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<< double sens pourvu que ses partisans ne se croient pas obligés d'attacher à toute solution négative une signification concrète et à l'expliquer par leur théorie. Ce serait de leur part une de ces erreurs gratuites dont nous avons vu que le réalisme métaphysique est la source.

L'auteur s'appuyant sur ce théorème : que, si une quantité négative est la solution d'une équation, la même quantité, prise positivement cette fois, est la solution de la même équation, dans laquelle l'inconnue aurait été prise négativement (p. 18), explique comment un changement introduit dans les hypothèses liées à la position d'une question fait passer la solution du signe négatif au positif, ou vice versa. Il parcourt différents problèmes élémentaires, pour achever d'élucider l'interprétation des solutions négatives, et puis l'emploi même des données négatives, basé sur l'admission de termes algébriques négatifs dont la signification résulte de la nature d'une question proposée. Il définit les distances négatives, les lignes trigonométriques prises avec leurs signes, les coordonnées algébriques des courbes dans leurs équations, et indique en terminant les définitions analogues des projections et des moments dans la mécanique rationnelle.

Une vue que nous regrettons de ne pas trouver plus développée dans la théorie de M. de C., parce qu'elle ouvre la voie, selon nous, à la plus complète et à la plus claire des explications et des généralisations des quantités négatives, c'est celle qu'il indique (p. 19), en ces termes (le problème des courriers, dont il va être question, est trop connu pour que j'aie besoin d'en rappeler ici le sujet au lecteur) :

<«< Lacroix, parle, dans une note qui est à la fin de la 15e édition de ses Éléments d'Algèbre (1), d'une modification importante apportée par Français dans l'énoncé du problème des courriers. Elle consistait à supposer les courriers, ou mieux les mobiles, animés d'un mouvement continu et commencé depuis une époque indéfinie.

«L'énoncé de Français se terminait ainsi : En quel point de la droite indefinie se fait leur rencontre? Cette fin est défectueuse, car la rencontre a eu lieu ou aura lieu; elle ne se fait donc pas. On a rectifié cet énoncé de Français en demandant le point de rencontre, évitant ainsi de préciser poque passée ou future » l'amendement est sans importance, car il est bien certain que Français entendait ne rien déterminer quant au temps, lorsqu'il imaginait le point d'une droite indéfinie où les données du problème exigent qu'ait lieu une rencontre.

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Cette proposition, que le géomètre cité par Lacroix suggérait pour la généralisation d'un problème particulier, il aurait pu l'étendre à tous ceux qu'on met en équation à l'aide d'un système de coordonnées rectilignes. En un tel système, les données s'exprimeraient toujours positivement, et les solutions n'auraient jamais des valeurs négatives réclamant

(1) Cette note est déjà dans la huitième édit., 1810, que j'ai sous les yeux, à la p. 359.

une interprétation ou une manière différente de poser la question, si l'on supposait l'origine des axes suffisamment reculée en chaque dimension pour que toutes les coordonnées susceptibles de se présenter dans l'analyse fussent comprises dans l'enceinte d'un même angle triède. Suffisamment ne peut signifier ici autre chose qu'indéfiniment. Il faudrait donc, pour noter algébriquement des relations, dans cette hypothèse, considérer toutes les variables comme évaluées non à partir de zéro, mais à partir d'un nombre indéfini, soit d'une valeur indéterminée et antérieurement supposée, point de départ d'augmentations ou de diminutions toujours possibles. Il doit être bien entendu que la supposition d'une telle manière de procéder est toute fictive. Elle a simplement pour objet de faire comprendre l'emploi du symbole - comme l'équivalent, dans le calcul, d'une quantité nx dans laquelle n désigne un nombre indéterminé aussi grand qu'on le voudra. Ajoutons quelques mots d'explication:

« D'un point donné, sur une droite indéfinie, les quantités linéaires peuvent se compter en deux sens opposés. Les sommes ou différences des lignes posées bout à bout, progressivement ou régressivement, sont représentées par celles des nombres qui leur correspondent, en prenant le point donné pour l'extrémité d'une première ligne portée et mesurée à partir d'une origine ou limite fixe. De plus, la limite étant arbitraire, il serait toujours possible de la placer de telle manière que les lignes obtenues par des opérations de ce genre fussent situées d'nn même côté de la droite indéfinie relativement à cette limite : les valeurs correspondantes seraient alors constamment positives. Si la limite est placée autrement, la dernière quantité portée détermine un point situé du côté de la droite opposé à celui où l'on s'avançait additivement: on trouve alors pour le nombre correspondant une valeur négative...

