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1765. grandes routes. Le parlement informa. Le pro. cureur-général,portant la parole en cette affaire, y mit une grande véhémence. Il fit plus : il vint à Versailles demander que le commandement de la Bretagne fût ôté au duc d'Aiguillon. Il dit que c'étoit le seul moyen d'apaiser les troubles dont la province étoit agitée; un grand nombre de magistrats avoient donné leur démission. L'action des tribunaux étoit suspendue. Les jésuites, contre lesquels La Chalotais avoit donné des conclusions vigoureuses, qui firent tant de bruit dans le temps, sous le nom de comptes rendus, cherchoient à soulever contre lui l'opinion de la province. Le roi, quoiqu'il désirât sur toutes choses la paix et l'union des esprits, ne crut pas devoir faire fléchir son autorité par le rappel d'un commandant dont les torts sans doute ne lui parurent pas démontrés. Bientôt (11 novembre) le procureur-général, son fils, qui avoit à la fois la concurrence et la survivance de sa charge, et trois conseillers du parlement de Rennes, sont enlevés dans la nuit, et menés à la citadelle de Saint-Malo. Des lettres patentes du 16 novembre les accusent «< d'avoir >> tenu des assemblées illicites, formé des >> associations criminelles, entretenu des cor

» respondances suspectes, de diffamer par 1765. » des libelles des serviteurs attachés au roi, » de répandre des écrits composés dans un esprit d'indépendance qui leur a fait tenir » les discours les plus séditieux, enfin d'avoir >> fait parvenir au roi des billets anonymes,

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injurieux à sa personne, et attentatoires à » la majesté royale. » On prétendit qu'un de ces billets étoit de la main de La Chalotais. Jamais accusation ne fut plus invraisemblable. Ce billet est tel que l'auroit pu écrire dans l'ivresse un homme de la plus vile populace. Le procureur-général pouvoit-il en être soupçonné l'auteur? Cependant on instruit une procédure sur cet absurde fondement. Des experts en écriture sont appelés.

Le parlement de Rennes n'existoit plus; la plupart de ses membres s'étoient démis. Un édit du mois de novembre, édit postérieur aux lettres patentes du 16, ordonne qu'il sera réduit et recomposé en attendant, il nomme trois conseillers d'Etat et douze maîtres des requêtes, pour le remplacer provisoirement. C'est devant ce tribunal, ou plutôt cette commission, que fut instruit, d'abord à Rennes, puis à Saint-Malo, le procès des deux procureurs-généraux, et des trois conseillers, aux

1765. quels on joignit dans la suite un quatrième (1). Calonne y fit les fonctions de procureur-général, et Lenoir celles de rapporteur.

1766-63.

Mais toute commission ayant toujours été odieuse à la France, on voulut, ou l'on feignit de vouloir, rendre les accusés à leurs juges naturels. On rétablit en Bretagne (9 janvier 1766) un fantôme de parlement, composé de vingt et un membres. Il fut flétri, dès son origine, du nom de bailliage d'Aiguillon. Des lettres patentes du même jour lui ordonnèrent de juger les accusés. La plupart se récusèrent. Alors les commissaires, qui tenoient le parlement de Bretagne, reçurent, par des lettres patentes du 24 janvier, l'ordre d'aller tenir une cour royale à Saint-Malo pour y juger les magistrats détenus. Cette marche, qu'on estima combinée d'avance, fut mal vue du public, qui n'y aperçut qu'un moyen de pallier l'irrégularité d'un tribunal extraordinaire, et suspect par conséquent. Toute la magistrature, et surtout le parlement de Paris, s'éleva contre cette manière de procéder. Le

(1) Les trois premiers se nommoient Piquet de Montreuil, Charette de la Gacherie, et Charette de la Colinière; le dernier, Euzenou de Kersalaun, arrêté à Quimper le 19 février 1766.

14 février on ajouta onze nouveaux conseillers 1766-68. à ceux qui composoient le parlement breton, et l'on en prit occasion de lui renvoyer le procès des magistrats, en révoquant la chambre criminelle de Saint-Malo; c'est le nom qui lui est donné dans les lettres patentes du 14 février. L'affaire, après quelques poursuites faites à Rennes, fut évoquée au conseil, et les accusés transférés à la Bastille. Le roi, par des lettres du sceau (23 décembre 1766), déclara éteindre toutes ces procédures. Les magistrats prétendirent que cette extinction ne suffisoit pas à leur honneur compromis, et demandèrent à être jugés au parlement de Bordeaux. Le roi, qui avoit sans doute acquis la conviction de leur innocence, et qui voyoit la France entière dans la même opinion, ne permit point de réveiller une affaire qu'il avoit assoupie par un acte de son pouvoir suprême; c'est ainsi qu'il avoit qualifié les lettres du sceau. Cependant les magistrats ne sortirent de la Bastille que pour aller en exil. L'accusation de complots et d'outrages faits au roi étoit assurément dénuée de toute vraisemblance et de toute vérité. Nous avons sous les yeux la procédure imprimée, où il ne s'en trouve aucune preuve. Mais le monarque avoit des motifs particuliers de mécontentement qu'il

1766-68. n'expliqua point; et il est sûr que des idées d'indépendance n'étoient pas étrangères à tous les membres du parlement breton. La Chalotais avoit une âme ferme, élevée, intrépide, de grands talens, un esprit supérieur, mais imbu des opinions nouvelles qui commençoient à dominer. Dans un projet d'éducation qu'il donna au temps de l'expulsion des jésuites, on ne fut pas médiocrement surpris de le voir conseiller de mettre entre les mains de la jeunesse l'Essai sur les mœurs des nations, par Voltaire. C'eût été l'infaillible moyen d'accélérer, de quelques années, la révolution opérée en 1789 (1).

Durant cette malheureuse querelle que nous verrons se réveiller, la France avoit fait une perte cruelle. Un prince, qui possédoit, sans aucun mélange, les vertus les plus éminentes,

(1) L'auteur de cette Histoire a connu M. le marquis de Kersalaun, impliqué dans le procès dont on vient de parler. C'étoit un magistrat distingué, un homme de beaucoup d'esprit, et un intime ani du procureur-général. Un jour qu'on lisoit devant lui des discours révolutionnaires tenus dans l'assemblée dite législative, en 1792, il s'écria, en présence de l'auteur, avec l'accent de la douleur, du regret, et avec la plus noble franchise : « Voilà quels » étoient nos principes; nous étions républicains, M. de » La Chalotais et moi. »

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