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faveur du duc d'Orléans. Danton avoit pu en 1793. concevoir le dessein; mais il y avoit sûrement Convention. renoncé s'il l'avoit eu, comme on le croyoit assez généralement. Il fut donc, avec ses amis, sacrifié uniquement à la jalousie de Robespierre. Quoiqu'il méritât mille morts, il dut lui sembler dur de périr par la main d'un complice. Il affecta dans ses derniers jours les airs d'un grand personnage; en répondant au président du tribunal révolutionnaire qui lui demandoit son nom, il dit que son nom « étoit » écrit au Panthéon de l'histoire. » Il auroit dû dire aux Gémonies. Saint-Just, par un rapport fait à la convention, avoit déterminé sa mise en jugement. On voit avec surprise dans ce rapport qu'il est accusé d'être resté neutre dans Arcis sur - Aube, pendant l'assemblée législative, et de n'être venu à Paris que le 9 août pour y dormir dans cette nuit terrible qui décida du sort de la monarchie; lui qui a constamment passé pour l'ordonnateur de la funeste journée du 10 août.

Danton mort, Robespierre sembla ne plus craindre de concurrent; ce fut alors qu'il se désaltéra sans aucune retenue dans le sang dont la soif le brûloit. Il n'étoit pas le scul conventionnel qui en fût altéré à ce point; nous verrons que sa férocité fut égalée par

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1793. plusieurs de ses collègues, et peut-être même Convention. Surpassée. Nous ignorons si ce sont eux ou lui

qui firent périr Malesherbes et cinq personnes de sa famille le même jour (3 avril). Il est vrai que tous les crimes étoient assemblés sur sa tête : il étoit noble, riche, il avoit été magistrat, ministre, et bien plus le défenseur de Louis XVI. Vers ce temps, sur le même tombereau, furent menés au supplice, Chapelier, Thouret et d'Eprémesnil, qui leur dit : «< Des » opinions nous divisoient; le malheur nous >> réunit. »>

Il restoit au Temple une victime auguste, une princesse céleste, dont l'unique occupation étoit d'infuser, si on peut le dire, ses vertus au jeune roi et à Madame Royale. Robespierre même trembloit de l'immoler. Comme il n'y avoit à ce meurtre aucun prétexte de quelque nature que ce fût, il craignoit que le peuple ne se soulevât; Billaud de Varennes, qui connoissoit mieux le peuple, et qui vouloit ce meurtre, le fit demander par les jacobins. La convention envoya la princesse au tribunal, qui la fit monter sur l'échafaud (10 mai): on fit tomber vingt-quatre têtes sous ses yeux, avant de lui accorder le bienfait de la mort. Dans la fatale charrette, elle n'avoit été occupée qu'à consoler les infortunés qu'on

alloit égorger; on n'eût pas cru que le même 1794. sort l'attendoit son courage, comme celui Convention. du roi et de la reine, parut fort au-dessus de l'humanité. M. Beaulieu, dans son Essai historique sur la Révolution de France, dit que cette princesse fut condamnée, non pas avec vingt-quatre autres accusés, mais avec cinquante, sans aucune discussion, et par ce seul mot: feu de file, qui signifioit, tuez tout; car les accusés n'avoient plus de défenseurs. On demandoit leurs noms, leurs professions, et l'accusateur disoit aux jurés : feu de file; c'étoit toute la formalité qu'on observoit pour condamner à la mort. Deux heures suffisoient pour ordonner soixante assassinats de ce genre.

Ces flots de sang ne faisoient qu'exciter la rage qu'avoient les conventionnels d'en verser. Le tribunal révolutionnaire, pour la mieux seconder, s'étoit partagé en quatre sections, qui toutes égorgeoient à l'envi l'une de l'autre. Néanmoins les cannibales se plaignirent de ce qu'on n'abattoit pas chaque jour un plus grand nombre de têtes; pour y suppléer, ils imaginèrent d'abord une conspiration des prisonniers renfermés au château du Luxembourg, converti en prison. Dix-neuf furent suppliciés sous cet absurde prétexte. Il se trouvoit parmi eux des hommes qui avoient

1794. commis des crimes plus réels. L'un des dix-neuf Convention, étoit le comédien Grammont qui, le sabre à

la main, avoit commandé l'escorte donnée à la reine pour la mener à l'échafaud. Une seconde mesure bien plus efficace pour vider les prisons, ce fut l'établissement d'une commission de cinq patriotes, au nombre desquels étoit un vice-président du tribunal révolutionnaire, pour faire l'examen de tous les suspects renfermés. On a supputé qu'il y en avoit environ deux cent vingt mille. Dans cette foule immense, étoit un petit nombre de révolutionnaires que l'erreur ou des vengeances particulières avoient fait enfermer. On devoit les élargir. Le reste étoit destiné à la déportation ou au tribunal révolutionnaire, qui tuoit tout le monde indistinctement. On craignoit encore un plus grand désastre toutes les nuits, on s'attendoit à être éveillé par un massacre général des prisonniers, semblable à celui du mois de septembre 1792. Telle étoit la stupeur générale, que dans Rouen, ville qui comptoit près de cent mille âmes, une douzaine de jacobins faisoient trembler tous les habitans; et l'on se disoit avec une sorte de froideur: c'est aujourd'hui, c'est demain qu'ils attendent des assassins de Paris pour faire main-basse dans les prisons; toute la

noblesse du pays, hommes, femmes, jeunes 1794.
personnes, et beaucoup de roturiers y avoient Convention,
été jetés le même jour. L'idée de résistance
n'entroit dans aucune tête. Quelques unes ce-
pendant s'échauffèrent à la fin parmi les Pa-
risiens. Un très-obscur particulier, Lamirał,
résolut de délivrer la France de Robespierre
et de Collot-d'Herbois. Ce dernier, dont nous
dirons les fureurs exercées à Lyon, avoit, dit-
on, proposé aux jacobins de faire sauter toutes
les prisons, pour qu'aucun des détenus ne pût
échapper à la mort. Lamiral, qui habitoit
la même maison que Collot, lui tira un
coup de pistolet, la nuit, dans l'escalier,
où il l'attendoit. L'arme fit long feu, et le
conventionnel fut manqué. Cette tentative lui
procura une célébrité que Robespierre lui
envia. Pour la partager, celui-ci supposa
qu'une jeune fille, nommée Cécile Renaud,
qui s'étoit présentée chez lui, avoit voulu l'as-
sassiner. Elle fut arrêtée, trouvée sans armes,
et quand on lui demanda le motif de sa pré-
sence chez le député, elle répondit : « Je vou-
>> lois voir comment est fait un tyran. » Robes-
pierre imagina de lier cette prétendue tenta-
tive à celle de Lamiral, et accusa de l'une
et de l'autre le gouvernement anglois, qui ne
daignoit s'occuper ni de Collot ni de lui. Il fit

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