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de Bade, où il résidoit, de l'aveu même du 1804. premier consul, à qui le grand-duc n'avoit Consulat. eu garde d'omettre de le demander; car tel étoit l'état d'humiliation et de servitude, auquel étoient réduits les petits souverains allemands. Deux mille cinq cent François entrèrent dans cette ville d'un pays ami de la république, et en pleine paix avec elle. Le 20 mars, le malheureux prince arrive à Vincennes chargé de fers, comme le plus vil des criminels. Il étoit cinq heures du soir; excédé de fatigue, il se jette sur un lit. A onze heures, on l'en arrache, et on le mène devant des assassins, qui se disent ses juges, et prétendent composer un conseil de guerre. A quatre heures du matin, il est condamné à mort. Une demi-heure après il n'existoit plus. On l'avoit fusillé sur le bord de la fosse préparée d'avance. Ainsi périt avant l'âge de 32 ans (1), l'héritier d'un nom le plus illustre de l'univers, et d'un nom glorieusement soutenu; ainsi fut détruit le dernier rejeton d'une famille de héros, par le crime le plus lâche et le plus inutile. On a prétendu que l'objet de cet assassinat étoit de fournir aux jacobins un gage de haine

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(1) Il naquit le 12 août 1772.

1804. contre les Bourbons; ce qui lui donneroit Consulat. une couleur politique. Mais les injures les

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plus grossières et les plus insolentés, vomies par le premier consul à cette race auguste, et l'usurpation de sa couronne, n'étoient-elles pas des gages trop certains? On sait l'inscription latine du cénotaphe qui lui fut dressé à Pétersbourg: en voici la traduction : « Au grand et magnifique prince, Louis-Antoine>> Henri-Bourbon-Condé, duc d'Enghien, »> non moins digne de mémoire par sa valeur personnelle, et celle de ses ancêtres, que » par sa mort funeste. Un monstre Corse, » la terreur de l'Europe, le fléau du genre » humain, l'a dévoré à la fleur de son âge. Quels lauriers ne seroient point flétris par un crime qui renferme tant de crimes? Il trouva cependant des apologistes. Il exista une brochure où il fut plus qu'excusé. On l'attribua faussement, il faut le croire, à un prélat très-connu. L'auteur garda l'anonyme.

Les mains teintes d'un sang si précieux, Buonaparte se fit déférer la pourpre impériale. Dès le 26 mars, le sénat, conservateur de la constitution, lui présenta une adresse pour le prier de la détruire, et d'y substituer une monarchie sur sa tête et celle des siens

sous le titre d'empire. Le 24 avril, un tribun, 1804. du nom de Curée, demande, par une motion Empire. d'ordre, que le premier consul soit nommé empereur, et que cette dignité soit héréditaire dans sa famille. Buonaparte veut bien y consentir pour l'intérêt du peuple françois, et le 17 mai est publiée une sixième constìtution, nommée impériale. Nous ne l'analyserons point; car elle n'a jamais servi que de voile au despotisme le plus impudent, et n'a point été heureusement la dernière loi politique de la France. Louis XVIII adressa de Varsovie à tous les souverains de l'Europe, une protestation énergique (6 juin). «< En prenant, dit ce véritable mo» narque, le titre d'empereur, en voulant » le rendre héréditaire dans sa famille, Buo>> naparte vient de mettre le comble à son » usurpation (1). Ce nouvel acte d'une ré>> volution, où tout, dès l'origine, a été nul, »> ne peut sans doute infirmer mes droits; » mais comptable de ma conduite envers » tous les souverains dont les droits ne sont » pas moins lésés que les miens, dont les

(1) On voit que le roi ne pensoit pas que Buonaparte n'eût, comme la flatterie le dit alors, détrôné que l'an

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1804. » trônes sont tous ébranlés par les principes dangereux que le sénat de Paris a osé >> mettre en avant, comptable à la France, à ma famille, à mon propre honneur, je >> croirois trahir la cause commune en gar»dant le silence dans cette occasion.

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>> Je declare donc (après avoir au besoin >> renouvelé mes protestations contre tous » les actes illégaux qui, depuis l'ouverture » des Etats-Généraux de France, ont amené » la crise effrayante dans laquelle se trouvent » et la France et l'Europe); je déclare, en présence de tous les souverains, que, loin >> de reconnoître le titre impérial que Buonaparte vient de se faire déférer par un corps qui n'a pas même une existence légitime, je proteste contre ce titre, et contre tous » les actes subséquens auxquels il pourroit >> donner lieu. >>

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Le premier soin de Buonaparte, dès qu'on l'a proclamé empereur, est de se défaire des victimes attirées en ses lacs; mais il y en avoit une qu'il craignoit de livrer aux tribunaux : c'étoit Pichegru qu'il connoissoit d'un caractère à parler avec énergie, et qui eût dévoilé publiquement, et prouvé des faits qu'il importoit à l'usurpateur d'ensevelir dans l'ombre. On le fit étrangler pendant la nuit

et l'on publia qu'il s'étoit tué lui-même, mais 1804. la relation fut si maladroite, qu'elle éta- Empire. blissoit l'impossibilité du suicide. Pichegru n'avoit d'ailleurs aucun sujet de désespérer

de son salut; en supposant qu'on l'eût condamné à mort, il n'étoit pas sûr que les soldats dont il étoit fort aimé, la lui laissassent subir, surtout si Moreau, qui avoit aussi parmi eux un grand nombre de partisans, eût été enveloppé dans la condamnation. Il est vrai qu'une moindre peine fut prononcée contre celui-ci; mais il ne fut jugé que postérieurement; et qui sait si elle n'eût pas été la même pour Pichegru? Quant à Moreau, il n'existoit contre lui aucune preuve. Il fut seulement constaté qu'il avoit parlé à Pichegru; mais, malheureusement pour sa mémoire, on doute encore qu'il se fût associé à son projet. Buonaparte, pour être plus sûr de la perte de ses ennemis, se crut obligé d'enfreindre la loi qui donnoit un jury aux accusés. Il sentit que des citoyens indépendans auroient absous des hommes poussés dans un piége par des espions, et contre lesquels aucun commencement d'exécution du prétendu délit n'étoit prouvé. Merlin lui-même, portant la parole dans cette affaire (au tribunal de cassation), avoua

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