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tion, le principe de l'unité de collège. Les objections à élever contre ce principe sont de l'ordre théorique, non de l'ordre pratique ; ce n'est pas de la complication des opérations électorales qu'on peut les tirer, c'est de la valeur représentative du scrutin national. Quel que soit le mode électoral préféré, l'unité de collège est essentiellement contraire à la nature du gouvernement représentatif, soit qu'à la chambre réduite elle fasse entrer les hommes d'un seul parti, parfaitement unis et disciplinés sous la direction d'un chef populaire; soit qu'avec ses candidats nationaux désignés aux suffrages par le seul bruit de leurs noms et nommés à la simple majorité relative, un grand nombre à des majorités relatives trop faibles, elle donne naissance à un parlement complètement anarchique. Dans les deux cas, elle mènerait vite à la dictature. Prenons garde que certaines innovations peuvent être une cause de ruine pour le système qu'elles prétendent conduire à sa perfection logique. L'unité de collège est de ce nombre. Si l'on veut détruire le gouvernement représentatif dans un pays, il faut y établir l'unité de collège.

C'est ce qu'avait compris Robespierre. Il repoussait la constitution de Saint-Just en ce qui se rapportait à l'élection des députés. Il n'admettait pas que la perfection du système représentatif fût d'établir un seul scrutin pour tout le peuple. Il ne croyait pas que ce fût là le moyen d'obtenir la véritable expression de la volonté générale. « Ici, disait-il, je vois répandre de dangereuses erreurs; ici je m'aperçois qu'on abandonne les premiers principes du bon sens et de la liberté pour poursuivre de vaines abstractions métaphysiques. Par exemple, on veut que dans tous les points de la République les citoyens votent pour la nomination de chaque mandataire, de manière que l'homme de mérite et de vertu qui n'est connu que de la contrée qu'il habite ne puisse jamais être appelé à représenter ses compatriotes, et que les charlatans fameux qui ne sont pas toujours les meilleurs citoyens ni les hommes les plus éclairés, ou les intrigants portés par un parti puissant qui dominerait dans toute la République, soient à perpétuité et exclusivement les représentants nécessaires du peuple français ».

Ce jugement de Robespierre sur l'unité de collège est fort remarquable; et il n'y a rien de plus solide à opposer aux publicistes qui reproduisent de nos jours les idées de Saint-Just en matière électorale, qui abandonnent, comme Saint-Just, « les premiers principes du bon sens et de la liberté », pour poursuivre un prétendu progrès du système représentatif. Robespierre n'accepte pas l'unité de collège en principe, en théorie, pour la rejeter comme inapplicable; il ne se borne pas à l'ajourner à cause des difficultés pratiques qu'elle présente, il la condamne absolument à cause des dangers qu'elle recèle. C'est, dit-il, une erreur dangereuse. Il en prévoit et en redoute les résultats: il montre que de ce scrutin national seraient écartées les candidatures des hommes de mérite et de vertu, connus seulement de la contrée qu'ils habitent; que les représen

tants seraient forcément choisis parmi les charlatans fameux dont les noms viennent à toutes les oreilles et s'imposent à toutes les mémoires, ou parmi les intrigants que porterait un parti puissant, répandu dans toute la République ; que le peuple serait condamné à ce genre de candidats, parce qu'il ne pourrait s'en présenter d'autres avec l'espoir de recueillir des suffrages dans les diverses parties du pays; qu'ainsi la liberté des candidatures et, par suite, la liberté électorale seraient, en fait, nécessairement restreintes.

Quand on se préoccupe de rendre l'Assemblée nationale accessible aux hommes de mérite connus seulement de la contrée qu'ils habitent; quand on veut établir d'une manière durable une pleine liberté de fait des candidatures et des élections; quand on se propose d'éviter la formation d'une aristocratie de politiciens charlatans ou intrigants, il est tout naturel que l'on conclue au scrutin uninominal de circonscription, c'està-dire à la division du peuple en autant de collèges électoraux qu'il y a de députés à élire. Si l'on veut que l'élection confère un mandat réel, qu'elle ait un véritable caractère représentatif, il faut que les électeurs soient placés dans les conditions qui leur permettent le mieux de connaître et de juger ceux qu'ils nomment; et le meilleur moyen de les placer dans ces conditions, c'est de réduire chaque collège électoral au minimum de population et d'étendue territoriale. Plus on s'éloigne de ces conditions, et l'unité de collège est le mode électoral qui s'en éloigne le plus, plus s'affaiblit la valeur juridique et représentative de l'élection. Des députés nommés par le peuple entier sont des députés nommés à peu près sans connaissance de cause et comme au hasard, des députés sans mandat, sans responsabilité morale devant des commettants; ce sont des maîtres que le pays s'est donnés sans savoir ce qu'il faisait, ou plutôt qu'il a reçus des circonstances extérieures et qu'il a élevés au pouvoir par un mode d'investiture et de consécration démocratique en apparence, mais qui, au fond, n'a guère plus de valeur juridique que l'hérédité ou le tirage au sort.

