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CHAPITRE XXI.

Napoléon est mis hors la loi.

La nouvelle du débarquement arrive à Paris. Les Chambres sont convoquées
extraordinairement.
Complot militaire.
Napoléon entre dans la ville de Lyon. - Déclaration du Congrès de Vienne.
Marche sur Paris. — Le roi se décide à quitter Paris.

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Journée du 20 mars.

Tendances démocra

L'empereur aux Tuileries. Formation du nouveau gouvernement. Tentatives d'insurrection à Bordeaux et dans le midi.

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- Les folies de Murat.

Acte additionnel aux constitutions de l'empire.

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La révolution gronde déjà dans Paris. La nouvelle du débarquement de Napoléon est arrivée le 5 mars. Les ministres considèrent d'abord cet événement comme un acte de folic. Louis XVIII l'envisage d'une manière plus sérieuse. Il sent le trône chanceler sous lui. Les baïonnettes étrangères sont parties; et les sympathies du soldat français, il le sait de reste, ne sont point acquises à sa dynastie. Le roi insiste pour qu'on prenne des mesures énergiques et immédiates. En conséquence le comte d'Artois et le duc d'Orléans partent pour Lyon, afin de se mettre à la tête des gardes nationales et d'arrêter les défections de l'armée. Le duc d'Orléans accepte cette mission avec un empressement affecté; il veut qu'on lui pardonne le zèle

imprudent de quelques amis, qui sont venus lui proposer de pactiser avec les ennemis de la branche aînée et de profiter de la première émotion pour se faire proclamer roi des Français. Le duc d'Orléans, à ce qu'il paraît, n'était pas mûr pour le trône à cette époque, ou plutôt son courage et sa hardiessc n'étaient point encore au niveau de son ambition bien connue; car il s'empressa d'avertir Louis XVIII de cette proposition. Quelques-uns affirment même qu'il donna des noms et sc fit le délateur de ses propres séides. La chose est restée douteuse. Le duc d'Angoulême fut désigné par le roi pour prendre le commandement des troupes des départements méridionaux placées sous les ordres de Masséna, Marchand et Mouton-Duvernet.

Les Chambres ayant été convoquées le 6 mars, les pairs et les députés absents de Paris sont invités à se rendre au lieu ordinaire des séances, aussitôt qu'ils auront connaissance de la proclamation royale. En même temps paraît une ordonnance, prescrivant des mesures de sûreté générale. Dans cette pièce, Napoléon est déclaré traître et rebelle, pour s'être introduit à main armée dans le département du Var. Il est enjoint à tous les gouverneurs, commandants de la force armée, gardes nationales, autorités civiles, et même aux simples citoyens, de lui courir sus, de l'arrêter et de le traduire incontinent devant un conseil de guerre qui, après avoir reconnu l'identité, prononcera contre lui l'application des peines portées par la loi.

Les nombreux partisans que Napoléon comptait à Paris s'effrayèrent peu de cette mise hors la loi; ils attendirent avec confiance les nouvelles ultérieures de la marche de l'empereur. Les principaux se réunissaient dans les salons de la reine Hortense. Dans le cercle intime de la fille de Joséphine, on était instruit par des messages secrets des moindres détails de l'événement, et l'on savait à quoi s'en tenir sur la jactance des roya listes qui répandaient mille bruits absurdes. A croire ceux-ci,

Bonaparte ne méritait pas le déploiement extraordinaire des forces qui se portaient contre lui. Partout les troupes recevaient ses bandes avec horreur. En butte au juste mépris des hommes, elles se cachaient dans les ravins, manquant de tout; et déjà la défection les divisait et les dispersait.

Que les royalistes affectassent une sécurité qui n'était pas dans leur esprit, il n'y avait là rien que d'ordinaire et de logique. Mais qu'ils crussent sincèrement à leur force, à l'impuissance de Napoléon, c'était le comble de l'aveuglement. Et les témoignages contemporains sont là, pour nous prouver que les royalistes furent de bonne foi en cette occasion. Les signes de leur déconfiture se multipliaient cependant de tous côtés. L'orage ne s'accumulait pas seulement dans les montagnes du Dauphiné, mais encore dans les départements du nord, où s'organisait une conspiration militaire tout à fait indépendante de l'expédition de l'île d'Elbe. Le général Lefebvre-Desnouettes, commandant les chasseurs à cheval de l'ex-garde impériale, les généraux Lallemand, Drouet d'Erlon et Davoust, avaient préparé dans les premiers jours de février une prise d'armes. Il s'agissait d'enlever toutes les garnisons de nos places de guerre, de les faire marcher sur Paris, d'imposer à Louis XVIII les conditions d'un régime plus libéral, l'éloignement de ses conseillers réactionnaires et le choix de nouveaux ministres pris dans le parti napoléonien ou libéral. En cas de refus, on conduisait Louis XVIII à la frontière, sous l'escorte d'un régiment de chasseurs, et l'on forçait le duc d'Orléans à monter sur le trône. Dans tous les cas, après avoir renversé un système odieux, on eût pris conseil des événements (*). Cette conspiration, dite du Nord, échoua par quelques circonstances fortuites; mais elle dévoilait bien l'esprit de l'armée, et montrait combien peu la dynastie pouvait s'appuyer sur elle. Au moment d'agir, Davoust

