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du fond même, soit de la forme, soit de la compétence.

Dans chacun de ces cas, le tribunal d'Appel peut et doit sans doute corriger ce qu'il y a de vicieux ou d'erroné dans le prononcé des premiers juges. Mais peut-il et doit-il faire plus? Peut-il et doit-il, par exemple, en déclarant inutile ou inadmissible l'interlocutoire que les premiers juges ont ordonnė, statuer lui-même sur le fond? Le peut-il et le doit-il, en déclarant le jugement de première instance nul dans la forme ou incompétemment rendu ? Le peut-il et le doit-il, lorsque, pour le faire, il a besoin d'un complément d'instruction que le jugement de première instance a négligé? Le peut-il et le doit-il, en rejetant l'exception que les premiers juges ont admise mal à propos, etc.?

Il y a sur tout cela deux principes à consulter : l'un, que le tribunal d'Appel peut et doit, en infirmant le jugement de première instance, faire tout ce qui aurait dû être fait par le premier juge; l'autre, que les parties ont droit à un premier degré de juridiction.

Mais ces deux principes paraissent souvent se heurter mutuellement. Que le tribunal d'Appel, par exemple, en infirmant comme inutile ou inadmissible, un interlocutoire ordonné par les premiers juges, évoque le fond pour y statuer lui-même, il fera sans doute ce que les premiers juges auraient dû faire; mais le premier degré de juridiction n'aura été épuisé que relativement à la question de savoir s'il y avait lieu de prononcer un interlocutoire; il ne l'aura pas été sur le fond que les premiers juges ont laissé indécis.

Comment donc accorder ces deux principes? Comment les appliquer tous deux, lorsque l'un se trouve violé par l'application de l'autre?

On a pensé long-temps que le second principe devait céder au premier, en sorte que toutes les fois que le juge d'Appel infirmait une sentence par laquelle le premier juge avait laissé le fond indécis, il devait retenir la cause entière pour y statuer lui-même, soit sur-le-champ, lorsque la matière y était disposée, soit après une nouvelle instruction.

Le pape Alexandre III, consulté, en 1209, sur ce qu'avaient à faire des juges d'Appel à qui était déférée une sentence rendue sur la validité d'une élection par des juges subalternes, et que l'appelant arguait de nullité à raison de l'incapacité de l'un de ceux-ci, répondit, comme on le voit au chap. 29, extrà, de sententiis et re judicatá, que, s'ils trouvaient le moyen de nullité mal fondé, ils devaient confirmer la sentence; mais que,

dans le cas contraire, et même dans celui où la sentence leur paraîtrait devoir être réformée pour toute autre cause, ils devaient, en la réformant, prendre eux-mêmes connaissance de la validité de l'élection : Vos autem interim Cognoscatis de confirmatione sententiæ quæ lata est à judicibus delegatis de electione custodis, ut eam, sicut de jure fuerit faciendum, confirmare vel infirmare curetis, ità quidem, ut si pro eo quod unus ex delegatis judicibus, qui eamdem sententiam protulerunt, excommunicationis vinculo esset publicè innodatus, quandò sententia lata fuit, sicut per metropolitani litteras perhibetur, aut ex aliá justá causá eamdem sententiam constiterit infirmandam; ipsá cassatá, de ipsius electio ne custodis iterùm cognoscatis.

Le concile de Latran, tenu sous le pape Innocent III, en 1216, déclara également, par un décret qui forme le chap. 49 du titre de appellationibus des décrétales recueillies par Grégoire IX, que le juge d'Appel d'une sentence qui ne décidait pas le fond, ne devait renvoyer le fond même au premier juge, que dans le cas où il trouvait que le tribunal de première instance avait bien jugé : Superior de appellatione cognoscat : et si minus rationabiliter eum appellasse constiterit, illum ad inferiorem remittat, et in expensis alteri parti condemnet; alioquin et ipse procedat.

Le motif de cette jurisprudence était, comme le dit Scaccias, dans son traité de appellationibus (quest. 17, limit. 47, memb. 3, no 2), quia judex qui semel gravavit, videtur suspectus parti quam gravavit.