Le fait de l'existence d'une limite arbitraire et de deux sens opposés dans chaque dimension semble d'abord nous empêcher d'étendre la mesure aux rapports de position, puisque le nombre discret et la quantité continue abstraite, au lieu d'êtres indéfinis en deux sens, ont pour limites nécessaires, l'un l'unité, l'autre zéro: mais c'est précisément ce qu'il y a d'arbitraire dans la position d'un point limite qui permet de lever la difficulté, en attribuant au symbolex la signification de n±x sans déterminer n...» (1)

L'éclaircissement philosophique de la théorie des quantités négatives ne demande rien de plus, pourvu qu'on ait l'esprit affranchi de ce préjugé de métaphysique réaliste qui, en nous portant à chercher une signification intrinsèque et une existence mystérieuse à des symboles dont la nature ne résulterait pas des conventions et hypothèses liées à la tractation des problèmes, nous empêche seul de juger la théorie du « double sens » aussi complètement satisfaisante qu'elle doit l'être si elle est bien présentée.

(1) Essais de Critique générale. Premier essai : Logique, deuxième édition, tome I, p. 380 et suivantes.

Quant à l'éclaircissement mathématique, c'est autre chose, parce qu'il y a à justifier l'usage des symboles négatifs, en montrant l'accord des résultats du calcul avec ceux qu'on obtiendrait par des méthodes où les fermes négatifs isolés seraient exclus des données et en outre évités dans des solutions, toutes les fois que celles-ci ont une signification autre que purement algébrique. C'est l'objet d'un travail utile et même nécessaire au point de vue de l'enseignement. La théorie de M. de C. nous paraît, à cet égard, fort bien conçue. Cependant le philosophe peut encore ici se contenter d'une vue générale. La question pour lui est de comprendre comment l'emploi du symbole négatif - x est équivalent à ce que serait l'emploi du symbole toujours positif n-x, expliqué ci-dessus, si ce derier pouvait toujours être pratiqué facilement. Or, si l'on réfléchit que toutes les fonctions se ramènent en dernière analyse à la sommation, soit qu'on les envisage entre des nombres ou entre des lignes évaluées en nombres; que d'ailleurs les règles du calcul des quantités negatives ont toujours été établies nécessairement d'après la supposition que x est le second terme d'un binome tel que n±x on trouvera que le penseur n'a point à demander un théorème unique et d'une portée absolument générale pour la justification de l'emploi des symboles négatifs dans l'application de l'algèbre à la géométrie, à la mécanique et à toutes les questions possibles sur des quantités susceptibles d'être comptées en deux sens opposés. Cette justification est universellement comprise dans le postulat de l'accord du calcul avec lui-même, c'est-à-dire du mathématicien avec ses propres conventions.

REVUE DE THÉOLOGIE ET DE PHILOSOPHIE.

SOMMAIRE DE LA LIVRAISON DE MARS 1881.

La vie éternelle de l'homme, par C. Malan; Les conférences du professeur W. Robertson Smith, par ***; La méthode de la critique, d'après A. Kuenen,

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par F.-C.-J. van Goëns; - Bulletin.

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SOMMAIRE DE LA LIVRAISON DE MAI 1881.

Le piétisme, ses origines et ses précurseurs, d'après Albrecht Ritschl (deuxième partie), par V. R.; La religion de l'avenir, d'après Mamiani, par Jean-Jacques Parunder;

Théologie;

Ophir, le pays de l'or, d'après le Dr A. Sætbeer;
Faits divers.

Bulletin; —

ERRATA.

Dans le n° 34, page 115, ligne 39, au lieu de: qu'il était pas fail, lisez qu'il n'était pas fait; - page 118, ligne 37, au lieu de: attendre, lisez atteindre; - page 120, ligne 8, au lieu de pouvoir, lisez pouvait.

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

Saint-Denis.

Impr. CH. LAMBERT, 17, rue de Paris.

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

RÉPUBLIQUE PERSONNELLE OU RÉPUBLIQUE IMPERSONNELLE.

LA RÉPUBLIQUE PERSONNELLE NE PEUT S'ÉTABLIR LÉGALEMENT NI DURER Avec une tache d'illégalité a son ORIGINE. (Suite.)

(Voyez les numéros 32, 33, 34 et 36 de la Critique philosophique.)

Je laisse les objections se développer en s'appuyant de notre récente histoire. Rien de plus intéressant et de plus émouvant que ce passé d'hier; mais peut-être ne jette-t-il sur le présent qu'une lumière trompeuse. On attend la conclusion. Où tendent ces souvenirs rappelés du siège de Paris, et ces passages cités d'une plume révolutionnaire, admirablement éloquente?