Les objections que Robespierre produisait contre l'unité de collège de Saint-Just, atteignaient aussi, dans une certaine mesure, le scrutin de liste départemental des Girondins. Il entendait bien sans doute leur donner cette portée. Il ne trouvait certainement pas dans le collège de département les conditions électorales que l'on devait, selon lui, s'efforcer de réaliser. Il devait croire et il croyait que le département est un théâtre encore trop grand pour que les hommes de mérite puissent s'y faire connaître et apprécier partout et de tous, pour que les charlatans et les intrigants n'y aient pas trop de moyens et trop de chances de succès, pour que l'élection, par les rapports établis entre les candidats et les électeurs et plus tard entre les électeurs et les députés, puissent donner une vraie représentation du peuple. Il devait se prononcer et il se prononça pour le scrutin uninominal de circonscription, et c'est par

son influence que ce mode de scrutin prévalut, d'abord au comité de constitution renouvelé et composé de Montagnards, ensuite à la Convention nationale.

D'après le projet du Comité de constitution, il devait y avoir un député par cinquante mille âmes. Ducos et Fonfrède demandèrent qu'il y eût seulement un député pour cent mille âmes. Thirion demanda au contraire qu'il y en eût un par vingt-cinq mille âmes. La Convention s'arrêta au chiffre de quarante mille. Un point de cette discussion intéressant à rappeler et qui jette quelque lumière sur l'esprit de la loi électorale de 93, sur l'idéal démocratique que l'on y poursuivait, c'est que deux conventionnels, Lacroix et Génissieux, pour mieux marquer le but du mode de scrutin adopté, proposèrent que chaque arrondissement électoral fût tenu de choisir son député dans son propre sein; « autrement, dirent-ils, tous les députés seront pris dans les grandes villes, et l'on aura constitué la plus funeste des aristocraties, celle de réputation. » Cet amendement fut rejeté comme contraire à la liberté des électeurs. Il avait le tort de régler d'avance et uniformément pour eux ce qui doit dépendre de leur volonté; mais s'il enfermait leur action et leur choix et chaque collège, c'était en vue de susciter leur initiative, de la forcer à se soutenir, de la soustraire aux influences extérieures trop facilement subies, d'assurer la sincérité de la représentation de chaque collège, d'y développer la vie politique, la conscience politique, de préserver avec un soin jaloux l'égalité démocratique de tout ce qui pouvait la menacer et lui porter atteinte. Il répondait aux sentiments de défiance exprimés par Robespierre contre le charlatanisme et les intrigues des politiciens de renom. Pour empêcher directement la prépondérance électorale des grandes villes, il poussait à une conséquence extrème, qu'il était difficile d'admettre, tout au moins de faire entrer dans une disposition légale, le principe électoral opposé à l'unité de collège et au scrutin de liste par département.

Saint-Just, qui faisait parti du Comité de constitution, dut se rallier lui-même, et sans trop de peine, au principe électoral de Robespierre. Il tenait sans doute à sa conception de l'unité de scrutin, qu'il voyait découler logiquement de l'unité de la République. Mais il ne pouvait se flatter de la faire triompher à la Convention. Elle était, par sa nouveauté et sa hardiesse, de nature à surprendre plutôt qu'à séduire et à entraîner les membres d'une Assemblée. Malgré l'empire qu'exerçaient alors les théories abstraites et les principes absolus, malgré la place que chacun aimait à donner à la métaphysique politique dans ses pensées et dans ses discours, les conventionnels n'avaient pas perdu tout à fait l'habitude de se rendre compte des conséquences de leur œuvre, de juger les lois par les résultats qu'ils en attendaient; et il n'était pas difficile de voir les résultats qu'on avait à attendre, à craindre de l'unité du collège. Robespierre les avait signalés avec une grande fermeté de jugement: il

ne se pouvait que cette opinion de Robespierre ne fût prise en considération et n'éveillât des doutes chez nombre de représentants, notamment dans l'esprit des Montagnards, qui l'écoutaient avec déférence. Rien n'empêche de croire qu'elle en ait éveillé dans l'esprit de Saint-Just lui-même, qui avait toujours regardé Robespierre comme son maître. F. PILLON.

LA REVUE OCCIDENTALE.

SOMMAIRE DU NUMÉRO DE JANVIER 1881.

Luis de Camoens (suite), par Miguel Lemos; De la fonction industrielle des femmes, par Paul Foucart; La question sociale et les travaux de Paris, par Variétés; Bulletin ; — Nouvelles et documents; - Enseigne

Pierre Laffitte;

ment positiviste.

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SOMMAIRE DU NUMÉRO DE MARS 1881.

