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glorieuse révolution que le général Bonaparte avait servie à Toulon, en Italie, et qu'il avait promis de continuer, sous le consulat et même sous l'empire; la voilà rayée de nos annales par le sénat conservateur. La dynastie de Napoléon n'est plus l'héritière de la révolution, sa base n'est plus l'élection populaire: elle se rattache aux dynasties des Mérovingiens, des Carlovingiens et des Capet!

Lacépède exprime ensuite le dévouement du sénat au roi de Rome; il passe rapidement sur la campagne de Russie, et il termine sa harangue en promettant à l'empereur une inviolable fidélité.

La réponse de Napoléon fut aussi sévère et hautaine que l'adresse du sénat avait été humble et courtisanesque. Voici cette réponse :

« Sénateurs,

>> Ce que vous dites m'est fort agréable. J'ai à cœur la gloire de la France; mais mes premières pensées sont pour tout ce qui peut perpétuer la tranquillité intérieure et mettre à jamais mes peuples à l'abri des déchirements des factions et des horreurs de l'anarchie. C'est sur ces ennemies du bonheur des peuples que j'ai fondé, avec la volonté et l'amour des Français, ce trône auquel sont attachées désormais les destinées de la patrie.

» Des soldats timides et lâches perdent l'indépendance des nations; mais des magistrats pusillanimes détruisent l'empire des lois, les droits du trône et l'ordre social lui-même.

» La plus belle mort serait celle d'un soldat qui périt sur le champ de bataille, si la mort d'un magistrat périssant en défendant le souverain, le trône et les lois, n'était plus glorieuse

encore.

» Lorsque j'ai entrepris la régénération de la France, j'ai demandé à la Providence un nombre d'années déterminé. On détruit dans un moment, mais on ne peut réédifier sans le se

cours du temps. Le plus grand besoin de l'Etat est celui de magistrats courageux.

» Nos pères avaient pour cri de ralliement : « Le roi est mort, vive le roi!» Ce peu de mots contient les principaux avantages de la monarchie. Je crois avoir bien étudié l'esprit que mes peuples ont montré dans les différents siècles; j'ai réfléchi à ce qui a été fait aux différentes époques de notre histoire; j'y pen

serai encore.

» La guerre que je soutiens contre la Russie est une guerre politique. Je l'ai faite sans animosité; j'eusse voulu lui épargner les maux qu'elle-même s'est faits. J'aurais pu armer la plus grande partie de sa population contre elle-même, en proclamant la liberté des esclaves: un grand nombre de villages me l'ont demandé; mais lorsque j'ai reconnu l'abrutissement de cette classe nombreuse du peuple russe, je me suis refusé à cette mesure, qui aurait voué à la mort et aux plus horribles supplices bien des familles. Mon armée a essuyé des pertes, mais c'est par la rigueur prématurée de la saison.

>> J'agrée les sentiments que vous m'exprimez. >>

A la réception du conseil d'Etat, la parole fut portée par M. le comte Defermont, président de la section des finances. Répondant plutôt à ses préoccupations intérieures qu'aux banalités officielles que l'orateur lui a débitées, Napoléon s'exprime ainsi : « Conseillers d'Etat,

» Toutes les fois que j'entre en France, mon cœur éprouve une bien vive satisfaction. Si le peuple montre tant d'amour pour mon fils, c'est qu'il est convaincu par sentiment des bienfaits de la monarchie.

» C'est à l'idéologie, à cette ténébreuse métaphysique qui, en recherchant avec subtilité les causes premières, veut sur ses bases fonder la législation des peuples, au lieu d'approprier les lois à la connaissance du cœur humain et aux leçons de l'histoire, qu'il faut attribuer tous les malheurs qu'a éprouvés notre

belle France. Ces erreurs devaient et ont effectivement amené le régime des hommes de sang. En effet, qui a proclamé le principe d'insurrection comme un devoir ? Qui a adulé le peuple en le proclamant à une souveraineté qu'il était incapable d'exercer? Qui a détruit la sainteté et le respect des lois, en les faisant dépendre, non des principes sacrés de la justice, de la nature des choses et de la justice civile, mais seulement de la volonté d'une assemblée composée d'hommes étrangers à la connaissance des lois civiles, criminelles, administratives, politiques et militaires?

Lorsqu'on est appelé à régénérer un Etat, ce sont des principes constamment opposés qu'il faut suivre. L'histoire peint le cœur humain; c'est dans l'histoire qu'il faut chercher les avantages et les inconvénients des différentes législations. Voilà les principes que le conseil d'Etat d'un grand empire ne doit jamais perdre de vue; il doit y joindre un courage à toute épreuve, et, à l'exemple des présidents Harlay et Molé, être prêt à périr en défendant le souverain, le trône et les lois.

