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nationaux, primitifs ou acquis. Cette explication se fonde sur l'ethnologie et la psychologie expérimentale, qui ont commencé, sous le second Empire, à prendre la place et la faveur accordées en 1848 aux métaphysiques du progrès. M. Dollfus a bien vu que, pour s'engager dans la bonne voie historique et pour s'y tenir, un peuple a non seulement des vérités à apprendre, des erreurs à reconnaître et à rectifier, mais encore des passions et des habitudes à surmonter; que la lumière de l'entendement ne lui suffit pas, qu'il lui faut en outre la force de la volonté; que, d'ailleurs, la direction des pensées et le tour qu'elles prennent venant du cœur et de ses impulsions, l'erreur est autant le fruit que la racine du mal, la rectification, autant la conséquence que le principe du bien. De là les réflexions peu consolantes et peu rassurantes que lui inspire l'histoire de ces Gaulois latinisés qui se sont toujours montrés si peu capables de se posséder et de se gouverner eux-mêmes.

L'idée du rapport du caractère naturel ou acquis à la destinée n'est pas nouvelle. Celle de la distinction des lois et des accidents historiques ne l'est pas davantage. Je remarque que Montesquieu l'avait exprimée avant les écrivains de nos jours. « Il y a, dit-il, des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque État, l'élèvent, le maintiennent ou le précipitent; tous les accidents sont soumis à ces causes; et si le hasard d'une bataille, c'est-à-dire une cause particulière a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille. En un mot, l'allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers. » Et ailleurs : « Si César et Pompée avaient pensé comme Caton, d'autres auraient pensé comme firent César et Pompée; et la république, destinée à périr, aurait été entraînée au précipice par une autre main. »

Cependaut Montesquieu attribue en partie la prospérité de Rome au bonheur qu'elle eut de posséder dans la première période de son histoire une suite de grands hommes. Les grands hommes sont des accidents. Il y a donc dans l'histoire d'un peuple au moins une époque ou les accidents peuvent agir comme des causes générales. N'y en a-t-il qu'une seule? Montesquieu convient qu'à l'origine « ce sont les chefs de république qui font l'institution. » Ne conservent-ils rien de cette puissance? Croit-on qu'une fois l'institution faite, ils ne contribuent en rien, dans la suite, soit à la maintenir, à la fortifier, à la développer, à la réformer, soit à la corrompre et à la détruire?

(A suivre.)

F. PILLON.

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

Saint-Denis. Impг. CH. LAMBERT, 17, rue de Paris.

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

EXAMEN DES ESSAIS DE CRITIQUE GÉNÉRALE

Par M. SHADWORTH H. HODGSON

PSYCHOLOGIE (DEUXIÈME ARTICLE).

Maintenant que nous avons donné une idée générale de la position prise par M. Renouvier, nons devons chercher avant d'aller plus loin, ce que vaut ce mode de transition de la Logique à la Psychologie, qui, comme nous l'avons vu, revient à considérer la Psychologie comme la réalisation effective et complète, ou l'explication des catégories abstraites de la Logique. Je crois trouver ici, dans la théorie de M. Renouvier, une lacune qui est sérieuse à cause du point délicat sur lequel elle porte. Elle consiste en ce qu'il n'est pas rendu compte du passage d'un système général de catégories, embrassant la conscience et l'existence en général, aux êtres conscients particuliers qui ont des perceptions partielles et différentes de l'existence en général, et qui sont les objets de la psychologie. La lacune (si s'en est une) est dérobée à l'attention par une phrase ambiguë dans le passage suivant:

Les catégories sont les lois générales de la représentation. La représentation humaine est la seule dont il nous soit possible de parler avec assurance. C'est en elle que les catégories sont données pour nous, ainsi que la matière de l'expérience. Les catégories posent les formes de cette matière, les règles de cette expérience. (Tome I, p. 1.)

Appeler les catégories lois de la représentation humaine, c'est dire vrai tant qu'on ne sort pas de l'espèce. Lorsque nous parlons de la représentation, nous entendons la représentation dans l'homme; et cela est assez pour la métaphysique ou la logique générale. Mais cela n'implique pas nécessairement une pluralité d'êtres conscients particuliers. C'est là un fait qui doit être expliqué particulièrement. Une conscience universelle unique satisferait également à la condition posée, puisqu'elle serait une réalisation des catégories, et elle serait également une conscience humaine, quoique sur une vaste échelle. En ouvrant la Psychologie, nous nous trouvons tout à coup en présence d'une conscience particulière, individuelle; nous avons devant nous « une conscience donnée, avec un certain contenu d'expérience, dont elle combine les éléments », une conscience généralisée

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et qui représente tout; et cependant on ne nous dit pas d'où sort cette pluralité. C'est là certainement une lacune.