Ce motif ayait fait accueillir les décisions d'Alexandre III et du concile de Latran, même dans les tribunaux d'Appel laïcs; et, par là, les juridictions inférieures se trouvaient souvent dépouillées de la connaissance du fond des affaires.

Pour remédier à cet inconvénient, l'ordonnance de Blois de 1579, et celle de 1667 avaient fait une distinction aussi sage que simple. Elles avaient dit aux tribunaux d'Appel : lorsque vous infirmerez un jugement de première instance, ou vous vous trouverez suffisamment éclairés pour juger définitivement le fond, ou vous aurez besoin, pour le faire, d'une instruction ultérieure. Au premier cas, vous pourrez statuer vous-mêmes, parceque vous déciderez par là que le premier degré de juridiction a été dûment épuisé ; mais, par la raison contraire, vous ne le pourrez pas au second cas; et encore dans le premier, faudra-t-il que vous statuïez sur le fond par le même jugement qui infirmera celui de première instance; car, si vous n'y statuïez

que par un jugement séparé et postérieur, vous prouveriez par là même que le tribunal de première instance n'était pas encore, au moment où il a prononcé, en état de statuer définitivement; vous prouveriez par conséquent que le premier degré de juridiction n'a pas été suffisamment rempli.

Tels étaient le but et le sens de la première de ces lois, lorsqu'elle disait, art. 149: « pour » le regard de nos cours souveraines, leur » défendons, en procédant au jugement des » causes d'appel, d'évoquer le principal de » la matière, si ce n'est pour le vuider, et » sur le champ » ; et de la seconde, lorsqu'elle défendait, tit. 6, art. 2, « à tous » juges, sous peine de nullité des jugemens » qui interviendraient, d'évoquer les causes, » instances et procès pendans aux sièges in» férieurs..., sous prétexte d'Appel......, si ce » n'est pour juger définitivement en l'au>>dience et sur le champ, par un seul et même >> jugement »>.

Mais que devinrent ces lois, lorsqu'en 1790 les parlemens, les conseils supérieurs, les cours des aides et tous les siéges inférieurs firent place à d'autres tribunaux?

Elles durent, sans contredit, conserver toute leur autorité, s'il n'y fut pas dérogé par des lois spéciales; et c'est ce que supposait clairement l'art. 3 de la loi du 27 novembre 1790, institutive de la cour de cassation, en disant que, jusqu'à la fòrmation d'un Code unique des lois civiles, la violation des formes des procédures prescrites sous peine de nullité..., donnerait ouverture à la cassation. Et cela est si vrai que l'ordonnance de 1667 ne cessa d'être obligatoire qu'au moment où le Code de procédure civile fut mis en activité.

Cependant, on verra tout à l'heure que, jusqu'à la mise en activité du Code de procédure civile, la cour de cassation jugeait constamment que les tribunaux d'Appel, non seulement pouvaient, mais encore devaient, en infirmant les jugemens de première instance, faire généralement tout ce qui avait pu et dû être fait par les premiers juges, et qu'ils n'étaient plus, à cet égard, asservis aux conditions écrites dans les articles cités des ordonnances de 1579 et 1667.

Comment cette jurisprudence s'était-elle établie ? Par suite du décret du 1er mai 1790 qui avait déclaré qu'il y aurait, en matière civile, deux degrés de juridiction, et des dispositions de la loi du 24 août de la même année, desquelles il résultait qu'il ne pourrait pas y en avoir un plus grand nombre. On avait considéré ce décret et ces dispositions comme des lois spéciales qui dérogeaient aux

restrictions apportées par les ordonnances de 1579 et 1667 au pouvoir des tribunaux d'Appel; et c'est assez dire que l'on avait étrangement abusé de ce décret et de ces dispositions.