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J'apprécie les preuves d'attachement que le conseil d'Etat m'a données dans toutes les circonstances.

J'agrée ses sentiments. »>

Le discours de l'empereur au conseil d'État est une de ces précieuses expressions des idées napoléoniennes qu'il est bon de mettre avec insistance sous les yeux de l'opinion publique, trop souvent disposée à glorifier et à exalter les individualités puissantes, même dans leurs erreurs les plus déplorables. Eh quoi! c'est en France, au commencement du XIXe siècle, quinze ans à peine après le règne des assemblées représentatives, lorsque sont encore vivants tous les héroïques acteurs de cette révolution qui a proclamé le principe de la souveraineté du peuple, qui a renversé la monarchie pour lui substituer le régime démocratique; c'est dans ce même palais des Tuileries où s'est fait le 10 août, où siégea la Convention

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nationale, qu'un enfant de la révolution, un soldat qui l'a aidée, le 13 vendémiaire, à frapper les conspirateurs royalistes, ose proclamer l'incapacité du peuple à exercer ses droits, et fait entendre que le temps des assemblées législatives est passé pour toujours! L'idéologie, voilà le dernier mot de Napoléon sur cette grande école politique et sociale qui donne pour base à tout gouvernement les droits du citoyen, et fait des pouvoirs publics une délégation librement accordée aux plus dignes et aux plus capables. Napoléon, empereur des Français, se montre bien. ingrat envers cette idéologie, « ténébreuse et métaphysique, comme il l'appelle; car, sans elle, sans sa foudroyante explosion, la monarchie des Capet, à laquelle le sénat conservateur a ridiculement essayé de rattacher la dynastie des Bonaparte, trônerait encore à Versailles ! Et n'a-t-il pas lui-même rendu hommage au principe de la souveraineté du peuple, lorsqu'il a soumis à la sanction des trois millions et demi de citoyens le décret qui l'a nommé empereur? Si le peuple n'est pas souverain, si ceux qui ont les premiers proclamé cette souveraineté ne sont que des idéologues, tout n'est qu'usurpation et anarchie depuis 1789; le trône de France appartient aux Bourbons; il ne reste plus aux hommes d'État de l'empire, au premier revers de la puissance impériale, qu'à rappeler les exilés d'Hartwell, à remettre les Bourbons sur leur trône restauré.

Et c'est ce que firent les hommes d'Etat de l'empire. Napoléon les a absous d'avance, dans son discours au conseil d'État, lorsqu'il a élevé les bienfaits de la monarchie au-dessus de l'idéologie.

L'année 1813 vient de s'ouvrir; le moment approche où il faudra repasser la frontière et recommencer la guerre. Il n'y a pas un seul instant à perdre pour régler les affaires intérieures.

Trois objets réclament les soins de Napoléon : la querelle de l'Église gallicane avec le pape Pie VII, qui a produit une

sorte de schisme dans cette Église, et indispose un grand nombre d'esprits religieux contre la cour des Tuileries; la situation du corps législatif, fantôme de représentation nationale qu'on a méprisé et même mis en oubli pendant les jours heureux de l'empire, mais auquel il peut être bon, dans la prévision d'embarras, de rendre une ombre d'influence; la régence de l'empire, établie de manière que, le cas échéant, la transmission du trône à l'héritier légitime soit assurée et se produise sans secousses. La conspiration Malet avait assez peu rassuré Napoléon sur l'initiative de ses sénateurs et de ses hommes d'État en pareille matière. Sur la simple nouvelle que l'empereur était mort, ils avaient presque trouvé naturel que l'on proclamât la république, au lieu de s'écrier, en variant le cri de ralliement de nos pères : « L'empereur est mort, vive l'empereur! »

Pie VII avait été transféré à Fontainebleau dans le mois de juin 1812. Là, quoiqu'il fût entouré d'une cour véritable, traité en souverain, ayant une maison aussi complète que celle qu'il pouvait avoir au Vatican, le pape se considérait comme captif, repoussait toute transaction qui n'aurait pas pour base la restitution de son domaine temporel, et refusait de donner l'institution canonique aux évêques nommés par l'empereur, conformément aux dispositions du concordat. Napoléon essaye de faire cesser cet état de choses, qui lui répugne personnellement, et qui est en outre de nature à lui aliéner une partie de la population. Peu de jours après son arrivée, il fait appeler l'évêque de Nantes, et le charge d'un message pour Pie VII. Le pape renvoie le message et proteste contre les mesures dont il est l'objet. Napoléon ne veut plus, alors, s'en remettre qu'à lui-même pour la solution de cette affaire importante. Le 19 janvier, une grande chasse a lieu à Grosbois; l'empereur s'y trouve au milieu de sa cour; il se dérobe aux courtisans, et il se présente tout à coup à Fontainebleau aux regards de Pie VII, à qui rien

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