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qu'on appeloit la philosophie; mais le torrent 1770. étoit si fort, qu'il s'y laissa entraîner; il finit par la favoriser, ou du moins par souffrir que la duchesse de Choiseul la favorisât; et les pamphlets irréligieux de Voltaire circulèrent sous le couvert du ministre.

Sa chute fut aussitôt suivie de celle des 1771. parlemens. Dans la nuit du 19 au 20 janvier, deux mousquetaires présentent à chacun des membres de celui de Paris, au nom du roi, l'ordre écrit de reprendre leurs fonctions, et de signer leur consentement ou leur refus, exprimé par ce seul mot, oui ou non. Quarante signent oui. Mais le lendemain étant réunis au Palais avec leurs confrères, ils rétractent leur consentement donné dans un moment de surprise, de trouble et de terreur : en sorte que le parlement tout entier est démis. La nuit suivante, un huissier de la chaîne vient notifier à tous séparément, que leurs offices sont confisqués, et les mousquetaires reparoissent au même instant avec des lettres de cachet pour chacun d'eux (1). Tous partent pour les divers lieux d'exil qui leur sont assignés, le 21; et

(1) Ceux qui voulurent consentir à se démettre (c'està-dire presque tous) furent rappelés dans la suite, et on liquida leurs offices.

1771. vingt-deux ans après, le même jour, le successeur du monarque qui avoit risqué ce coup d'Etat, montoit à l'échafaud, par suite de ces querelles parlementaires, qu'on verra renaître après la mort de Louis XV. Ce prince, d'un caractère doux, timide même, et toujours enclin à la paix et au repos, montra de la fermeté quand il crut son autorité compromise. Des conseillers d'Etat et des maîtres des re-. quêtes remplacèrent provisoirement, comme en 1753, les magistrats destitués. Ensuite on composa un tribunal définitif, dont le grand conseil qui, depuis 1753, luttoit d'autorité avec le parlement, forma le fond; il fut complété par des jurisconsultes pris de toute part, et quelques uns d'entre eux n'étoient pas très-bien famés. Aussi ce tribunal, surnommé parlement Maupeou, ne put-il obtenir de considération, quoiqu'il s'y trouvât quelques hommes qui s'en étoient acquis avant d'y entrer. Le roi y vint tenir un lit de justice (13 avril), et fit enregistrer trois édits, dont le premier supprimoit l'ancien parlement, le second lui substituoit le nouveau, et le troisième cassoit la cour des aides, qui, seule, avoit osé faire des remontrances sur cette révolution. Le roi défendit au nouveau parlement toute représentation en faveur de l'ancien, précaution surabondante,

et termina la séance en disant, du ton le plus 1775. ferme: Je ne changerai jamais. A l'exception du comte de la Marche, dont la modique fortune, dit-on, ne pouvoit se passer des bienfaits du trône, tous les princes du sang protestèrent contre ces nouveautés, et treize pairs adhérèrent à leurs protestations. Les princes furent exilés; mais quelque temps après, ils se réconcilièrent tous avec la cour, si ce n'est le prince de Conti, qui ne voulut point rétracter sa protestation. Ce fut l'exemple des autres princes du sang que suivirent les pairs. Le ressort du parlement de Paris, qui, de quelques côtés, étoit véritablement trop étendu, fut diminué par la création de six conseils supérieurs, dont on porta la compétence bien au-delà des sommes qui bornoient celle des présidiaux. Il fut, en outre, déclaré que les charges de la magistrature cessoient d'être vénales. Dans le courant de cette année, tous les parlemens furent anéantis et recomposés, excepté celui de Pau, qui, comme nous l'avons dit, avoit déjà subi cette opération, et celui de Rouen, auquel on substitua deux conseils supérieurs, dont l'un dans cette capitale de la Normandie, et l'autre à Bayeux. Ainsi fut terminée, sans secousse, mais non sans mécontentement, cette révolution dans la magistrature et dans la cons

1771.

1772-74.

titution du royaume,
royaume, dont les parlemens et
leurs remontrances étoient devenus une partie
essentielle et intégrante, depuis la longue inter-
ruption des Etats-Généraux; car ces nouvelles
cours, quoique décorées du nom de parle-
mens, n'étoient que les simulacres de ces tri-
bunaux anciens et vénérés.

Durant le cours de ce bouleversement, le roi avoit marié le dauphin à Marie-AntoinetteJosephe-Jeanne de Lorraine, archiduchesse d'Autriche (16 mai 1770). La fête que donna la ville de Paris, à cette occasion (le 30), fut marquée par un événement désastreux : le défaut de précaution des agens de la police fut cause que cent trente-trois personnes perdirent la vie dans la rue Royale ; il y cut un plus grand nombre de blessés. La fin terrible des augustes époux n'a pu qu'affermir dans l'esprit du peuple la superstition des présages. Tous deux, en cette douloureuse circonstance, prodiguèrent les témoignages de la plus touchante bonté. Ils donnèrent aux familles les plus indigentes qui étoient privées de leurs soutiens, tout l'argent qui étoit à leur disposition.

Louis XV n'abusa point du pouvoir absolu que lui laissa la dispersion des parlemens. La fin de son règne ne fut marquée dans l'intérieur que par des tracasseries de cour, qui sont déjà

sans intérêt. Mais au dehors, il se passa une 1772-74grande mutation qui dut étonner l'Europe, qui en changea la face, et produira peut-être encore d'autres changemens: c'est le partage d'une partie de la Pologne, consommé le 5 août 1772, à Pétersbourg. Le ministère françois n'y put apporter aucun obstacle. Occupé de se maintenir en place, à peine fut-il instruit du projet des trois puissances co-partageantes, que nous avons déjà nommées. Louis XV, en apprenant cette mémorable usurpation, laissa échapper un mot flatteur pour le duc de Choiseul: « S'il eût été ici, dit-il, cela ne seroit point » arrivé. » Nous acquîmes cependant quelque gloire dans cette triste et humiliante conjoncture. Quinze à seize cents François, foible secours envoyé aux Polenois, signalèrent leur bravoure sous les ordres du baron de Vioménil, aujourd'hui maréchal de France, et sous M. de Choisi, brigadier, qui se défendit avec intrépidité dans le fort de Varsovie contre le terrible Suwarow (dont nous aurons occasion de parler dans la suite), et ne capitula qu'au moment d'être forcé. Tel fut le dernier événement militaire du temps de Louis XV.

Ce prince, qui avoit eu la petite vérole, vers la fin d'octobre de 1728, en fut attaqué de nouveau, après plus de quarante-cinq ans. Ses

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