des Vigneaux nous traversons la Gyronde (de la Vallouise) et nous nous élevons par une espèce de chemin, à l'ombre d'une paroi calcaire verticale de 300 mètres de hauteur, jusqu'au col de la Posterle qui sépare la forêt des Charbonnières et le plateau découvert d'Oréal. Sur ce col, la commune de Largentière possédait un bouquet de jeunes mélèzes où autrefois j'ai marqué par éclaircie, avant la lettre d'autorisation, la coupe d'urgence des perches nécessaires pour reconstruire le chalet effondré d'un pauvre homme. Le perchis, un peu serré, avait été fatigué par le poids des neiges; le voilà en futaie. Si j'étais arrivé

ici les yeux bandés, je ne l'aurais certes pas reconnu, tant est grand le changement produit en un demi-siècle. La bordure même qui faisait de ce petit canton une sorte de rectangle est devenue irrégulière et indécise.

Du col de la Posterle, en quelques pas, nous arrivons au plateau, où il fait bon déjeuner auprès de la fontaine, sur l'herbe à l'ombre d'un mélèze; c'est un des derniers du pré-bois, s'il ne s'en est pas reproduit depuis cinquante ans sur la pâture couverte chaque hiver par des neiges presque aussi hautes que les arbres. Permettez-moi d'aller voir sur la Tête d'Oréal si, des cinquante mélèzes que j'y ai fait planter à titre d'essai, fin 1855, il en subsiste encore quelques-uns. Ils auront, bien sûr, été broutés par les ouailles.

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Le plateau, à 2.000 mètres, large à peine d'un kilomètre et isolé de la vallée de la Durance par la Tête des Charbonnières encore boisée, est très largement encadré. Vers l'est, de l'autre côté de la vallée Louise, s'élève à 3.000 mètres la crête de Montbrison, dolomitique, jaune, ruinique; au pied de la muraille géante, sur les éboulis, en plein soleil, nous voyons la Rourée, taillis de chêne, et des pinasses; plus loin, occupant le bas de croupe entre le Gyr et l'Onde, à 1.200 m. d'altitude, sur le cerre et comme en serre à deux mille mètres au-dessous des crêtes, une petite futaie de chêne rouvre, seule et unique du Briançonnais, avec d'assez gros arbres même. De l'autre côté du plateau d'Oréal, au delà de la vallée du Fornel à la commune de Largentière, tableau tout autre. Un grand versant schisteux, très rapide, noir et humide, s'élève à 2.500 m. vers la crête de Dormilhouse; il porte une forêt fraîche, des mélèzes à gauche, à la Lauze (l'ardoise), des sapins et des aroles en face de nous; cette Sapée de Largentière et le Bois noir de Névaches, tous deux presque privés de soleil, sont les seuls cantons ensapinés dans le Briançonnais. Au fond du cirque elliptique, immense, dont Oréal est le centre, se dresse à 4.200 mètres la Barre des Ecrins sur le Pelvoux, et au-dessous s'étale en plein soleil le Glacier Blanc, vaste et éblouissant névé qui tombe au Pré de Mme Carle.

Ce merveilleux bassin d'Oréal, de 24 kilomètres de long sur 12 de large environ, forme une région naturelle offrant à un botaniste des recherches infinies et des découvertes inespérées. Plusieurs étés seraient nécessaires pour l'explorer: dans la vallée de la Durance, qui la traverse entre Saint-Martin-de-Queyrières et La Roche-de-Rame, dans la vallée du Fornel qui remonte de Largentière par la délicieuse prairie de l'Alpe-Martin au Pas de la Cavale, vers le Champsaur, et dans la grande vallée de Vallouise taillée en patte d'oie contre le Pelvoux ;

