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bérèrent, dit-on, s'il ne leur conviendroit pas 1788. d'enlever le principal ministre, en plein jour, dans le palais du roi; ce qui annonce que l'autorité royale n'existoit déjà plus. Brienne, incapable de résister à l'orage qu'il avoit appelé sur la tête du monarque, fit ajourner, par un édit du 8 août, l'établissement de la cour plénière jusqu'à l'assemblée des Etats-Généraux. C'étoit un foible moyen pour cacher la honte d'une retraite; car la cour plénière avoit été imaginée pour se passer d'Etats-Généraux comme de parlemens, et il étoit bien sûr que les Etats-Généraux n'adopteroient pas la cour plénière, que leur rétablissement rendoit inutile. Brienne n'avoit pas mieux dirigé les finances que la politique : il ne restoit plus que quatre cent mille francs dans le trésor; et, ne jouissant d'aucun crédit parmi les capitalistes, il n'avoit pas la ressource des emprunts; il fut donc forcé d'avouer au roi son impuissance à retenir les rênes du gouvernement. Il donna sa démission (25 août), et conseilla de rappeler Necker, comme le seul homme capable de surmonter la crise où il laissoit les affaires. Le roi, cédant à la nécessité, rappela un ministre que demandoit à la vérité l'opinion la plus générale, mais dans lequel il n'avoit aucune confiance, non plus

1788. que la reine (1). On lui donna le titre de directeur-général des finances. Le renvoi de Lamoignon, la suppression des grands bailliages, et la rentrée des parlemens, étoient une suite nécessaire de la chute de Brienne. L'effigie de ce prélat et celle de Lamoignon furent brûlées sur la Place Dauphine, par des jeunes gens, pour la plupart clercs du Palais. S'étant postés près de la statue de Henri IV, ils contraignoient tous les passans de la saluer; ceux même qui alloient en voiture, étoient obligés d'en descendre pour faire le salut plus respectueusement. Cette violence, quoique légère, et faite avec une sorte de politesse et de gaieté, encouragea la populace à des voies de fait d'un autre genre. Brienne, qui songea principalement à sa fortune pendant son court ministère, qui s'étoit approprié l'archevêché de Sens, plus riche que celui de Toulouse, et les plus grosses abbayes vacantes, avoit fait donner à son frère,

(1) Louis XVI, qui connoissoit son insatiable ambition, dans une circonstance précédente, où son rappel étoit encore sollicité, répondit : « Il faudra donc que je lui » cède mon trône; » et dans celle-ci, il dit : « On m'a » fait rappeler Necker; je ne le voulois pas. On ne sera pas long-temps à s'en repentir.» (Annales françoises de M. Sallier, conseiller au parlement de Paris, imprimées en 1813.)

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le comte de Brienne, le département de la 1788. guerre. La canaille parisienne, secondée par des vagabonds et des brigands, qui de la province venoient d'accourir à Paris, entreprit de piller l'hôtel du comte, et ensuite de le brûler. Le guet, commandé par un brave officier, nommé Dubois, les dispersa; quelques uns furent tués. Leurs camarades, pour les venger, non seulement insultèrent le guet partout où ils le rencontroient, le maltraitoient, forçoient et brûloient leurs corps de-garde, mais se portèrent à la maison du commandant. Là, il y eut un petit combat, où un assez grand nombre de malfaiteurs laissèrent la vie. Le parlement ordonna des informations sur ces deux événemens. Les témoins inculpèrent les commandans des troupes, et prétendirent qu'il eût été possible de disperser la multitude sans tirer sur elle. Comme les gardes-françoises avoient contribué à la réprimer, le maréchal de Biron, leur colonel, fut mandé à la barre du parlement. Il dédaigna cet ordre; le parlement n'osa pas essayer de le contraindre à l'exécuter, et compromit ainsi sa dignité, en abusant de son pouvoir. Le gouvernement, de son côté, laissa voir toute sa foiblesse, en n'employant d'autre moyen de sauver Dubois, qui avoit rempli sou devoir avec honneur, que de lui donner du

1788. service en province pour l'éloigner de Paris; il eût fallu casser avec indignation une procédure qui, au lieu d'être dirigée contre la révolte, l'étoit contre ceux qui l'avoient réprimée. Cette mollesse de l'autorité dut enhardir les factieux; et ce qui dut porter leur audace au comble, c'est que le parlement, quoiqu'il les improuvât, regardant leurs excès comme une suite de leur attachement à sa cause, renvoya hors de cour ceux qui furent mis en jugement, à l'exception d'un seul, qui fut condamné à quelques jours de prison peine dérisoire pour de pareils crimes. Ce fut au milieu de ces révoltes de Rennes, de Grenoble, de Paris, qu'on eut l'imprudence de convoquer les Etats-Généraux; presque tous les ministres, dit-on, pensoient qu'en de telles circonstances ils pouvoient renverser la monarchie, et s'efforçoient, en conséquence, d'éluder ou de différer leur convocation. Necker, le plus accrédité de tous, avoit une autre opinion; il se flattoit de dominer cette assemblée. Le bruit général étoit, qu'irrité de son expulsion d'un premier ministère, il vouloit, cette fois, se l'assurer pour sa vie, en faisant énoncer ce vœu ou cette volonté par les députés de la nation. Le soin de cette convocation ne concernoit aucunement un ministre des finances; mais celui-ci s'étoit arrogé, on

ne sait comment, une véritable suprématie, 1788. qu'on ne lui disputoit même pas. Il fit donner le 25 septembre, une déclaration qui fixoit l'ouverture des Etats-Généraux. Le parlement mit dans l'enregistrement cette clause judicieuse et conservatrice : « qu'ils seroient as» semblés suivant la forme observée pour les >> Etats de 1614. » D'Eprémesnil y contribua beaucoup; juste expiation de plusieurs excès dans lesquels l'avoit entraîné son zèle ou son ambition (1). Cette clause eût sauvé l'Etat. Brienne avoit comme préparé sa destruction par une des mesures les plus incroyables qui pussent tomber dans la tête d'un ministre : il avoit fait rendre un arrêt du conseil qui autorisoit le premier venu à publier ses systèmes sur tout ce qui concernoit les Etats-Généraux, sur leur composition, sur ce qu'ils devoient traiter, comme si c'eût été une institution nouvelle, ou comme s'il se fût agi de tout détruire

(1) Depuis quelque temps on n'entendoit parler que de dénonciations faites au parlement par des conseillers faisant fonction de procureur-général, et dirigées contre le gouvernement. D'Esprémesnil étoit un des plus emportés. On raconte qu'une parure ayant été proposée à la reine, Sa Majesté répondit : « Elle me plairoit assez; mais que » dira M. d'Esprémesnil? » Ce magistrat, depuis ce temps (la fin de 1788), ne mérita plus que des éloges.

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