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1807.

un prince de la maison d'Espagne, et le prince
de la Paix. Sous ce prétexte, Buonaparte en- Empire.
voya en Espagne, sous les ordres du général
Junot, une armée qui devoit la traverser,
pour s'emparer du Portugal. Déjà ce général
étoit sous les murs de Lisbonne, et le prince-
régent de Portugal, qui ne se doutoit pas
de
ses intentions hostiles, alloit se laisser prendre,
lorsqu'averti par Sidney Smith, par l'ambas-
sadeur anglois, et déterminé par leurs conseils,
il s'embarqua pour le Brésil (29 novembre).
Le lendemain, Junot étoit dans Lisbonne.

Buonaparte assembla sur la route de Bayonne à Madrid une autre armée de soixante mille hommes, dont le commandement fut donné à Murat. La cour de Madrid le laissa pénétrer librement en Espagne, et lui livra plusieurs forteresses dont il supposoit avoir besoin pour la sûreté de ses soldats. Les François se virent tout à coup maîtres du pays; car d'un côté les meilleures troupes espagnoles avoient été envoyées en Danemarck, sous la conduite du brave général La Romana; de l'autre, le prince de la Paix fit partir pour les frontières du Portugal ce qui restoit à Charles IV de forces. disponibles. Les choses ainsi arrangées, Buonaparte inspira au monarque espagnolles soupçons les plus atroces contre son fils Ferdinand,

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1807. prince des Asturies. Godoy, prince de la Paix, Empire. vendu, dit-on, à Buonaparte, étoit l'instrument

de discorde entre le père et le fils. Mais bientôt Charles est désabusé. On lui fait connoître qu'il n'y a plus de sûreté pour lui en Espagne, 1808. et on l'engage à se réfugier au Mexique. Les préparatifs de départ occasionnent dans Aranjuez des mouvemens tumultueux; peu s'en faut que le prince de la Paix à qui le peuple attribue tous les malheurs qui pèsent sur l'Espagne, et ceux, bien plus terribles, dont elle est menacée, ne soit immolé sur l'heure ; on se contente de l'arrêter. Le roi, délivré de l'influence qu'exerçoit sur lui cet homme, exécute le projet qu'il avoit formé dès long-temps de résigner sa couronne à son fils, qui de ce moment régna sous le nom de Ferdinand VII. Le peuple vit cet événement avec enthousiasme, et Buonaparte l'apprit avec fureur. Murat, qui commandoit les troupes françoises en Espagne, mit en liberté le prince de la Paix. Buonaparte fit annoncer sa prochaine arrivée à Madrid, où il venoit, disoit-il, concilier le père et le fils. Le général Savary, envoyé vers Ferdinand, lui persuada qu'il devoit aller au-devant de Napoléon. Il se rendit à Burgos pour l'attendre, puis se laissa entraîner jusqu'à Vittoria. Il y reçut une lettre de Buonaparte qui l'in

vitoit à venir conférer avec lui à Bayonne. Il 1808. eut le malheur de céder encore; et là, il lui Empire. fut ordonné de choisir entre la mort et l'abdication. Il écrivit (le 6 mai) à son père, qu'on avoit aussi fait venir à Bayonne : « Je remets » à Votre Majesté la renonciation qui m'est » commandée, afin qu'elle puisse retourner en Espagne, pour y reprendre les rênes du >> gouvernement dans l'état où il se trouvoit » le 19 mars, lorsque Votre Majesté, de son plein gré, et sans aucune influence étrangère,

»

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abdiqua sa couronne en ma faveur (1). Charles IV, qu'on avoit contraint d'exiger de son fils cette renonciation, fut également forcé de déposer le sceptre, qui lui étoit ainsi rendu, entre les mains de Buonaparte; celui-ci en fit présent à son frère Joseph, que Murat remplaça sur le trône de Naples.

Le distributeur des couronnes crut devoir donner quelque couleur à cette nouvelle usurpation en la faisant approuver par une assemblée de notables espagnols, tenue à Bayonne. Sur cent cinquante qu'il convoqua, quatre-vingt-dix s'y

(1) Cette cession, purement volontaire, fut reconnue telle par un traité conclu à Rome entre le père et le fils le 14 janvier 1815, plus de neuf mois après la chute de Buonaparte.

1808. rendirent; ils se refusèrent à ce qu'on exigeoit

t

Empire. d'eux. Buonaparte, n'ayant plus pour la consommation et l'affermissement de son ouvrage,

d'autre moyen que la force, fit conduire les
deux rois par la gendarmerie, comme des cri-
minels, le père à Compiègne, et le fils à
Valançai; puis, pour justifier sa conduite aux
yeux de l'Europe, il publia deux espèces de
manifestes, en forme de rapports l'un,
adressé à lui-même, par un de ses ministres,
dans lequel il est dit : « ce que la politique
» conseille, la justice l'autorise » : doctrine
qu'on a mise quelquefois dans la bouche de
quelques tyrans au théâtre, mais que jamais,
sans doute, on n'avoit osé professer ailleurs.
Dans l'autre rapport fait au sénat, on disoit
qu'il étoit nécessaire d'exécuter en Espagne,
« l'arrêt d'exil prononcé par le continent
» contre les Anglois. »

Il étoit plus que jamais évident que Buonaparte marchoit à la conquête de l'Europe entière, et cette conquête n'eût pas encore assouvi son ambition. Avant qu'il se fût emparé de la couronne d'Espagne, il menaçoit la tiare du souverain pontife, et préludoit à sa ruine par des demandes qu'il savoit bien ne pouvoir lui être accordées, et dont le refus servoit de prétexte à l'oppression. Parmi celles

qu'il fit cette fois, on distingue l'établissement 1808. d'un patriarche françois indépendant de Rome, Empire. la suppression du célibat pour les prêtres, la publication du Code françois dans les Etats de l'Eglise, et le couronnement, par les mains du Saint-Père, de Joseph, comme roi de Naples. Le pape s'étoit toujours refusé à ce couronnement; il disoit avec raison que, le légitime souverain n'ayant point abdiqué, il ne pouvoit couronner Joseph, sans être injuste et inconsidéré; les mêmes motifs exactement eussent dû l'empêcher de consacrer l'usurpation du trône de France, et de donner ainsi à l'univers chrétien un des plus étranges scandales qui l'aient jamais affligé. C'est une triste singularité dans l'histoire des pontifes romains, que de trois usurpateurs qu'a comptés la France, deux aient été consacrés par eux, et l'autre protégé; car Hugues Capet avoit mis Rome dans ses intérêts. Mais on verra qu'à l'exception d'un moment de foiblesse qu'éprouva encore Pie VII, depuis 1808 il résista courageusement à l'oppression. Il soumit au Sacré-Collége les propositions de Buonaparte, dont nous n'avons cité qu'une partie, et qui toutes, d'une voix unanime, furent jugées inadmissibles. Dès qu'on l'eut appris en France, on fit marcher sur Rome des troupes qui dé

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