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1772-74. trois filles, Mesdames Adélaïde, Victoire, Sophie (1), ne quittèrent pas la chambre du roi, dont la maladie eut au bout de quelques jours les caractères les plus dégoûtans et les plus terribles. Toutes trois en furent attaquées; aucune n'y succomba. Louis XV mourut le 10 mai, dans la soixante-cinquième année de son âge.

Ce prince eut deux défauts : une défiance de lui-même excessive et mal fondée; un amour effréné pour les femmes; l'un et l'autre furent l'ouvrage des circonstances. Il avoit reçu de la nature un sens droit, de l'esprit et de la timidité. Le cardinal de Fleury, tant qu'il gouverna, ne prit aucun soin de l'instruire des affaires, et en mourant, lui recommanda de s'en rapporter toujours à l'avis de son conseil. C'étoit, disoit-il, l'infaillible moyen de n'avoir jamais aucun reproche à se faire. Louis eut le malheur de suivre cette instruction à la lettre, et ce fut l'occasion de plus d'une faute. Celles que lui fit commettre son goût pour le sexe, eurent une cause étrangère à ses premiers penchans et à ses premières habitudes. Il fut

(1) La quatrième, Mme Louise, avoit pris le voile chez les carmélites de Saint-Denis, où elle fit profession le 1er octobre 1771.

long-temps l'époux le plus fidèle. On assure 1772-71que la reine, se laissant aller aux impulsions de quelques personnes d'une piété fort mal entendue, eut le matheur de se refuser à ses empressemens; le dépit en fut la suite; les corrupteurs firent le reste. Condamnés longtemps à la nullité, ils ne s'en dédommagèrent que trop. Ses deux dernières maîtresses en titre étoient d'une très-basse extraction..On lui en a fait un crime; ce seroit plutôt un motif d'excuse. Il n'est pas de spectacle plus triste que celui d'un monarque déshonorant par des affections coupables une famille illustre. Le tort le plus grave de Louis XV est la sorte d'illustration qu'il voulut procurer à ces deux femmes, surtout à la dernière. Au reste, Mm de Pompadour avoit quelque élévation dans l'esprit, et Mie Lange, plus connue sous le nom de Mme Dubarri, signala par une noble générosité les derniers jours de sa vie. Elle la perdit sur l'échafaud révolutionnaire, où elle ne monta point avec courage; foiblesse bien pardonnable à son sexe, mais remarquée parce qu'elle fut unique.

Malgré les défauts que nous n'avons pas dissimuler, Louis XV sera compté au nombre des bons rois, quand l'esprit de dénigrement, quand les idées révolutionnaires auront fait

1772-74 place à l'impartialité, à la raison et à la sagesse. Ses maîtresses seront oubliées, ainsi que celles de tant d'autres princes, et on se souviendra qu'il n'exista jamais de monarque plus doux, plus clément, de maître plus affable; que, malgré nos revers maritimes, ce règne de cinquante-neuf ans fut un des plus heureux que la France ait encore vus; que la nation a joui, en général, à cette époque, de la plus grande prospérité qu'elle ait connue; que la fondation de l'Ecole-Militaire et de l'Ecole de Chirurgie sont deux grands bienfaits envers la France l'humanité toute entière lui en doit encore un plus éminent. Dans le cours de la guerre de Sept-Ans, que nous soutenions sur mer avec tant de désavantage, un Dauphinois, nommé Dupré, retrouva la composition du feu grégeois des anciens, en fit des expériences multipliées, une entre autres en présence du roi, qui toutes réussirent. Louis XV lui paya son secret, et ne permit, ni d'en faire usage, ni de le publier. Il se priva ainsi du moyen infaillible de triompher d'un ennemi qui lui avoit fait beaucoup de mal. L'histoire n'offre pas de trait plus magnanime.

Il est vrai que déjà germoient au sein du royaume les semences de cette funeste révolution qui s'est développée ensuite. Il faut

que

convenir la dissolution des mœurs de ce 1772-74 monarque a pu affoiblir un peu le respect dû au trône, et être comptée parmi les nombreuses causes de la catastrophe; mais il s'en faut bien qu'elle y ait eu la principale influence. Nous avons vu sous d'autres règnes, sans parler de la régence, une dépravation beaucoup plus marquée, sans qu'il en soit résulté de semblables effets.

Une cause bien plus directe du désastre, comme nous le dirons bientôt, a été le changement des opinions religieuses, et Louis XV ne l'a jamais favorisé. Malgré ses goûts voluptueux, il respecta et pratiqua constamment la religion de ses pères ; il montra la plus grande aversion pour l'ennemi le plus acharné du christianisme, et le retint toujours dans la disgrâce et dans l'exil. Mais enfin l'incrédulité prévalut d'abord dans la classe la plus élevée de la nation, et descendit presque jusque dans les dernières. Il est douteux que la main des rois et des ministres les plus fermes eût été assez puissante pour opposer une digue suffisante à ce débordement, tôt ou tard névitable.

Les sciences, sous ce règne, jetèrent encore plus d'éclat que les lettres; quatre écrivains cependant s'élevèrent au-dessus de la foule. Montesquieu, au même degré profond et in

1772-74. génieux; Buffon, qui, malgré la perfection et la majesté de son style, est moins lu qu'admiré; Jean-Jacques Rousseau, qu'on ne peut lire ni sans plaisir ni sans danger, et que ses paradoxes innombrables décrieront éternellement dans les esprits droits et sages (1); Voltaire, doué d'une facilité miraculeuse, et qui réunit tous les talens, mais qui n'en eut pas un assez décidé pour devenir classique; Jean-Baptiste Rousseau, qui l'est, appartient plus au siècle de Louis XIV, qu'à celui de Louis XV; l'abbé Delille s'annonça sous ce dernier règne par un chef-d'œuvre de difficulté vaincue, et qu'on avoit jugée insurmontable: la traduction des Géorgiques. Piron et Gresset firent chacun une comédie d'un mérite supérieur et d'un style plus élégant et plus correct que celui du prince des comiques; Pompignan, une tragédie estimable, quelques strophes magnifiques; Lemierre, un petit nombre de vers heureux; Colardeau, davantage; Du Belloi, des tragédies dans lesquelles il y a de nobles sentimens ; celles de Ducis, qui en avoit déjà composé

(1) Le goût étoit perverti au point que sa lettre à l'archevêque de Paris fut citée comme un chef-d'œuvre de dialectique. C'est un véritable modèle d'insolence et de déraison.

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