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foiblesse du soldat, qui s'étoit laissé découra- 1812. ger, comme s'il eût dépendu de lui de vaincre Empire. à la fois la famine et les élémens. On vit bien que l'aveu incomplet de cette catastrophe n'étoit arraché que par la nécessité d'y remédier. Sans cette nécessité, on ne l'eût pas plus annoncée que celle, bien moindre, de Trafalgar, dont il fut défendu de faire mention dans les gazettes. Buonaparte demanda trois cent cinquante mille hommes au sénat, qui les accorda sans difficulté (1). Le corps législatif n'en fit pas davantage pour souscrire à une levée de onze cent cinquante millions, et à la vente des biens communaux, dont le prix devoit faire partie de cette somme exorbitante, qu'on prévoyoit ne pouvoir compléter autrement.

Malgré l'épouvantable revers qu'il venoit d'essuyer, Buonaparte comptoit retenir toutes ses conquêtes. « La dynastie françoise » (dit-il à cette assemblée de muets, qu'on étoit convenu d'appeler le corps législatif) « règne, et

(1) Dans ce nombre on comprit cent cohortes du premier ban de la garde nationale, qui ne devoit jamais dépasser les frontières, et qui périt presque tout entier bien loin de sa patrie. Buonaparte, joignant la fourberie au manque de foi, eut soin de faire demander par les chefs des cohortes de ce premier ban, l'honneur de mourir à son service partout où il voudroit les envoyer.

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1813. »

régnera en Espagne. Je suis satisfait de la Empire. » conduite de mes alliés. Je n'en abandonne>> rai aucun. Je maintiendrai l'intégrité de leurs »Etats. Les Russes rentreront dans leur affreux >> climat. >>>

Il crut néanmoins, par déférence pour les opinions religieuses, devoir tenter quelques arrangemens avec le souverain pontife. Nous avons vu qu'en 1808, il lui enleva quatre provinces. En 1809, par un décret rendu à Vienne, le 17 mai, dans lequel il parle de Charlemagne, qu'il qualifie de son prédécesseur, il réunit à la France tous les Etats du Saint-Père, auquel il assure une rente viagère de deux millions. Le pape proteste contre ce larcin, déclare ne pouvoir rien accepter de son auteur, sans se couvrir d'opprobre à la face de la terre, et, par un bref du 11 juin, excommunie Buonaparte et tous ses complices. Celui-ci le fait enlever, et conduire à Grenoble. Mais instruit

que
le peuple l'accueille partout avec la plus
grande vénération, il le renvoie en Italie, le
fait enfermer à Savone, ensuite lui laisse la
ville pour prison. Voulant remédier aux suites
de cette scission avec le Saint-Siége, il fait ou-
vrir (25 avril 1811) un concile à Paris, dans
l'église de Notre-Dame. Mais, quoique les pré-
lats qui le composèrent, lui dussent tous leurs

prélatures, que plusieurs eussent dans sa mai- 1813. son et dans celle de sa famille, des offices ecclé- Empire. siastiques, quoique enfin d'autres fussent des évêques jureurs et intrus, ils ne voulurent point cette fois abandonner la cause du pape, et se plier aux volontés de l'usurpateur, qui les eût menés loin; ce dernier ne vit, en conséquence, rien de mieux à faire que de dissoudre le concile national. Quelques uns de ses membres furent emprisonnés. Buonaparte crut qu'il lui seroit plus facile de vaincre la fermeté du pape, s'il traitoit en personne avec lui; en conséquence, il le fit mener à Fontainebleau, par un colonel de gendarmerie. On envoya des prélats françois lui annoncer que s'il ne se prêtoit pas aux intentions du tyran, celui-ci sépareroit l'Eglise gallicane de l'Eglise romaine. Buonaparte alla lui-même (19 février) répéter cette menace au Saint-Père, qui, se laissant intimider, accepta provisoirement un projet de concordat, sous l'expresse condition qu'il ne seroit rendu public qu'après qu'il auroit été discuté par un consistoire; mais, cette clause ayant été, violéc, Pie VII déclara nul l'arrangement auquel il avoit souscrit. Aussitôt on lui enlève le peu de liberté dont il jouit, on le fait garder à vue, et les cardinaux qui l'accompagnent sont traités indignement. Ces

1813. procédés aigrirent de plus en plus, contre l'opEmpire. presseur, tous ceux qui avoient quelques sen

timens ou de religion ou d'humanité; mais il étoit persuadé, avec trop de raison malheureusement, que les seules chances de la guerre décideroient de son sort.

Il ne pouvoit compter sur la fidélité des alliés qu'il avoit de force attachés à son char de victoire. Dejà deux généraux, Yorck et Massenbach, qui commandoient le contingent prussien, avoient séparé leurs troupes de celles des François, et déclaré leur neutralité. Le roi de Prusse, il est vrai, les avoit désavoués; mais on en concluoit seulement qu'il ne se croyoit pas encore en mesure d'éclater, ce qui ne tarda guère. Buonaparte crut sans doute prévenir un semblable abandon de la part de l'empereur d'Autriche, en déférant la régence à Marie-Louise au moment où il alloit retourner à l'armée; elle lui fut conférée avec un pouvoir renfermé dans les plus étroites limites, par des lettres patentes du 30 mars; car l'usurpateur affectoit les usages monarchiques. Une nouvelle levée de cent quatre-vingt mille hommes fut ordonnée, sous un prétexte au moins plausible : la Prusse venoit de déclarer qu'elle joignoit ses armes à celles de la Russie. On enrôla de plus, sous le nom de garde-d'hon

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dix mille hommes, ou plutôt dix mille 1813. otages, pris dans les maisons les plus illustres Empire. et les plus opulentes du royaume ; celui qui se l'étoit approprié exerçoit égalementsa tyrannie sur l'un et l'autre sexe. Ses préfets, dit-on, étoient chargés de lui envoyer la liste de toutes les riches héritières de chaque département et il contraignoit leurs familles de les donner en mariage aux militaires qu'il vouloit favoriser. Tel est l'abîme de servitude d'où l'Europe alloit nous tirer en brisant ses propres fers.

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Ce ne fut pas sans de puissans efforts qu'elle y parvint; car, dès le 1er avril, l'armée françoise étoit déjà plus nombreuse que celles des Russes et des Prussiens réunis. Elle comptoit près de deux cent mille hommes, et ses adversaires en avoient seulement cent cinquante mille. Aussi elle débuta par une victoire à Lutzen, dans la Saxe (2 mai), et à Bautzen, dans la Lusace, le 21. Le lendemain sa cavalerie eut encore un avantage à Reichenbach. Ces succès furent tous très-chèrement payés. Néanmoins, comme les défaites des alliés leur avoient coûté un peu plus encore, et qu'ils étoient forcés de reculer toujours, ils furent réduits à la fâcheuse nécessité de proposer un armistice. Il fut signé le 4 juin, devoit finir le 20 juillet, et fut prolongé jusqu'au 15 août, Il

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