On va le voir. Blanqui se retrouvait en 1870 ce qu'il avait été en 1848. Il suivait la même voie, se heurtant aux mêmes obstacles, aux mêmes impossibilités. Et le même aveuglement ramenait les mêmes déceptions. Il n'avait pas appris de l'expérience qu'un parti de démagogues qui s'impose à un pays pour lui faire un autre cerveau, sans autre titre que la capacité supérieure qu'il s'attribue à lui-même, forme, par l'opposition où il se met avec le droit démocratique, une espèce d'aristocratie, mais une aristocratie sans passé et sans avenir, une aristocratie qui ne peut manquer de se diviser et de succomber très vite et misérablement, parce qu'il n'y a pas de liens juridiques (il n'y en a évidemment d'aucune espèce, ni traditionnels, ni rationnels) qui unissent et subordonnent entre eux ses membres, qui les rendent suffisamment respectables les uns aux autres.

Blanqui, candidat perpétuel à la dictature, est le type d'une race d'esprits qui existaient dans les petites républiques de l'antiquité et dans celles de l'Italie du moyen âge, et qui existent en France depuis 1789. Le genre de passion et d'hallucination qui lui a fait une si étrange destinée est un phénomène qui ne pouvait guère se produire que dans un pays sans traditions et sans mœurs politiques, déraciné pour ainsi dire de son histoire et livré par suite à toutes les aventures. On peut dire qu'à son tour, par son audace, par son indomptable constance à poursuivre toujours le même but, à reprendre la lutte aussitôt après la défaite, à se mettre et à se déclarer en état d'insurrection permanente contre tous les pouvoirs légaux, il a contribué, pour sa bonne part, à empêcher la formation de traditions CRIT. PHILOS. X- 37

et de mœurs politiques en France, à rendre familère et presque naturelle dans les milieux populaires cette idée de dictature à laquelle il était dévoué comme à une cause impersonnelle, comme à une foi religieuse, et dont il a été le martyr et la victime. Sa vie entière atteste cette vérité que les déceptions ne rebutent et ne corrigent ni les individus, ni les partis, ni les peuples, tant que le fond de la mentalité, le caractère reste le même. Où trouve-t-on la preuve que le caractère de nos partis et de notre peuple ait réellement changé, sinon dans le grand désir qu'on a de ce changement?

Blanqui est mort; mais il n'a pas emporté avec lui l'esprit de dictature. Des individualités de cette force laissent après elles leur ombre allongée, comme a dit le philosophe américain Emerson, c'est-à-dire leur empreinte mentale et morale sur de petits groupes ardents, et, par ces groupes, sur la grande société. Blanqui a laissé un idéal malfaisant de conscience et de vie politique sans scrupule légaliste, dont participent plus ou moins les partis avancés et le peuple ouvrier des villes. N'avonsnous pas à Paris, à Lyon, à Marseille, dans tous les grands centres, la monnaie du vieux révolutionnaire ? L'expérience du passé, a-t-il écrit, ne profite jamais aux générations vivantes. Elle ne paraît guère profiter non plus aux générations qui suivent; car les âmes neuves semblent plus avides de préjugés, plus pressées d'entrer comme au hasard dans les moules intellectuels et passionnels qu'elles rencontrent, qu'attentives à comprendre et à éviter les fautes de celles qui les ont précédées dans la vie.

C'est ainsi que se conservent sans altération, à travers les générations successives, les caractères des êtres collectifs, partis, sectes, classes, peuples. C'est ainsi que l'histoire se répète. La mort et la naissance renouvellent les acteurs : la comédie et la tragédie continuent. Optimistes ou pessimistes, nos jugements sur l'avenir ne se fondent que sur des apparences passagères et de surface. On se trompait hier en croyant tout perdu; on se trompe aujourd'hui en croyant tout sauvé. Les uns parlent de progrès nécessaire, les autres de décadence fatale : c'est qu'ils voient, ceux-ci les faits de décadence, ceux-là les faits de progrès, bien plus gros qu'ils ne le sont réellement; chez les uns et les autres, l'idée préconçue, le sentiment antérieurement formé, le caractère agissent sur la sensation, sur l'expérience et en modifie le résultat. Ce qui est nécessaire et fatal, n'est-ce pas plutôt une certaine uniformité dans les luttes et les vicissitudes politiques produite par l'analogie des situations et l'identité des mobiles? N'est-on pas souvent tenté de se demander si le principe le plus sûr de la philosophie de l'histoire ne se trouve pas renfermé dans ces mots de l'Ecclésiaste Ce qui a été sera, rien de nouveau sous le soleil?

Nous avons de Proudhon un ouvrage fort intéressant et que SainteBeuve goûtait beaucoup : Les Confessions d'un révolutionnaire. Le célèbre socialiste y confessait, en 1849, dans les loisirs de la prison, non ses

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