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A l'occasion de quelque apparence ou de quel- 1790. que crainte d'une rupture entre l'Angleterre et l'Espagne, on ne rougit pas de mettre en question si le droit de paix et de guerre appars tiendroit au roi; sans Mirabeau, il lui auroit été ravi tout-à-fait; on ne le lui laissa même qu'avec d'outrageantes restrictions. Mirabeau fut néanmoins en ce moment regardé par le côté gauche comme un transfuge; mais il répara bientôt cette brèche à sa réputation démocratique. Quelquefois le ridicule se mêloit à l'horreur dans cette assemblée; en voici un exemple à peine croyable, quoique certain : le 20 juin, on vit paroître à la barre une députation de tous les peuples de la terre, dont le président étoit un baron prussien, nommé Clootz, qui prit dans la suite le surnom d'Anacharsis, et dont le tribunal révolutionnaire fit quelques années après tomber la tête. Les députés de l'Univers étoient un tas de vagabonds et de domestiques étrangers soudoyés pour jouer cette comédie. L'hommage de ces misérables fut reçu avec enthousiasme. Le lendemain, sur la motion d'undéputé peu connu, nommé Lambel, on abolit la noblesse héréditaire, et tous les titres, même celui de prince. Cette extravagance fut décrétée à onze heures du soir, et le roi fut contraint à la revêtir de

1790. son acceptation; ensuite, pour enflammer davantage les esprits, on ordonna une fête à laquelle devoit prendre part un certain nombre de gardes nationaux de tous les départemens, et de députés des régimens de la troupe de ligne. Elle se fit à Paris, au Champ-de-Mars, le 14 juillet, jour anniversaire du triomphe de la révolte et des crimes inutiles qui l'accompagnèrent. Le roi fut obligé d'y assister, et de jurer fidélité à une constitution qui le détrônoit. L'évêque d'Autun dit la messe, et entonna un Te Deum. Des torrens d'une pluie qui dura tout le jour, inondèrent les fédérés, et trois cent mille spectateurs, sans les rebuter; le délire étoit encore dans toute sa violence, et ne commença de s'affoiblir que l'année suivante. Ce n'étoit pas tout-à-fait la faute de l'assemblée si les yeux ne se désilloient point; car elle protégeoit ouvertement les plus grands attentats. Elle arracha au roi une amnistie pour soustraire à la justice une foule de criminels, dont on instruisoit le procès dans trois départemens de la Haute-Bretagne. Cette impunité multiplia les crimes dans presque toutes les provinces. L'armée se livra de son côté à la licence et à l'insubordination; ce fut, dit M. de Bouillé, le résultat de la fédération du 14 juillet. A leur retour, les députés des régimens semèrent

les germes de la corruption qu'ils avoient pris 1790. dans la capitale, et, un mois après, tout au plus, l'armée entière étoit en insurrection. Tandis qu'on protégeoit, ou qu'on fomentoit même tous ces désordres, des comités des recherches qui s'étoient révolutionnairement, et d'eux-mêmes, institués dans la plupart des villes, à l'instar de celui de l'assemblée, persécutoient et emprisonnoient les ennemis de la révolution, c'est-à-dire le petit nombre de gens sensés qui s'étoient préservés de la contagion presque universelle. Un emprisonnement de cette nature donna lieu à une discussion trèsvive dans l'assemblée. M. de Faucigny (membre du côté droit), voyant qu'elle alloit encore dans cette occasion accabler l'innocence, et même un de ses membres, M. le président de Frondeville, qui la défendoit avec la plus grande énergie, s'écria: « C'est une guerre ouverte de la » pluralité contre la minorité; il n'y a qu'un » moyen de la finir: il faut tomber le sabre » à la main sur ces gens-là. » C'eût été leur rendre justice; mais il est heureux que ce mouvement d'une trop juste indignation n'ait pas eu de suite; la bonne cause, n'étant point en force, du moins dans la très-grande partie de la France, eût nécessairement succombé...) Elle parut cependant triompher à Nancy,

1790.

où la plus violente révolte de la garnison fut étouffée par la fermeté intrépide de M. le marquis de Bouillé. Toute l'infanterie françoise étoit, d'un bout du royaume à l'autre, réunie à la populace, et en révolte; une partie même des régimens étrangers avoit été atteinte de la contagion; la cavalerie s'étoit mieux maintenue; une grande portion du moins demeuroit fidèle au roi. M. de Bouillé, avec quatre mille quatre cents hommes, osa se présenter devant la ville de Nancy qui en renfermoit dix mille. Les rebelles néanmoins envoyèrent an-devant de lui pour annoncer leur soumission. Mais une querelle est suscitée à son avant-garde par la populace armée, qui veut diriger l'artillerie contre elle. Un jeune officier du régiment du roi (Desilles ) se précipite à la bouche d'un canon; il en est arraché, et se place sur la lumière d'un autre, où il est massacré. Après cet horrible prélude, se donna un combat acharné dans lequel M. de Bouillé fut vainqueur, malgré l'extrême infériorité de ses forces. (31 août). Il y avoit dans la place un régiment de Suisses (Châteauvieux). Leurs compatriotes, servant dans l'armée victorieuse, tinrent un conseil de guerre, qui envoya vingt des coupables à la mort, et un plus grand nombre aux galères. Mais M. de

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Bouillé ne put parvenir à faire juger aucun 1790. des soldats françois pris les armes à la main; il n'y en eut pas un seul de puni. On commença quelques procédures sur cette rebellion; l'assemblée nationale les anéantit: tous les rebelles étoient sûrs de sa protection. M. de Bouillé, dans ses Mémoires, témoigne un regret amer, et se reproche comme une faute grave, d'avoir comprimé cette révolte, et arrêté ainsi la guerre civile dont le duc d'Orléans avoit, dit-il, allumé la première étincelle; car il prétend qu'il est prouvé que les agens de ce prince, réunis aux Jacobins, avoient soulevé les troupes; il ajoute que, malgré l'horreur qu'il ressentoit pour une guerre civile, il la jugeoit nécessaire au salut du roi, de la monarchie et de la France. «< Sa Majesté » crut, dit-il, qu'en étouffant l'insurrection » de Nancy (et je ne l'avois fait qu'avec la plus extrême répugnance ), je lui avois rendu » un service essentiel, tandis qu'au contraire je la privai par là de la seule occasion favo»rable depuis le commencement de la révolution, de remonter sur son trône. »

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Celui qui, sans dessein, avoit plus que per sonne peut-être, contribué à l'en précipiter, Necker, après avoir été l'idole des révolutionnaires, leur devint odieux, ou à charge; ils

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