En effet, le décret du 1er mai 1790 n'avait eu que deux objets en vue en établissant qu'il y aurait deux degrés de juridiction en matière civile: l'un, de rejeter le système des novateurs qui, en matière civile, ne voulaient plus d'Appel; l'autre, de déroger aux anciennes lois en tant qu'elles admettaient presque partout, et dans une infinité de cas, jusqu'à trois, quatre et même cinq degrés de juridiction. Il n'avait donc pas entendu déroger aux anciennes lois, en tant qu'elles réglaient, même dans les lieux et les cas où elles n'admettaient que deux degrés de juridiction, la manière dont les tribunaux d'Appel devaient procêder en infirmant les jugemens de première instance; et il est bien évident que la loi du 24 août 1790, calquée sur l'esprit de ce décret, ne devait pas être appliquée dans un

autre sens.

Quoiqu'il en soit, l'art. 189 de l'ordonnance de 1579 et l'art. 2 du tit. 6 de l'ordonnance de 1667 ne font plus loi depuis que l'art. 1041 du Code de procédure a abrogé toute l'ancienne législation sur la procédure civile. Mais voici les dispositions qu'y a substituées l'art. 473 du même Code :

interlocutoire, si le jugement est infirmé, et « Lorsqu'il y aura Appel d'un jugement que la matière soit disposée à recevoir une décision définitive, les cours et autres tribunaux d'Appel pourront statuer en même temps sur le fond définitivement, par un seul et même jugement.

» Il en sera de même dans le cas où les cours et autres tribunaux d'Appel infirmeraient, soit pour vices de forme, soit pour toute autre cause, des jugemens définitifs ».

Ces notions préliminaires posées, entrons dans le détail des questions dont nous venons de présenter un aperçu général, et plaçons en regard des arrêts qui les ont jugées sous le Code de procédure civile, ceux qui les avaient jugées sous la loi du 24 juillet 1790. Ce sera le seul moyen de rendre d'autant plus sensibles, les différences qu'il y a, sur cette matière importante, entre la jurisprudence actuelle et la jurisprudence intermédiaire.

II. Le tribunal d'Appel qui infirme un jugement interlocutoire de première instance, à raison, soit de l'inutilité, soit de l'inadmissibilité de l'instruction préalable qu'il or

donne, peut-il statuer lui-même sur le principal par un jugement séparé?

Cette question n'est pas résolue aussi clairement par l'art. 473 du Code de procédure civile, qu'elle l'était par les ordonnances de 1579 et 1667.

Les dispositions ci-dessus transcrites des ordonnances de 1579 et de 1667 ne se bornaient pas à autoriser les tribunaux d'Appel à évoquer le fond toutes les fois qu'ils infirmaient un jugement de première instance, sous la condition d'y statuer définitivement par un seul et même jugement; elles déclaraient expressément nul tout jugement qui, sans observer cette condition, évoquerait le principal; au lieu que l'art. 473 du Code de procédure civile se contente d'attribuer la même faculté aux tribunaux d'Appel et de les subordonner à la même condition, mais ne prononce aucune peine pour le cas où cette condition ne serait pas observée.

Cependant on ne peut pas douter qu'il ne soit dans l'esprit de cet article de frapper également de la peine de nullité l'infraction qui serait faite de cette condition; et c'est ce qu'a parfaitement démontré l'arrêt de la cour de cassation, du 18 juin 1817, qui est rapporté ci-après, no 7.

Mais n'y a-t-il pas une exception à faire pour le cas où le jugement interlocutoire est infirmé par un arrêt qui n'est lui-même qu'interlocutoire, c'est-à-dire, par un arrêt qui, déclarant inadmissible ou insuffisante l'instruction préalable ordonnée par le tribunal de première instance, en ordonne une autre qu'il juge plus propre à éclairer légalement la justice? Ne peut-on pas dire alors que l'instruction ordonnée par l'arrêt infirmatif de l'interlocutoire ordonné par le premier juge, ne doit être que l'exécution de cet arrêt; qu'ainsi, il dépend de la cour qui l'ordonne, de la faire elle-même, et par conséquent de retenir le fond pour le juger séparément; et que cela résulte du texte même de l'art. 472, lequel après avoir dit que, « si le jugement >> est confirmé, l'exécution appartiendra au » tribunal dont est Appel », ajoute que, si le jugement est infirmé, l'exécution, entre les mêmes parties, appartiendra à la cour d'Appel qui aura prononcé, ou à un autre tribunal qu'elle aura indiqué par le même arrêt.

