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et tous les hommes attachés à leur devoir. Le 1789. maréchal de Broglie offroit de conduire avec sûreté, à Metz, le roi et la famille royale. Ce prince malheureusement préféra le conseil de M. le duc de Liancourt, qui étoit de se jeter dans les bras de l'assemblée nationale. Il se rendit à la séance du 15 juillet, où il annonça qu'il renvoyoit les troupes de Paris et de Versailles. Le 17, il eut le courage de se rendre dans la capitale, où le maire Bailly (1), en le haranguant, lui dit (plutôt dans l'intention de faire une antithèse qu'il croyoit ingénieuse, qu'un outrage) que Henri IV avoit reconquis son peuple, et qu'ici c'étoit le peuple qui reconquéroit son roi. Ce fut aussi sans aucun dessein blåmable que M. de Lally qui prononça un discours à l'Hôtel-de-Ville, s'écria, en parlant de Sa Majesté : Le voilà ce Roi! ce qu'on appela une imitation de l'Ecce Homo. Aucun genre d'insulte ne fut épargné dans cette journée lugubre au malheureux Louis XVI.

(1) Il avoit été nommé la veille à cette place, substituée à celle de prevôt des marchands, et M. le marquis de La Fayette avoit remplacé, dans le commandement de la garde nationale, un chef qui n'a laissé aucun souvenir. Les électeurs avoient fait séditieusement cette double nomination, qui ne leur appartenoit à aucun titre.

1789. Il étoit venu sans sa garde; la milice de Paris alla jusqu'à Sèvres à sa rencontre, et lui offrit le douloureux spectacle du drapeau et des canons de la Bastille. On crioit : Vive la nation, et l'on défendoit tout haut le cri de Vive le Roi. Trois ou quatre coups de fusil partirent ensemble dans la direction de la voiture du monarque, et tuèrent une femme dans la foule; au moment où il en descendit, des piques et des épées nues formèrent sur sa tête une voûte d'acier. Pour comble d'humiliation et d'infortune, il fut contraint de recevoir des mains de Bailly et d'arborer la cocarde de la révolte. A ce prix, il put sortir de Paris, et retourner à Versailles, où la reine éperdue et toute la famille royale avoient passé le jour dans la terreur et les angoisses.

Les députés, qui avoient déchaîné le peuple, n'en furent pas eux-mêmes toujours respectés. On vint avertir l'assemblée qu'un riche fermier de Poissy touchoit au moment d'être pendu, sous un faux prétexte, par la garde nationale de la ville (1). Douze députés furent envoyés pour le sauver; car la puisance royale étoit anéantie. On n'eut d'abord aucun égard

(1) Les environs de Paris en avoient déjà créé une, à l'exemple de la capitale.

à leur intervention. Ils se mirent tous à genoux 1789. pour supplier cette milice de permettre qu'on fit le procès à l'accusé avant de le faire mourir. On eut beaucoup de peine à consentir qu'ils le menassent dans les prisons de Versailles, et on les prévint que, si cet homme n'étoit point pendu, ils le seroient eux-mêmes. On apprit en même temps que d'autres émeutes et d'autres révoltes avoient éclaté en diverses provinces. A Paris, Foulon, désigné pour le nouveau ministère, est accroché à une lanterne; on veut faire subir le même sort à son gendre Berthier, intendant de Paris. Il saisit le fusil d'un soldat, se défend avec courage, et meurt percé de mille coups de baïonnettes. On lui arrache le cœur qu'on va présenter aux électeurs assemblés à l'Hôtel-de-Ville. Quand le récit de ces scènes d'antropophages fut fait à l'assemblée nationale, Barnave, député dauphinois. dit : « Le sang qui coule est-il donc » si pur? » Il l'étoit assurément : on reprochoit à Foulon un propos absurde qu'il n'avoit pas tenu, à Berthier, magistrat du plus grand mérite, d'avoir fait son devoir en pourvoyant à l'approvisionnement des troupes cantonnées sous Paris. Monsieur de La Fayette fit des efforts inutiles pour arracher à la mort ces deux victimes. Les gardes nationaux, qu'il

1789. commandoit, les laissèrent dévorer par la

populace.

Ces atrocités, qui ne furent suivies d'aucune poursuite judiciaire, ne parurent pas suffisantes aux factieux pour consommer leur ouvrage, qu'ils estimoient à peine commencé : ils semèrent, dans toute la France à la fois, une fausse alarme sur de prétendus brigands qu'on disoit aux portes de chaque ville. Il n'en fallut pas davantage pour les armer toutes au même instant (1). La multitude, qui n'avoit point d'armes, courut en chercher dans les châteaux, et vidoit en même temps les caves de ceux qu'elle désignoit sous le titre d'aristocrates, nom qu'elle donnoit à tous ceux qui n'approuvoient pas la révolte, que ses auteurs voulurent ennoblir en la qualifiant de récolution. Heureux les gentilshommes, quand le meurtre et l'incendie ne marquoient pas le sinistre passage des patriotes! C'est le titre dont se décoroient les révoltés. Presque le ``même jour, trois millions d'hommes se trou

(1) M. Beaulieu attribue cette invention diabolique à M. Adrien Duport, jeune conseiller au parlement de Paris, et ajoute qu'elle fut accueillie par le club breton. Nous dirons ailleurs un mot des abominables assemblées de ce genre.

vèrent en armes. Chaque ville, chaque bourg 1789. ou village eut sa garde nationale. Il étoit impossible que parmi une telle multitude il ne se trouvât beaucoup de gens disposés à tirer parti de l'anarchie où l'Etat se trouvoit plongé en attendant la régénération qu'on lui promettoit. A l'exception d'un très-petit nombre de factieux ou de fanatiques, tous les gentilshommes, détestant les innovations qui s'opéroient, étoient réputés ennemis du peuple. En conséquence on pilla, on brûla, on démolit une infinité de châteaux; on y ravit les titres, on assassina plusieurs des propriétaires. Ce fut en Franche-Comtéque la persécution commença sous un prétexte absurde dont la fausseté fut reconnue par l'assemblée nationale même. Les chefs, les ordonnateurs de tous ces excès écrivoient de Paris ou de Versailles à leurs affiliés : Eclairez les châteaux, supposant par cette équivoque, à laquelle les exécuteurs ne se méprenoient point, que c'étoit le défaut de lumières qui empêchoit la noblesse d'applaudir à leurs systèmes. Les plaintes arrivèrent de toute part à l'assemblée, mais vainement; aucune mesure ne fut prisc pour. arrêter ces dévastations. Il y eut même des orateurs assez effrontés pour prétendre que c'étoit la noblesse qui mettoit le feu à ses

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