Ce ne serait pas répondre, de dire que la pluralité se trouve dans les catégories. Elle se trouve aussi dans toutes les formes : qualité, nombre, limitation, etc., telles qu'elles sont nécessaires pour comprendre les objets lorsqu'ils sont donnés dans la perception ou dans l'imagination. La question est celle-ci : comment se fait-il qu'il y ait plus d'un centre conscient des catégories, plus d'un mode de réalisation subjective des catégories, lorsqu'il n'existe qu'un seul monde objectivement représenté? Les catégories peuvent se concevoir comme nécessairement reliées dans un être représentatif, personnel, vivant. Mais qu'est-ce qui nous prouve que cet être n'est pas un Esprit absolu?

Il n'y a, à mon sens, qu'une manière de répondre à cette difficulté, c'est de l'avouer; qu'une manière de remplir cette lacune, c'est d'établir là une distinction, la distinction entre la nature et l'histoire, en la justifiant par l'analyse métaphysique. Nous laissons ainsi franchement de côté la philosophie, pour entrer dans la science (quoique toujours guidés par les distinctions philosophiques), en abordant le domaine de la psychologie. A moins de faire cet aveu et d'établir cette distinction (ou quelqu'autre équivalente), nous nous trouverions inévitablement conduits à traiter les notions des choses comme si elles étaient les choses mêmes et à transformer ces notions (les catégories, dans cet exemple) en conditions efficientes des choses. Nous aurions une psychologie a priori fondée sur des lois métaphysiques, une psychologie qui serait inadmissible comme science, lors même que ces lois seraient vraies en métaphysique, ce qui n'est pas tout à fait le cas des catégories, comme j'ai essayé de le montrer dans mon premier travail (sur la Logique).

M. Renouvier n'échappe pas, à mon avis, à cette conséquence presque inévitable, et ce qui le montre, c'est qu'il applique les catégories à déterminer les fonctions de la conscience en psychologie. Il appuie fortement sur cette application. Eu parlant des méthodes de la psychologie, dans son chapitre sur la conscience réfléchie, il dit:

J'ai appliqué aux premières catégories cette méthode de classification que je m'étonne de trouver nouvelle. On peut juger si elle donne des résultats faciles et bien coordonnés. Elle n'aurait point échappé à Kant, sans la préoccupation singulière qui porta ce grand homme à admettre les données de la psychologie vulgaire au moment même où il se proposait de soumettre à la critique tout le contenu de l'esprit humain. Il crut pouvoir obtenir les catégories par voie de déduction, et ne s'aperçut pas que, pour éviter de poser comme des faits aprioriques ces notions d'où toutes les notions dépendent, il en acceptait d'autres que l'autorité seule lui recommandait et dont la définition était même fort imparfaite. (Tome I, p. 214.)

Kant, j'imagine, a vu ce que M. Renouvier ne voit pas, savoir que, en outre des formes dans lesquelles opère la conscience et au nombre des

quelles se trouvent les catégories, il doit y avoir quelque chose qui opère dans ces formes. Les formes sont une chose, ce qui opère en est une autre ; et ce qui opère ne peut se réduire aux formes seules; mais c'est quelque chose de concret ou d'empirique, un composé de matière et de forme. De plus, même en supposant que les catégories de M. Renouvier soient les véritables formes dernières de la pensée, elles ne nous expliquent cependant pas pourquoi quelques-unes sont applicables à tels cas particuliers, et d'autres pas. Si l'on accorde qu'elles sont applicables au cours de la nature; elles ne rendent toujours pas compte de la direction effective qu'il prend en les subissant. Il y a un courant particulier d'événements, l'histoire du monde, dont il s'agit de donner la raison. La causation d'une chose par une autre est ce que la science a à rechercher, ce n'est point la manière générale dont les formes de la pensée s'appliquent à toutes choses.

L'ancienne psychologie, abandonnée avec raison par M. Renouvier, l'a également reconnu. L'âme et ses facultés étaient des causes efficientes. L'âme fournissait jusqu'à un certain point une explication de la production de la conscience en certains êtres particuliers. La conscience dont s'occupe la psychologie, c'est la conscience définie par son temps, son lieu, ses conditions d'existence, c'est-à-dire en connexion avec son organisme. Mais la conscience dont s'occupent la métaphysique, et la logique de M. Renouvier, c'est la conscience définie par le monde objectif qui en est la contre-partie et le contenu.