Cette question est d'autant plus importante, qu'elle porte également sur le cas où un jugement définitif étant infirmé, soit pour vices de forme, soit pour toute autre cause, le fond se trouve hors d'état d'être jugé définitivement, et ne peut l'être qu'après une nou

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velle instruction. En effet, cette nouvelle instruction, c'est l'arrêt infirmatif qui l'ordonne. C'est donc en exécution de cet arrêt qu'elle doit être faite ; et dès-là, il semblerait que la cour qui l'ordonne, pût au lieu de la renvoyer devant le tribunal de première, instance, la faire elle-même en retenant le fond.

C'est ainsi, en effet, qu'a raisonné la cour d'Appel de Rennes, dans une affaire où le jugement non-définitif de première instance qui lui était déféré, était vicieux dans la forme, et où cependant le fond ne pouvait recevoir une décision définitive qu'après une enquête. Par up arrêt du 17 avril 1812, elle a annulé ce jugement, et retenant le fond, elle a ordonné l'enquête par un avant faire droit, « attendu (a-t-elle dit) que la cour, » en infirmant pour contravention à la loi, » est autorisée par l'art. 472, à retenir la » connaissance du fond ».

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M. Carré, qui rapporte cet arrêt dans ses Questions sur le Code de procédure civile, no 2424, n'hésite pas à l'improuver. « L'art. 472 (dit-il) n'est pas celui qui donne aux » juges d'Appel le droit de retenir le fond; » il ne fait que supposer ce droit, en dispo»sant, pour le cas où il est exercé, que l'exé»cution appartiendra, ou au juge d'Appel, » ou à un autre tribunal que ce juge indique. » L'exercice de ce droit reste subordonné à » la disposition de l'art. 473, qui, encore » une fois, ne l'accorde que pour le cas où la » matière est disposée à recevoir une déci»sion définitive, et sous la condition de ren» dre cette décision par le même jugement » qui infirme ».

Je suis entièrement de l'avis de M. Carré, et l'on verra bientôt (nos 4, 7 et 9) qu'il est confirmé par trois arrêts de la cour de cassation, des 12 novembre 1816, 18 juin 1817 et 22 mars 1821 ; mais il me semble que M. Carré ne le justifie pas d'une manière bien palpable, et qu'il suppose plutôt qu'il n'établit que l'art. 472 ne donne pas aux tribunaux d'Appel, dans le cas dont il s'agit, le droit de retenir le fond. Prouvons donc qu'en effet, cela n'est pas dans l'esprit de cet article.

Dans cette phrase, si le jugement est infirmé, l'exécution appartiendra....., qu'est-ce qu'entend l'art, 472 par le mot l'exécution? Entend-il tout ce qui se fait ou doit se faire en vertu de l'arrêt infirmatif, quel qu'il soit, ou n'entend-il que ce qui se fait en vertu d'un arrêt qui est à la fois infirmatif du jugement de première instance, et définitif sur le fond du procès ?

Nous devons d'abord convenir qu'il enten

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dait l'un et l'autre dans la première rédaction qui en avait été présentée au conseil d'état; et ce qui ne permet pas d'en douter, c'est qu'à la lecture du projet qui était ainsi conçu : Si le jugement est confirmé, l'exécution » appartiendra au premier juge; s'il est infirmé, l'exécution entre les mêmes parties appartiendra à la cour d'Appel qui aura » prononcé, ou à un autre tribunal qu'elle » aura indiqué », un membre du conseil demanda «< comment on le concilierait avec » l'art. 422, portant que, s'il y a Appel d'un jugement interlocutoire, on ne peut se dis» penser de renvoyer au juge à quo ou à un » autre tribunal, l'exécution de l'arrêt qui le réforme ».

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A cette observation, qui eût évidemment été sans objet, si, dans l'article proposé, le mot Exécution n'eût dû s'entendre de ce que qui se fait en vertu d'un arrêt définitif, que fut-il répondu par ceux qui soutenaient cet article? Allégua-t-on que cet article était mal compris par le membre du conseil qui le critiquait? Allégua-t-on que cet article était étranger à ce qui se ferait en vertu des arrêts non définitifs, et qu'il ne portait que sur ce qui se ferait en vertu d'arrêts qui termineraient définitivement les procès mal jugés en première instance?

