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1775. haute magistrature, et ce qu'alors on appeloit les deux premiers corps de l'Etat, se fussent entendus pour exciter des révoltes. Il n'y en a pas la plus légère preuve. Les tribunaux de la maréchaussée furent chargés de les réprimer et de les punir. Deux exemples suffirent pour les dissiper.

Turgot n'étoit pas le seul novateur qui fût dans le ministère : le comte de Saint-Germain, auquel celui de la guerre étoit confié, bouleversa tout dans son département. Sous prétexte d'économie, il supprima une partie de la maison militaire du roi, diminuant ainsi l'éclat et la force du trône, qu'il eût mieux valu augmenter. On prétend même qu'il avoit le projet de supprimer tout-à-fait cet établissement. Il introduisit la punition des coups de plat de sabre qui fit le plus mauvais effet. Un grenadier dit à cette occasion qu'il n'aimoit du sabre que le tranchant. C'étoit bien méconnoître l'esprit de la nation, que de vouloir introduire, dans les armées françoises, cet usage emprunté de l'étranger. Ces deux mi

eût point attaqué la religion, le clergé pouvoit craindre ses relations intimes avec ceux qui travailloient à la détruire. La noblesse et les parlemens devoient redouter ses vastes projets d'innovation en tout genre,

nistres nous menoient si brusquement à la 1775. révolution qui éclata quelques années plus tard, que dès lors on la prédit dans tous ses détails. Une chanson connue annonça la suppression de la noblesse, du clergé, des parlemens, même de la royauté (1). La reine qui étoit adorée de son époux, et qui méritoit de l'être, lui témoigna de trop justes alarmes sur les suites des nouveautés qui s'opéroient, ou se préparoient de toute part. Le parlement de Paris, de son côté, refusa d'enregistrer plusieurs édits qui étoient les préliminaires des changemens médités par le contrôleur-général. Le monarque, n'étant pas encore désabusé, 1776. les fit enregistrer dans un lit de justice (12 mars). Ce fut là, pour le moment, le dernier triomphe des économistes et des philosophes. Le roi sentit bientôt qu'on l'entraînoit trop loin; il cessa de témoigner la même confiance à Malesherbes et à Turgot. Le premier donna sa démission; elle fut demandée à l'autre. SaintGermain perdit, peu après, la portefeuille de la guerre, qui fut confié au prince de Montbarey.

Clugny et Taboureau ne firent que paroître

(1) Le roi se croyant un abus,

Ne voudra plus l'être.

1777.

au contrôle-général. Le dernier fut remplacé par Necker, Génevois et protestant, qui, né sans biens, avoit fait dans la banque une de ces fortunes rapides dont la légitimité paroît toujours un peu équivoque. Il n'eut que le titre de directeur-général des finances (10 juillet).

L'empereur d'Allemagne, Joseph II, fit, cette année, en France un voyage qui n'eut aucun résultat politique, quoiqu'il lui eût supposé d'abord un but de cette nature. Il se conduisit comme un prince qui cherche à s'instruire, et non à s'amuser. Pour éluder, autant qu'il étoit possible, l'ennui du cérémonial, il prit le nom de comte de Falkenstein. A son retour, il passa par Genève. Voltaire se flattoit de le voir à Ferney, et avoit fait des apprêts pour sa réception. L'empereur trompa son attente. L'abbé Brotier (dans son livre intitulé Paroles mémorables) raconte que le prince dit à ce sujet : « Si je voyageois en empereur, je l'aurois vu comme un homme célèbre ; je » voyage en gentilhomme, et j'en veux garder >> tous les devoirs. Un gentilhomme ne peut » pas voir un homme qui a reçu des coups de

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bâton (1), et qui est flétri par des arrêts. »

(1) Que le chevalier de Rohan lui avoit fait donner, pour le punir d'un propos outrageant.

Il semble que le motif est le même, ou plus 1777fort pour un empereur. L'année suivante, Vol- 1778. taire fut amplement dédommagé de cette mortification: Louis XV le tenoit dans l'exil comme un ennemi de la religion de l'Etat, et comme un écrivain qui avoit outragé les mœurs. Il paroît qu'il n'existoit point de lettre de cachet en forme. On lui avoit permis d'habiter sur l'extrême frontière de la France. Depuis vingt-sept ans, il n'avoit pu même approcher de la capitale. Mais, durant cet intervalle, il s'étoit opéré un tel changement dans les opinions, il s'étoit introduit une telle foiblesse dans le gouvernement, qu'un roi dont l'Eglise consacrera probablement toutes les vertus, cédant aux mœurs du siècle, si éloignées des siennes, souffrit qu'une espèce de triomphe fût décerné publiquement à un auteur qui avoit corrompu son pays (1). Une jeunesse effrénée alla jusqu'à déifier, en quelque sorte, le chantre de la débauche, l'écrivain d'un poëme plein de telles infamies, qu'on ne doit pas même en rappeler le titre. Si Louis XVI n'eût pas en cette circonstance la fermeté de son prédé

(1) On lit dans les Mémoires de M. Hue que Louis XVI dit, en parlant de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau : « Ces deux hommes ont perdu la France. »

1778. Cesseur, il faut du moins le louer de n'avoir pas souffert que l'homme qui avoit donné tant de scandale, qu'un homme, couvert d'autant d'opprobre que de gloire, approchât de sa cour. Voltaire et Rousseau moururent presque en même temps: le premier, le 30 mai; l'autre, le 2 juillet.

L'année même de la mort de ces deux écrivains qui contribuèrent tant à notre effroyable révolution, vit éclore un événement qui en fut aussi. une des causes principales et prochaines un roi juste et pacifique fut précipité dans une guerre injuste et impolitique tout ensemble. Les colonies angloises du nord de l'Amérique, mécontentes de leur métropole, étoient, depuis 1765, dans un état de fermentation. En 1773, ces troubles prirent un caractère plus grave, et en 1775, la guerre civile éclata. L'année suivante, le 4 juillet, ces colonies se déclarèrent indépendantes dans un congrès. Le docteur Franklin eut la plus grande part à cette déclaration. Elle porte: que tous les hommes ont » été créés égaux, et qu'ils ont été doués par » le créateur de certains droits inaliénables ;

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» que parmi ces droits sont la vie, la liberté, » et la recherche du bonheur; que pour assu» rer ces droits, les gouvernemens ont été

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