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gérées, à demander, entre autres choses, l'ad- 1789. mission du divorce en France.

La rédaction des cahiers, surtout de ceux du tiers, se ressentit, comme on peut croire, de l'esprit d'innovation répandu dans presque toutes les brochures qui circuloient. Partout, à peu près, on perdit de vue la constitution du royaume, et celle des Etats-Généraux. Ces assemblées, comme nous l'avons vu, devoient se borner, et jusqu'alors s'étoient bornées à présenter des doléances, à solliciter des améliorations. Cette fois, on voulut qu'elles devinssent législatrices, du moins qu'elles partageassent le pouvoir du roi à cet égard, en proposant des lois, qu'à la vérité on laissoit au monarque le droit de ne point accepter. Tel fut en général l'esprit des cahiers dressés dans les bailliages et remis aux députés élus. Ils furent presque tous rédigés par des gens de loi, qui, pour la plupart, avoient très-peu de connoissance du droit public et des constitutions de la France. Cette grande erreur n'auroit pas été commise en Bretagne, si le ministre dirigeant n'eût pas violé la constitution particu lière de cette province. C'étoient ses Etats, composés de l'élite des trois ordres, qui nommoient les députés aux Etats-Généraux, et les députés de chaque ordre étoient nommés par les deux

1789. autres; ce qui rendoit les brigues bien plus difficiles. Des cahiers, donnés par une telle assemblée, n'eussent jamais été dirigés contre l'antique constitution de la monarchie. Mais Necker eut soin d'y pourvoir : dans l'hiver de 1788 à 1789, un de ses affidés, que le bruit général désignoit comme son émissaire, se rendit à Rennes, y rédigea, sous le titre de Sentinelle du Peuple, une espèce de journal qui enflamma les esprits du tiers. Les trois ordres avoient été dans la meilleure intelligence jusqu'à cette époque. Ils s'étoient réunis contre les innovations de Brienne. Tout à coup la discorde agite la ville et la province. Les Etats s'assemblent, et dès le premier jour sont troublés par les plus violentes querelles. La noblesse est assiégée pendant quarante-huit heures dans la salle des Etats. Deux jeunes gentilshommes, qui n'étoient point encore d'âge à y prendre séance, mais qui vouloient s'y rendre pour partager les périls de leur ordre, Boishue èt Saint-Riveul, sont assassinés dans les rues. C'est le premier sang qui ait été versé par les révolutionnaires. La noblesse étoit accourue en foule aux Etats. Il est inutile de dire qu'elle étoit infiniment moins nombreuse que le tiers. Un sanglant combat alloit s'engager, au milieu de la ville, lorsqu'un gentilhomme (M. de

Montbourcher), s'adressant à un des plus braves 1789. plébéiens (M. Ulliac), lui dit : « Ceci nous regarde. » Le défi est accepté. On se range en cercle pour regarder ce combat singulier. M. de Montbourcher a, dit-on, le bonheur de désarmer son adversaire, et n'a garde d'abuser de cet avantage. Celui-ci ayant repris son épée embrasse le vainqueur. Les deux partis applaudissent, et se séparent. Cet heureux incident sauva tous les nobles qui étoient à Rennes ; et s'ils y avoient péri, qui peut savoir quel eut été pour l'ordre tout entier le résultat d'un si funeste exemple? Les gentilshommes assiégés sortirent des Etats l'épée à la main pour imposer à la multitude attroupée en foule. Leur retraite n'éprouva point d'obstacle. Les Etats furent séparés, et leur convocation nouvelle remise au 3 février. On éût pu les assembler sans danger dans une petite ville de la province, comme il s'étoit pratiqué plusieurs fois. Ils ne le furent nulle part; Necker avoit d'autres vues; il ne vouloit pas que les Etats provinciaux nommassent les députés aux Etats-Généraux. Il n'y eut d'exception que pour le Dauphiné; là les Etats révolutionnaires de Romans, où l'on avoit voté par tête nommèrent les leurs dès le premier janvier, et cette députation convenoit fort aux projets du ministre. Elle les

1789. seconda puissamment d'abord, reconnut ensuite son erreur, s'en repentit, et voulut en vain la réparer. Quant aux autres pays d'Etats, le ministre déclara par le règlement du 2 mars fait pour la Provence, que, dans aucune partie du royaume, ils ne nommeroient les députés à la grande assemblée qui alloit s'ouvrir.

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Le règlement du 16 mars, fait pour la Bretagne, annonça que les circonstances s'opposoient à ce que les Etats de cette province fussent convoqués de nouveau, et supposa que les trois ordres applaudissoient au changement de résolution du ministère à cet égard; assertion qu'on va voir démentie par le fait. Pour motiver les assemblées, par bailliage, sans exemple en Bretagne, le ministre alléguale vœu du tiers et du second ordre du clergé; voeu qu'il avoit sollicité. Telle étoit la composition des Etats de cette province toute la noblesse ; dans le clergé, les évêques, les abbés commandataires, et les chapitres (1), et pour le tiers les députés des quarante-deux villes de la province qui méritoient ce nom, et parmi

(1) Rien n'étoit plus sage. Outre que les soins du culte exigcoient la résidence perpétuelle des curés de Bretagne (appelés recteurs en cette province) et de leurs vicaires, ils n'entendoient rien, en général, aux affaires publiques."

lesquelles il en étoit même de très-petites. 1789. Ces Etats n'eussent pu faire que de bons choix. Ils ne députoient aux Etats-Généraux que pour veiller à la conservation de leurs droits, ad conservandum. La province, ayant une constitution à elle, n'en vouloit pas d'autre. Le ministre, qui avoit des projets contraires, divisa les trois ordres en quatre assemblées : d'une part le tiers, ensuite le clergé du second ordre, enfin la noblesse et le clergé du premier ordre. Ces deux dernières classes, voyant dans cette mesure une infraction aux droits de la Bretagne, et un désir marqué de les anéantir, protestèrent et ne nommèrent point de députés. Ainsi, dans cette province, les deux premiers ordres ne furent point représentés. Nous disons les deux premiers, car nous avons déjà observé que le clergé de la seconde classe n'étoit point admis aux Etats de Bretagne. Le seul député de cette province qui se soit fait remarquer dans l'assemblée dite nationale, n'eût peutêtre pas été nommé, si l'ordre accoutumé n'avoit pas été interverti. On voit bien que c'est de Chapelier que nous parlons. Né avec beaucoup d'esprit, de talent même, et une extrême facilité, il n'avoit de connoissances profondes en aucun genre. Son père, conseil des Etats, avoit été anobli à leur sollicitation.

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