Point du tout. On reconnut, au contraire, que l'article, tel qu'il était conçu, embrassait, sous le mot Exécution, tout ce qui se ferait en vertu d'un arrêt infirmatif, n'importait qu'il fût définitif ou qu'il ne le fût pas; mais que, par cette raison même, il était trop général, et qu'il était possible d'exprimer que, dans ce cas (dans celui sur lequel portait l'observation), le juge d'Appel ne pourrait retenir, mais qu'il serait tenu de renvoyer, ou devant une autre section que celle qui aurait rendu le jugement infirmé, ou devant un autre

tribunal.

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renvoi du fond à un tribunal de première instance, ne devrait être obligatoire, pour la cour d'Appel qui infirmait un jugement interlocutoire, que lorsqu'elle ne trouvait pas la matière assez éclaircie pour y statuer définitivement; et que, comme il y avait identité de raison pour le cas d'infirmation d'un jugement définitif, soit pour vices de forme, soit pour toute autre cause, il devrait en être de même dans ce cas.

Ce furent ces observations qui amenèrent la coupure de l'art. 472 en deux parties, dont l'une le conserve tel qu'il était primitivement rédigé, et l'autre forme l'art. 473.

Mais de là il résulte évidemment que l'art. 473 renferme implicitement l'addition qui, dans la séance du conseil d'état du 5 prairial an 13, avait été faite à l'art. 472, des mots : néanmoins, dans le cas prévu par l'art. 452, la cour d'Appel ne pourra pas retenir l'exécution; que seulement il y met une exception pour le cas où la cour d'Appel trouverait la matière disposée à recevoir une décision définitive, et qu'en même temps il étend la règle générale qu'il sous-entend, aussi bien que l'exception par laquelle il la limite, à l'arrêt qui infirme un jugement définitif, soit pour vice de forme, soit pour toute autre

cause.

III-10. Pour que les juges d'Appel puissent, sur la demande de l'une des parties, user de la faculté qui leur est accordée de statuer sur le fond par le même jugement qui infirme l'interlocutoire, est-il nécessaire que les deux parties aient plaidé le fond devant eux, ou au moins qu'elles aient pris devant eux des conclusions sur le fond même ?

La négative est incontestable, lorsque le fond a été plaidé et qu'il y a été conclu en première instance par les deux parties; et la raison en est sensible: c'est que les conclusions prises sur le fond par les deux parties ́en première instance, subsistent. De là, en effet, il résulte que l'affectation de l'une d'elles à ne pas reproduire ses conclusions en cause d'Appel, ne peut pas empêcher qu'elle n'ait joui, sur le fond, d'un premier degré de juridiction sur la suffisance duquel la loi s'en rapporte entièrement à la prudence du tribunal d'Appel.

Voici d'ailleurs un arrêt de la cour de cassation qui le juge ainsi formellement.

Le 17 juin 1807, le tribunal de première instance de Grenoble rend d'office, après de longues plaidoiries entre la dame N..... et le sieur B....., sur le fond du procès qui les divise, un jugement qu'il qualifie de prépa,

ratoire, mais qui a tous les caractères d'un interlocutoire proprement dit.

Le sieur B..... appelle de ce jugement et conclud à l'évocation du principal.

La dame N..... se borne à soutenir que l'Appel du sieur B..... est non-recevable; et loin de reproduire ses conclusions de première instance sur le fond, elle ne s'explique même pas sur celles du sieur B......... qui tendent à ce que le principal soit évoqué.

De son côté, le sieur B..... conclud à ce qu'il soit donné contre elle défaut faute de conclure et de plaider au fond.