-

Cours de philosophie première (suite), par Pierre Laffitte; Le travail et le travailleur, par M. John K. Ingram; Luis de Camoens (suite et fin), par Miguel Lemos; Variétés ; Bibliographie.

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Nécrologie;

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JOURNAL DES ECONOMISTES.

SOMMAIRE DU NUMÉRO DE MAI 1881.

L'économie politique en une leçon, par A. Courtois ;- Le nouveau tarif général des douanes, par Léon Ame; - Théorie mathématique du bimétallisme, par Léon Walras; L'esprit révolutionnaire en Russie, par Eugène Petit; La loi sur les caisses d'épargne postales, par Joseph Clément; Le rapport de la valeur des métaux précieux depuis les temps les plus reculés, par Del Mar ; Conférence intéressante sur les monnaies; - Bulletin ; - Société d'économie politique; rendus.

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REVUE PHILOSOPHIQUE DE FRANCE ET DE L'ÉTRANGER.
SOMMAIRE DU NUMÉRO DE MAI 1881.

Comptes

Les cosmogonies aryennes, par J. Darmesteter; - Philosophes contemporains : M. Cournot, par Charpentier; - Problèmes anthropologiques: la question des criminels, par le docteur G. Le Bon; La mémoire élémentaire, par le docteur Ch. Richet; Analyses et comptes rendus ; - Notices bibliographiques; - Correspondance.

SOMMAIRE DU NUMÉRO DE JUIN 1881.

Du rôle du mouvement dans les émotions esthétiques, par Georges Guéroult; Critique de la morale de Kant (2e article), par Fouillée;

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composés, par Herbert Spencer; -L'amour-propre, étude psychologique, par Adrien Naville; Revue des périodiques étran

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Dans le n° 20, page 308, ligne 18, au lieu de : peureux, lisez : pour eux. Même page, ligne 37, au lieu de : phenomisme, lisez : phénoménisme.

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LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE DE JUST MUIRON.

Nos lecteurs ont eu dernièrement, de la plume autorisée de M. Ch. Pellarin, une intéressante notice sur la vie d'un vieillard vraiment vénérable, qui vient de s'éteindre, et dont le dévouement, les mérites, les services rendus ont toujours été appréciés hautement dans l'École sociétaire de Fourier, mais sans qu'on se soit préoccupé de rendre la même justice à l'auteur d'une philosophie de l'histoire opposée de tout point aux vues presque universellement reçues de nos jours. Le mysticisme de Muiron, je me sers du mot convenu, quoique très vague, qu'on emploie pour désigner certaines spéculations religieuses,- sa théorie de la providence, son explication du mal, sa façon de raccorder le désordre actuel des choses physiques et sociales et la nécessité du christianisme avec les origines édéniques de l'humanité, et avec la fin d'harmonie phalanstérienne dont il est l'apôtre convaincu, tout cela est en effet bien opposé aux idées que Hegel, le saint-simonisme, le positivisme et les présentes écoles sociologiques ont fait passer à l'état de chose jugée dans tous les esprits. Mais tout cela ne laisse pas d'être mieux en rapport avec les vues propres de Fourier, de Fourier, que ses plus intelligents critiques ont classé, lui aussi, parmi les philosophes mystiques, les théories confuses que de progrès continu que la plupart des phalanstériens ont accueillies sans réflexion et illogiquement introduites dans une doctrine à laquelle elles répugnent. L'ouvrage où Muiron a exposé sa philosophie de l'histoire semble n'avoir été publié que pour rester dans l'ombre, malgré ses deux éditions (1). Du moins, il s'en faut de beaucoup que le public des pen

(1) La première en 1832, sous ce titre : Les nouvelles transactions sociales, religieuses et scientifiques de Virtomnius; la seconde, très augmentée, en 1860: Transactions sociales par Just Muiron (Virtomnius est l'anagramme de Just Muiron). Dans celle-ci, l'auteur a supprimé quelques pages, fort intéressantes ici pour nous, dans lesquelles il faisait connaître ses propres origines intellectuelles, en tant qu'indépendantes de Fourier, et antérieurement à la lecture de la Théorie des quatre mouvements qui lui fut une révélation. Les passages suivants méritent attention (1re édit., p. 145) : « Tout ce qui est science et gouvernement au XIX° siècle, n'offrant au gré de Virtomnius que des fragments disséminés, sans coordonnance entre eux, mais constituant par leur savante complication l'incohérence universelle, il sentait, en 1814, qu'escorté du glacial scepticisme, un dégoût mortel commençait à gagner son âme. La vie luí devenait à charge. En quelques mois il en eût trouvé le terme, si de nouvelles études n'étaient venues lui rendre l'espérance et la foi....... Il trouva dans les découvertes de Mesmer, PuyséCRIT. PHILOS. - 26

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