Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

1794. décréter qu'on ne feroit plus de prisonniers Convention, anglois ni hanovriens, se souciant très-peu des

représailles qui pourroient être exercées. Les généraux françois, plus sensés et plus humains, n'exécutèrent pas, du moins à notre connoissance, un décret qui, contre les droits de la guerre et de l'humanité, refusoit la vie à ceux qui rendroient les armes. Mais soixante têtes furent abattues pour venger l'hypocrite avocat d'un péril imaginaire; et de tous ceux qui furent enveloppés dans ce carnage, très-peu connoissoient de Robespierre ou de Collot autre chose que leur détestable réputation, et aucun ne soupçonnoit l'existence de Lamiral ou de Cécile Renaud, si ce n'est leurs familles, cxterminées avec eux.

Qu'on ne croie pas avoir encore vu le dernier terme de la barbarie. Le besoin de l'assassinat s'accrut par l'habitude et la facilité de le commettre. On avoit commencé à Paris par quinze meurtres journaliers. La progression fut si rapide, qu'il y en eut bientôt quatre-vingtquatre, et l'on fit des dispositions pour en porter le nombre à cent cinquante. FouquierTainville en reçut l'ordre, et prétendit s'y être refusé; en sortant du comité de salut public et de sûreté générale, où ilvenoit de lui être donné, son esprit, dit-il, fut troublé, au point

qu'il lui sembla que la Seine rouloit des flots 1794. de sang. Le théâtre des assassinats avoit été Convention. d'abord établi à la Grève, puis à la place Louis XV, ensuite sur celle de la Bastille (1); enfin, à la barrière du Trône, parce que l'existence de cette boucherie humaine, au milieu de la ville, répugnoit à ses habitans. Un immense aqueduc fut creusé pour l'écoulement de la rivière de sang, qui couloit et qu'on alloit grossir. On vit traîner au supplice, en quatre charrettes, quarante-cinq magistrats du parlement de Paris, trente-trois de celui de Toulouse, vingt-huit fermiers-généraux, du nombre desquels étoit le célèbre chimiste Lavoisier, et vingt-cinq des principaux négocians de Sedan, dont la mort laissoit sans pain dix mille ouvriers: Les jacobins de la ville de Cette, en Provence, voyant la prodigieuse activité de la guillotine, avoient-ils eu tant de tort de demander que la mort fût mise à l'ordre du jour (4 avril)? ou plutôt n'étoit-ce pas une demande surabondante? L'hypocrite assemblée improuva cette

(1) Quel souvenir rappeloit cette circonstance! Un des prétextes de la révolution étoit l'existence de la Bastille, où il n'entroit guère qu'un très-petit nombre de gens, presque toujours coupables, et l'on voyoit à sa place un échafaud, où l'on répandoit à longs flots le sang de l'innocence.

1794.

démarche indiscrète, qui caractérisoit trop Convention. clairement ses fureurs. Elle avoit eu l'effronte

rie, par un étrange contraste, de mettre à l'ordre du jour la vertu et la probilé dans toute la république, qu'elle remplissoit de carnage; et, n'oubliant jamais le profit que ce carnage devoit rapporter au fisc, elle confisqua les biens des prisonniers qui, se voyant sûrs de périr, se donnoient eux-mêmes la mort pour les conserver à leurs femmes et à leurs enfans; en sorte qu'elle ôtoit ensemble à ses victimes, et la vie et la mort, pour les tuer elle-même, et les tuer deux fois, en faisant mourir leurs familles de misère. Cependant les conventionnels, pour faire mouvoir la faux de la révolution avec la vélocité désirée par leur impatience exterminatrice, jugèrent qu'il falloit donner une forme plus terrible à leur tribunal révolutionnaire ; ce fut l'objet d'une loi du 10 juin (22 prairial). Ils décrétèrent que tous les ennemis du peuple seroient mis à mort. Douze classes d'hommes composoient la nomenclature de ces ennemis, et la loi leur refusoit des défenseurs. Il n'existoit personne qui ne pût être facilement rangé dans l'une de ces classes. Aussi, un membre de l'assemblée s'écria, lorsque le décret fut proposé, que s'il étoit adopté, il ne restoit plus aux députés qu'à se brûler la cervelle. Barrère,

qui étoit la lâcheté personnifiée, et que ce 1794. sentiment, plus que son naturel, avoit rendu Convention, barbare,s'étonnant d'une hardiesse à laquelle le comité tyrannique n'étoit point accoutumé, eut l'insolence de dire : « Je crois qu'on mur>> mure; » et Robespierre déclara que le projet étoit juste, nécessaire, et qu'on n'en pouvoit retrancher une syllabe. Nous n'en rapporterons pas les articles, tous plus atroces les uns que les autres. De ce moment jusqu'au 27 juillet (ou 9 thermidor) inclusivement, les assassinats juridiques furent plus nombreux qu'ils ne l'avoient été jusqu'alors; et l'on ne put en accuser Robespierre, qui n'assistoit plus au comité de salut public, où ils s'ordonnoient, et où même ses partisans ne composoient point la pluralité. Il faudroit un volume pour retracer les détails innombrables et déchirans de tous ces sacrifices humains. Le plébéien obscur n'en étoit pas plus exempt que les plus illustres personnages. Parmi tant d'horreurs, la pensée aime à se reposer sur quelques traits d'un dévouement héroïque qui signalèrent ces temps déplorables. Mme Lavergne, jeune épouse d'un mari sexagénaire, l'entendant condamner, cria vive le roi, pour obtenir la grâce, qui lui fut octroyée sur-le-champ, de mourir avec lui; Mile Gattey, sœur d'un libraire, imita cet

[ocr errors]

1794. exemple; il fut suivi à Lyon. Les deux LoizeConvention. rolle, père et fils, étoient détenus ensemble

à Paris; le dernier est appelé au tribunal de mort. Le père se présente. On n'y prend pas garde, et aux dépens de ses jours, il sauve ceux de son fils. On engage la princesse de Monaco à se déclarer enceinte; elle cède, se rétracte le lendemain, et marche au supplice. Une persévérance de deux jours, dans une supposition bien excusable, l'eût préservée de son triste sort. Un ancien greffier du parlement de Paris, Isabeau, interrogé, par une sotte et barbare ironie, s'il connoît la salle où il se trouve : « Oui, dit-il, c'est ici que la vertu >> jugeoit le crime, et que le.crime aujourd'hui

>>

égorge l'innocence. » Un père, à qui l'on demande s'il n'a point connoissance de la loi qui défend, sous peine de mort, d'envoyer le moindre secours aux émigrés, répond : « J'en » connois une antérieure et plus sacrée, qui » ordonne aux pères de secourir leurs enfans. » Quant aux traits de courage, ils sont innombrables. Tout le monde, comme nous l'avons déjà vu, finissoit avec calme. Il auroit mieux valu, sans doute, se défendre. Très-peu de personnes montrèrent ce genre de fermeté. Tant de résignation ne faisoit qu'enhardir les assassins. Ils n'épargnoient pas même l'armée ;

« PreviousContinue »