celle-ci aboutit par ses ramifications à des glaciers nombreux et aux cols de Coste-rouge vers l'Oisans, de Fréjus et de Vallouise vers la Guisanne et de la Pilatte vers le Valgodemar. La différence des niveaux varie de 900 m. près la Roche-de-Rame, où prospèrent la vigne et le pêcher, à 4.000 m. sur le Pelvoux. En ce bassin d'Oréal, les vallées sont ouvertes dans les roches les plus diverses, à toutes les expositions et avec toutes les pentes. Et l'airy est si limpide que d'un versant à l'autre, à 4 ou 5 kilomètres, on distingue admirablement les objets; avec une faible longue-vue on peut y voir un chamois errer, puis se remettre; on peut même quelquefois aller ensuite, en deux ou trois heures, après avoir franchi ou tourné la vallée, lui faire un mauvais parti, mais il faut de l'œil, du flair et du jarret.

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Des forêts assez importantes, de mélèze principalement, sont cachées de divers côtés, surtout sur les pentes raides; ainsi le canton de Morelle, dominant le Narérou, le ruisseau noir, et le grand bois de Vallouise, envahi en haut par les rhododendrons et tombant sur le torrent de l'Onde, branche seconde de la Gyronde. Mais le tour même du plateau d'Oréal, mordoré au sud, est peut-être bien le plus beau des jardins alpins qu'il soit possible d'imaginer. Dans la première moitié du siècle dernier, c'était encore un vrai parc à chamois. Ces animaux agiles s'y sont-ils à nouveau multipliés? Peut-être, depuis la mort de deux grands chasseurs qui en avaient sacrifié chacun plus de 400 dans le bassin, l'un à Vallouise et l'autre, que j'ai bien connu et fort estimé, à Largentière; c'était le brave Anthouard, devenu, de berger d'abord et de chasseur ensuite, brigadier forestier de premier ordre, alpin s'entend.

En descendant d'Oréal par le versant frais, parmi les fleurs et dans les prairies de Puy-St-Vincent, plantées de mélèzes, nous arrivons sans fatigue sur la Gyronde, à Ville-Vallouise.

Arrêtons-nous au Pelvoux, borne superbe, pôle hérissé d'une région qui s'étend par de là le Rhône, du Canigou au Puy-de-Sancy, au mont Beuvray et à Langres, tous points d'où il est possible de le voir quelquefois; car je l'ai vu deux fois du bord du plateau de Langres, à 300 kilomètres, et, en France il n'a pas d'autre vainqueur que le MontBlanc.

Je tenais à vous montrer quelques forêts des Alpes, dont on ne parle plus guère depuis un temps, en attendant le prochain déluge. Il est bien d'autres merveilles forestières du Rhin aux Pyrénées. Dans cette dernière chaîne les forêts, dédoublées en étendue d'un siècle à l'autre par la chèvre et la brebis, par le fer et le feu, malgré l'humidité du climat et la force de reproduction des bois, malgré tout, ont enfin trouvé

de nos jours d'habiles et actifs défenseurs. Nous avons encore de splendides futaies de chêne dans le Bourbonnais, des pineraies et autres bois d'une très grande variété au sud de la Loire, en Gascogne, en Provence. Aux forestiers du Midi à les divulguer. M. Desjobert pour le Bourbonnais, MM. Buffault pour les dunes du Médoc et le pays d'Aubrac, d'autres encore l'ont fait déjà en termes excellents.

Maintenant, revenons à la question. De l'ouest à l'est, ou du nord au midi, quelles forêts trouverez-vous les plus belles? Peut-être celles que que vous aurez le mieux vues. Pour bien visiter une forêt il faut y passer du temps, une ou plusieurs journées,et sans se hâter pour le retour. Course hâtive, visite vaine; en forêt on ne voit très bien que ce qu'on regarde comme en flânant, à tête et à corps reposés, et si souvent qu'on y circule on y découvre presque toujours du nouveau, suivant les saisons et les années. La forêt, qui change de toilette à chaque saison et s'embellit d'une année à l'autre, est comme un livre sans fin.

