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halte d'un jour ne leur est pas seulement permise dans ce lieu témoin de leur ancienne gloire. L'infatigable Kutusow paraît, et il faut repasser le Niémen.

C'est le 13 décembre que nous touchons enfin le sol du territoire polonais. Pour défendre le pont, Ney s'est battu comme un simple grenadier. Vingt mille hommes, voilà tout ce qui reste des onze corps d'armée de Napoléon, de cette formidable cavalerie à la tête de laquelle le brillant Murat étonnait ses ennemis mêmes.

Où sont-ils restés, les glorieux compagnons d'infortune de ces vingt mille privilégiés?

Quarante-neuf mille cadavres sont étendus dans la province de Moscow; soixante et onze mille dans le gouvernement de Smolensk; sur les routes et sur les bords de la Bérésina, trente mille; dix-huit mille sur la route de Zanim; soixante-douze mille à Wilna et sur les bords du Niémen! Cent cinquante mille prisonniers sont tombés entre les mains des Russes!

CHAPITRE XIV.

Le sénat va complimenter l'empereur.

réponse de Napoléon.

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Discours du sénat et du conseil d'État;

Entrevue de Fontainebleau avec Pie VII.. Nouveau

concordat - Le pape rétracte cet acte. — Ouverture de la session du corps législatif. — Le maréchal Ney est nommé prince de la Moskowa. Levées extraordinaires. Décret sur la régence confiée à Marie-Louise.-L'empereur se rend à l'armée d'Allemagne.

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L'épouvantable dénouement de la campagne de 1812 présageait à Napoléon des complications extérieures de la plus haute gravité. Il était impossible que la plupart de ses alliés ne se tournassent pas contre lui, et qu'une coalition terrible ne le mît, au printemps prochain, dans la nécessité de recourir à des sacrifices extraordinaires. Il pouvait être amené, par l'impérieuse loi du salut public, à demander dans quelques mois à la nation son dernier écu et son dernier soldat. Il fallait préparer le pays à cette éventualité, et donner à l'opinion publique quelques satisfactions qui la rattachassent au régime impérial, afin qu'elle ne marchandât pas avec le trône. D'un autre côté, par cela même que l'empire était tout à coup menacé au dehors des plus grands dangers, on devait songer à le fortifier davantage

au dedans, à rendre ses bases plus solides, à faire disparaître toutes les causes de désorganisation qui pouvaient encore s'y trouver. Ce fut sous cette double préoccupation que Napoléon déploya une si grande activité dans les trois mois qui précédèrent la campagne de 1813, et qu'il s'occupa avec une égale ardeur de l'administration de son empire, des questions de politique intérieure, des formidables préparatifs d'une guerre à outrance contre l'Europe tout entière.

Le lendemain de son arrivée, son premier soin fut de s'enfermer plusieurs heures avec le ministre des finances, M. de Gaëte, afin de préparer le budget de 1813, et d'élever les ressources au niveau des dépenses extraordinaires que la guerre allait nécessiter. Le même jour, le sénat conservateur et le conseil d'État furent admis au palais des Tuileries, pour présenter à Napoléon leurs compliments sur son heureux retour. Ce fut M. Lacépède qui porta la parole pour le premier de ces corps. Son discours, dans toute autre circonstance, n'eût été qu'une plate adulation de courtisan; après les malheurs de la campagne de Russie, et lorsque, le prestige de la gloire s'évanouissant, nous étions à la veille de ne plus rien avoir qui compensât la perte de nos plus chères libertés, ce discours était une honte pour ceux au nom de qui on le prononçait. Le mauvais goût y disputait la place à la bassesse. A peine si, au milieu des plus serviles témoignages de dévouement, nous trouvons un mot qui indique que la France attend le complément des institutions impériales. On verra quelles dures paroles cette hardiesse vaudra aux sénateurs, dont l'indécision, pendant les premiers succès de la conspiration Malet, a été révélée à Napoléon.

« Sire, dit Lacépède, le sénat s'empresse de présenter au pied du trône de Votre Majesté impériale et royale l'hommage de ses félicitations sur l'heureuse arrivée de Votre Majesté au milieu de ses peuples.

» L'absence de Votre Majesté, sire, est toujours une calamité

nationale; sa présence est un bienfait qui remplit de joie et de confiance tout le peuple français.

» Votre Majesté impériale et royale a posé toutes les bases de l'organisation de son vaste empire; mais il lui reste encore bien des objets à consolider et à terminer, et le moindre retard dans le complément de nos institutions est un malheur national. >>

Puis vient une allusion au dernier complot, tramé par deux hommes échappés aux prisons « où la clémence impériale les >> avait soustraits à la mort méritée par leurs crimes passés. » Avant le complot du 23 octobre, le crime de Malet, de Guidal et de Lahorie était d'avoir conservé dans leur cœur le culte des principes républicains, et de s'être puérilement compromis par des démonstrations imprudentes. Les sénateurs estimaient qu'un pareil crime méritait la mort.

<< Heureuse la France, continue Lacépède, que sa constitution monarchique met à l'abri des effets funestes de discordes civiles, des haines sanglantes que les partis enfantent, et des désordres horribles que les révolutions entraînent.

» Le sénat, premier conseil de l'empereur, et dont l'autorité n'existe que lorsque le monarque la réclame et la met en mouvement, est établi pour la conservation de cette monarchie, et l'hérédité de votre trône dans notre quatrième dynastie. »

Ce sénat, ce corps de magistrats qui avait pour origine une sorte d'élection populaire, tronquée, abatardie sans doute, mais conservant encore une étincelle du principe de la souveraineté nationale; ce sénat qui se complaît ainsi dans le monde inférieur où le maître le tient, qui se vautre dans sa bassesse, et qui ose déclarer, à la face du pays, que son autorité n'existe que lorsque le monarque la réclame; ce sénat ne se met-il pas ainsi même au-dessous des parlements de l'ancienne monarchie, dans lesquels le despotisme des rois trouvait encore des velléités d'indépendance, et qui recevaient d'eux l'honneur des lits de justice et de l'exil à Pontoise? Et la révolution de 1792, cette

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