Les choses en cet état, arrêt du 11 juillet 1809 par lequel la cour de Grenoble, après en avoir délibéré en la chambre du conseil à la suite des plaidoiries, et sur les dossiers respectifs des parties, rejette la fin de nonrecevoir de la dame N..., reçoit l'Appel du sieur B..., et

« Considérant que l'art. 473 du Code de procédure civile autorisant les cours et autres tribunaux d'Appel, en infirmant un jugement interlocutoire porté devant eux, à statuer en même temps sur le fond et principal par un seul et même jugement, il importe fort peu que Victoire N... se soit bornée à faire plaider par devant la cour sur la fin de nonrecevoir dont elle excipait, et pour la confirmation des jugemens dont le sieur B... avait appelé, sans vouloir entrer dans le mérite du fond de la cause, ni prendre des conclusions à cet égard;

» Que, dès que, par la remise des pièces respectives des deux parties sur le bureau, que la cour a ordonnée, et par la vérification exacte qu'elle en a faite, elle juge que la matière est prête de recevoir jugement, le silence affecté de l'une des parties ne peut l'empêcher d'user du droit que la loi lui accorde de prononcer, par un seul et même arrêt, sur toutes les branches d'une contestation qui, depuis trop long-temps, est l'objet d'un scandale public...;

» A mis l'Appel interjeté par B....... du jugement du 17 juin 1807, et ce dont est Appel, quant à ce, au néant; et par nouveau jugement, déclare n'y avoir lieu à la mise en cause de.... (objet de l'interlocutoire); et passant outre au jugement du fond, donne défaut contre Victoire N..., faute de conclure et de plaider; et néanmoins, vu et vérifié les pièces remises sur le bureau, faisant ce qu'auraient dû faire les premiers juges, déclare, etc... ». La dame N... se pourvoit en cassation contre cet arrêt, et le dénonce spécialement comme faisant une fausse application de l'art. 473 du Code de procédure civile, en ce qu'il

évoque le fond sans qu'elle ait plaidé ni conclu sur le fond même, et surtout sans qu'elle ait été, par un arrêt ad hoc, mise en demeure de faire l'un et l'autre.

Mais par arrêt du 8 décembre 1813, au rapport de M. Lefessier de Grandprey, et sur les conclusions de M. l'avocat général le Coutour,

« Attendu que l'arrêt (attaqué) déclare que la remise des pièces respectives des parties a eu lieu, et que, par la vérification exacte qu'en a faite la cour, elle a jugé que la matière était prête à recevoir jugement;

» D'o il suit que l'arrêt attaqué, loin d'avoir faussement appliqué l'art. 473 du Code de procédure civile, s'y est exactement conformé ;

» La cour (section des requêtes) rejette le pourvoi........ ».

Mais s'il y avait une des parties qui n'eût ni plaidé ni conclu au fond en première instance, le juge d'appel pourrait-il également, sur la seule demande de l'une d'elles, évoquer le fond en infirmant l'interlocutoire?

Il ne le pourrait certainement pas dans l'état où il trouverait la cause d'après les seules plaidoiries sur le mérite de l'interlocutoire dont l'Appel lui serait déféré, puisqu'il serait impossible que, dans cet état, la cause fût disposée à recevoir une décision définitive.

Mais ne le pourrait-il pas, s'il avait préalablement et avant faire droit sur l'Appel de l'interlocutoire, ordonné aux parties de plaider au fond? C'est une autre question qui sera traitée ci-après, no III-30.

III-2o. La faculté d'évoquer le fond a-t-elle lieu pour la cour royale qui est saisie de l'Appel d'un jugement interlocutoire, par suite d'un renvoi après cassation, lorsque, dans l'intervalle du recours en cassation à la cassation même, il est intervenu, sur le fond, un jugement définitif dont l'Appel se trouve porté devant la cour royale dont l'arrêt a été cassé ?

Cette question s'est présentée à la suite de l'arrêt de la cour de cassation du 28 décembre 1818, que l'on trouvera sous le mot Interlocutoire, §. 5.

Pendant que le légataire universel du sieur Bruère poursuivait sa demande en cassation de l'arrêt de la cour royale d'Orléans, confirmatif du jugement interlocutoire qui avait admis les héritiers ab intestat à la preuve testimoniale du fideicommis verbal qu'ils articulaient, ceux-ci avaient, de leur côté, poursuivi l'exécution de ce jugement.

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