(*) Mémoires de Lafayette.

s'était retiré du complot. Lefebvre-Desnouettes, Drouet d'Erlon et les frères Lallemand persistèrent. Plusieurs régiments se mirent en marche sous la conduite de ces généraux, par des chemins de traverse, afin d'opérer leur jonction aux lieux désignés. L'arrivée inopinée du maréchal Mortier à Lille, dérangea les combinaisons et déjoua toutes les mesures prises par Drouet. Les frères Lallemand, comptant sur l'appui de ce dernier, essayèrent de soulever les batteries d'artillerie de La Fère. Le général qui commandait cette place leur opposa une énergique résistance, et ils durent prendre la fuite. Lefebvre-Desnouettes arriva seul à Compiègne, avec les chasseurs; il attendit vainement scs complices, et fut forcé d'abandonner la partie.

Ainsi, tout était conjuré contre les Bourbons: le peuple, l'armée et leur propre aveuglement. Le peuple n'avait qu'une voix pour saluer l'arrivée de l'empereur. Précédé par une forte avantgarde, Napoléon avait quitté Grenoble et s'avançait sur Lyon. Le 9 mars, il couchait à Bourgoin, après s'être arrêté plusieurs heures à Brives. A le voir traîné dans une calèche allant au pas, entouré seulement de quelques grenadiers de la garde, toujours suivi d'une foule de paysans qui l'accompagnaient d'un village à l'autre on eût plutôt dit un souverain visitant ses États, qu'un prince déchu marchant à la conquête de son trône contre un compétiteur disposant de cent mille baïonnettes. Le 10, au matin, l'avant-garde de l'empereur était en vue de Lyon. Dix mille hommes de troupes de ligne, et quinze mille gardes nationaux, environ, étaient réunis dans cette place. Le comte d'Artois et le duc d'Orléans essayèrent en vain de provoquer leur enthousiasme. Quelques préparatifs de défense avaient été faits. On voulait couper le pont de la Guillotière et le pont Morand. Mais bientôt l'attitude de la garnison et de la presque totalité des habitants fit renoncer les princes à toute pensée belliqueuse. Une revue passée par le comte d'Artois, ne laisse aucun doute dans son esprit. Les soldats murmurent, en entendant quel

ques officiers d'état-major pousser le cri de vive le roi. Le frère de Louis XVIII, s'approchant près d'un dragon du treizième régiment, lui dit : « Allons, mon camarade, crie donc « vive le roi!» - Non Monsieur, lui répond le cavalier; au« cun soldat ne combattra contre son père; je ne puis vous « répondre qu'en criant: vive l'empereur!» Macdonald ne fut pas plus heureux dans ses tentatives, et ses régiments à qui il ordonna de marcher, refusèrent de lui obéir. Princes et géné raux s'éloignèrent à la hâte, abandonnant la ville à ellemême.

Quand Napoléon sut que le duc d'Orléans et le comte d'Artois voulaient lui disputer l'entrée de Lyon, il commanda au général Bertrand de réunir des bateaux à Mirbel, dans l'intention de passer le Rhône sur ce point, dans la nuit du 10 au 11, et de prendre la ville à revers par la route de Mâcon. Mais cette manœuvre était inutile. A quatre heures, une reconnaissance du 4* hussards ayant poussé jusqu'à la Guillotière, est reçue par la population du faubourg, et l'on apprend le départ des princes. Le passage de Mirbel est contremandé. Napoléon se porte au galop sur Lyon, où il fait son entrée à neuf heures du soir, entouré d'une foule immense. On dit que l'empereur, ému jusqu'aux larmes de l'ivresse qu'inspirait sa présence, ne put que répéter au peuple qui le pressait, ces mots qui volèrent aussitôt de bouche en bouche : «< Lyonnais, «< je vous aime! » La ville entière était remuée de fond en comble, par cet événement extraordinaire et gigantesque. Ah! plût au ciel que cette soirée féerique eût pour toujours et sincèrement réconcilié Napoléon avec les principes démocra tiques! Plût au ciel qu'un souvenir profond et incessant de cette sainte communion avec l'élément populaire, l'eût accompagné jusqu'à Paris, jusque dans le palais des Tuileries, jusqu'au milieu de cette meute de courtisans et d'intrigants de toute sorte, qui devaient le perdre une seconde fois!

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