Comment s'y prendre, direz-vous, pour visiter les bois avec un bon guide? Car enfin, quand on n'est pas chasseur ou forestier, on ne peut guère se lancer à travers bois, seule et sans s'égarer. Je réponds: Cherchez le brigadier. Le brigadier forestier local connaît ses forêts et ce qui s'y rattache. S'il peut accompagner, il mènera aux bons endroits, qui sont le plus souvent au fond du bois, non sur les bords. S'il ne le peut, il procurera un garde forestier ou au moins un ouvrier connaissant les cantons, et il lui aura fait la leçon. A-t-on la référence d'un agent forestier, il est bon de s'en servir; les préposés auront confiance.

En tous cas on peut écrire au brigadier, même sans connaître sa résidence, en adressant à un bureau voisin de la forêt ou au chef-lieu de canton; un mot pour la poste sur l'adresse et un ou deux timbres dans la lettre assureront la réponse, s'il y a lieu. Ainsi, je ne sais pas du tout la forêt de Lyons, dans l'Eure; mais je vois sur l'indicateur de l'Ouest que la gare correspondante est celle de Ménesqueville, à 7 kil., et une carte grossière montre que de Ménesqueville à Lyons on traverse la forêt. J'écrirais au brigadier forestier à Lyons de vouloir bien m'envoyer un guide à Ménesqueville à telle heure, réponse si possible. Je voudrais aller de Barcelonnette à Saint-André (Basses-Alpes), qui m'est inconnu, en visitant des forêts ou des reboisements quelques jours à l'avance j'écrirais au brigadier forestier du canton de Colmars (Basses-Alpes) en le priant de m'envoyer un guide sur le trajet et de m'écrire en quel endroit je rencontrerai ce guide.Neuf fois au moins sur dix le brigadier me répondrait ce qu'il fera.

En fin de compte, si je n'ai pu, Madame, vous dire quelles sont les

plus belles forêts de France, je crois vous avoir indiqué le moyen d'y aller voir. Une visite vaut infiniment mieux que tous les discours et, comme les dames de France, tous nos bois ont du charme.

Pour moi, l'impression qui me reste de cette tournée en coups d'éclair dans votre aimable compagnie, c'est que les taillis, rapailles, fourrasses ou feuillées, dont abusent les propriétaires particuliers, offrent souvent de jolis aspects, surtout à la feuille nouvelle; pour la terre, c'est la robe légère du matin. Le vêtement riche et réellement beau, ce sont les grands arbres, les futaies qui le donnent.

CH. BROILLIARD.

L'AMÉNAGEMENT D'HARCOURT

La Société nationale d'agriculture possède dans l'Eure, à Harcourt, un domaine de plus de 400 hectares. 100 hectares entourent le château; 350 hectares en bois forment deux autres dépendances du domaine. Le sol formé d'argile à silex est recouvert par place d'un peu de limon des pla'eaux; il est, du reste, assez accidenté : l'aménagement du domaine est parfait, la surface cultivée est restreinte au dépôt de limon, la plus grande surface en argile à silex est recouverte de bois superbes de chê– nes, de hêtres et, dans une partie qui a été récemment exploitée complètement, on observe une très belle reconstitution de pins sylvestres.

L'aménagement actuel de la forêt a été exposé ainsi qu'il suit par M. Bouquet de la Grye à la Société, dans sa séance du 19 février der

nier.

« L'aménagement de M. Gurnaud a été appliqué depuis 1890 jusqu'à cette année 1901, soit pendant douze ans, durée de la rotation adoptée par lui. Les résultats en paraissent favorables, mais nous ne pouvons les constater d'une manière tout à fait concluante parce que des exploitations extraordinaires de pins, faites pendant la durée de la première période, ne permettent pas de comparer le matériel actuel à ce qu'il était au début. Il nous a paru d'ailleurs que la nécessité de faire, à l'expiration de chaque période, le comptage général de tous les arbres d'une forêt de plus de 400 hectares était une grosse besogne et qu'enfin il y avait de sérieux désavantages à poursuivre aujourd'hui le mode de vente par petits lots du taillis qui ne trouve plus d'acquéreurs qu'à des prix infimes. Ces considérations nous ont amené à proposer à la Société de

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