Sans une théorie de la causation, c'est-à-dire du conditionnement mutuel des choses particulières quant à leur entrée ou à leur sortie de l'existence, la psychologie n'est nullement une science, mais un simple reflet de la métaphysique. La causation est le trait qui distingue la psychologie comme la première des sciences, d'avec la métaphysique, qui est la condition de toutes. Si, d'autre part, nous partons de la causation, et si nous commençons par les faits de conscience groupés, tels que les présente la psychologie, nous n'obtenons pas alors de métaphysique du tout, nous n'avons pas de philosophie à proprement parler, mais seulement une généralisation des lois psychologiques; nous n'arrivons pas à ce que M. Renouvier prétend nous donner, à une psychologie basée sur la logique générale, mais à une logique générale basée sur la psychologie.

Je n'accuse pas M. Renouvier d'ignorer cette différence; il fait luimême, à un endroit, cette remarque que, « la connaissance des causes, telle que nous pouvons l'atteindre, est sans valeur pour la philosophie ». Encore moins l'accusé-je de bannir la notion de cause de la psychologie, ce qu'il ne fait certainement pas, comme on le verra tout-à-l'heure. Mais mon objection porte sur ce qu'il n'y a rien dans sa théorie qui corresponde à des faits qu'il admet, et c'est ce que j'appelle une lacune.

Enfin, admettons que cette entrée en matière soit la bonne. La transition de la Logique à la Psychologie est faite, la Psychologie cominence. La pre

mière question qui se pose pour un psychologiste qui abandonne comme insoutenable la notion de l'âme-entité est celle-ci : que faut-il y substituer? L'âme et ses facultés étant remplacées par des états phénoménaux de conscience, quelles relations faut-il concevoir entre ces états et l'organisme? L'âme et ses facultés étaient jadis considérées comme exerçant une action causative réelle; faut-il concevoir les états de conscience dont on fait maintenant l'objet de la psychologie comme tenant lieu de ces facultés et remplissant le même rôle ? La conscience réagit-elle sur l'organisme? Un état de conscience est-il toujours un anneau nécessaire dans la chaîne des événements qui s'interposent entre une impression reçue par le cerveau et le mouvement (dans le nerf ou dans le muscle) qui suit cette impression? Ou, au contraire, le psychologiste admet-il que les états de conscience n'exercent pas de réaction, ne sont jamais des anneaux dans une telle chaîne, mais qu'ils ne font qu'accompagner et marquer des processus organiques entièrement physiques, en ce qui intéresse leur causation, bien qu'ils ne puissent être connus et nommés, comme actions pour des fins instinctives et désirées, qu'au moyen des phénomènes de conscience qui les accompagnent?

M. Renouvier ne nous laisse point en doute de ses vues sur ces points :

Les faits de conscience prouvent qu'il existe aussi un commencement et un terme des phénomènes dans le représentatif comme tel. Entre l'action et la réaction des écoles substantialistes (matérialistes) se place, dans tout un ordre de cas, un fait que la physique et la biologie ne sauraient saisir dans l'ordre propre de leurs observations, avec leurs procédés et instruments, un fait qu'elles ne sauraient non plus nier, la conscience même. La sensibilité proprement dite et les passions ne sont pas des termes de la série des modifications centripètes et centrifuges données dans le champ des sciences naturelles; et pourtant il arrive qu'elles marquent la fin propre de certaines de ces modifications et l'origine de certaines autres. La solution de continuité quant à l'espèce des phénomènes est inévitable. Et on remarquera que je ne parle pas encore de la volonté. (Tome I, p. 360 et 361.)

Sa théorie est que les représentations d'un certain genre élevé, en tant que distinguées des innervations dont elles dépendent, sont des anneaux nécessaires de causalité dans les séries où elles entrent, et qu'elles contribuent à en déterminer l'aboutissement. Au nombre de ces représentations il ne range pas les états de volonté. La volonté va encore plus loin et plus profond, elle agit sur et dans les représentations, lesquelles ont, elles seules et indépendamment de la volonté, une action causale sur l'organisme. La volonté peut évoquer dans le cerveau la représentation d'une fin désirée ; mais c'est la représentation qui détermine le mouvement propre à réaliser la fin. Cinq cas distincts de l'action des représentations sont énumérés. 1o Les mouvements instinctifs dont on a une conscience obscure, mais où la représentation de la fin peut être claire ou obscure; 2° Les mouvements qui suivent les émotions, sans que ces mouvements mêmes soient

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