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rification imparfaite; elles fournissent une explication, non la seule explication possible. Toute loi, toute cause déterminante ont dû passer par l'état d'hypothèse avant de prendre rang dans la science. Créée a priori par le hasard ou par le génie, l'hypothèse scientifique n'est prouvée qu'après coup, par les faits constatés.

Toute autre l'induction rationnelle, qui découvre les causes efficientes au moyen de la proportion nécessaire entre les causes et les effets: celleci ne comporte guère de vérification empirique et n'en a jamais besoin. Si l'expérience contredisait une conclusion fondée sur le principe de causalité, ce désaccord dénoterait seulement l'existence d'une cause efficiente inconnue. Il est essentiel de ne point confondre ces deux procédés, impossible de les séparer entièrement. La véritable induction scientifique est mi-partie expérimentale, mi-partie rationnelle; seulement c'est l'expérience qui chez elle a toujours le dernier mot. L'emploi de l'induction purement rationnelle est le procédé de la métaphysique. L'induction expérimentale nous conduit à la prévision des faits par leurs antécédents et nous instruit des propriétés des substances, c'est-à-dire de leur aptitude permanente à déterminer certains phénomènes. Elle nous fait connaître également des substances invisibles et des états ou modes des substances, invisibles par nature ou par accident. Ces résultats sont obtenus par deux sortes d'hypothèses: celle de modes invisibles semblables à des modes visibles de la matière, et celle de substances invisibles analogues par leurs propriétés aux corps que nous connaissons. Ces hypothèses ne sont pas de simples artifices de classification, il n'est pas plus difficile en soi d'admettre la réalité de substances et de modes invisibles que celle de substances et de modes visibles. Ce qui n'était pas perceptible peut le devenir et l'est devenu quelquefois. Mais ce sont des matières où la certitude est particulièrement difficile à conquérir. Charles SECRÉTAN.

(A suivre.)

JOURNAL DES ÉCONOMISTES.

SOMMAIRE DU NUMÉRO DE SEPTEMBRE 1881.

L'élaboration statistique, à propos du prochain recensement de la centralisation des opérations statistiques, par Maurice Block; Lord Liverpool, ou les origines de l'étalon unique d'or en Angleterre, par T. Mannequin; Les associations professionnelles, par Pascaud; La retenue obligatoire sur les salaires, par Eugène Petit; Études sur l'Amérique latine. Les républiques de la Plata, par A. de Fontpertuis; Le familistère de Guise, par Ch. Limousin; Bulletin; Société d'économie politique; - Correspondance; - Comptes-rendus. Bibliographie.

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Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

Saint-Denis. Impr. CH. LAMBERT, 17, rue de Paris.

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

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POLITIQUE ET SOCIALISME.

LA QUESTION DU PROGRÈS. - L'ÉVOLUTION SENTIMENTALE
DE SAINT-SIMON.

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Il y a deux choses qu'on doit bien distinguer dans les origines saintsimoniennes du positivisme : d'abord les idées générales sur la marche de l'esprit humain, sur l'ordre de constitution des sciences, leur passage successif à l'état positif, et l'entrée de la philosophie, de la morale et de la politique dans ce même état, en sorte que, la série étant close, l'organisation sociale tombe dans la dépendance des sciences positives; puis, la conception anticipée d'une société et d'un gouvernement, tels qu'ils doivent résulter du progrès dont en a découvert la loi; et l'assimilation de cet état social futur à un état religieux, la religion étant alors considérée, ou plutôt définie, comme le moyen d'une organisation sociale de n'importe quelle nature. Sur le premier point, Saint-Simon n'a pu que transmettre à Comte les idées qu'il tenait lui-même de Burdin, avec ce qu'elles avaient subi de fermentation dans sa tête; mais Comte seul a été capable, à raison de son acquis scientifique, de donner une forme spécieuse à ces idées dont Saint-Simon s'était épuisé vingt ans à élaborer un mode d'interprétation ridicule. De là est née la «philosophie positive >> qui n'a cessé, comme le voulait son origine, de porter une « religion positive» dans ses flancs, mais sans que la plupart de ses adeptes la jugeassent encore en état de la mettre au monde. Sur le second point, il y a cela de curieux que, dans le temps même où il transmettait à son élève les vues qu'il avait si longtemps gardées et travaillé avec ardeur à propager, sur la nature du vrai « pouvoir spirituel » et sur la suprématie à reconnaître aux savants dans la direction et l'organisation de la société, SaintSimon les avait en partie abandonnées et ne cherchait plus dans la science ni le sujet principal ni le mobile des réformes sociales et du progrès de l'humanité. A cette époque, et déjà depuis les premières années de la Restauration, l'esprit de cet infatigable initiateur de tant des idées caractéristiques de notre siècle suivait une marche par laquelle il était porté successivement, en réagissant contre ses propres illusions impérialistes: 1° A s'adresser pour la « réorganisation sociale» et la détermination

CRIT. PHILOS.

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des mesures à prendre pour terminer la Révolution française » aux intérêts industriels, aux forces industrielles, à laisser de côté le physicisme et surtout la gravitation universelle (1), pour ne compter en somme que sur ce qu'on a nommé plus tard l'organisation du travail.

2o A demander au « sentiment », à la « philanthropie», de devenir le principal agent de la reconnaissance nécessaire des réels intérêts de tous, et de l'établissement de ce nouvel ordre social dans lequel l'oisiveté sera condamnée, l'autorité appartiendra aux travailleurs, et la paix laborieuse succédera à la guerre dans les goûts et les occupations dominantes des hommes.

3° A rattacher la morale sociale à la morale religieuse; non plus en recourant à quelque fiction nouvelle, ou bien à l'aide d'un procédé imaginé pour donner à des lois de l'ordre naturel un air de religion, les fonctions. d'une religion, mais simplement en s'appuyant sur la tradition et rattachant aux sentiments chrétiens les sentiments humanitaires.

Il nous paraît vraisemblable que Saint-Simon, revenu de ce paradoxe énorme, mais clair en sa simplicité, qui consiste à imaginer les lois de l'homme et de la société déduites de la loi de l'attraction des masses en raison inverse des carrés des distances, a dû renoncer du même coup à tout autre genre de déduction menant de la physique à la politique. Il ne pouvait ni bien comprendre ni exploiter pour son propre compte, tout en se trouvant intéressé à en favoriser la publication et à s'en faire honneur, les idées plus vagues et plus complexes que son élève cherchait à formuler pour rattacher sa « physique sociale» aux sciences positives antérieurement constituées. En cela il n'avait pas tort, car l'histoire du positivisme a montré, et l'état actuel de la « sociologie» montre toujours que la réduction ambitionnée est un pur vœu chez ceux qui tendent, et d'ailleurs si diversement, à l'opérer; mais il est naturel, et conforme à ce qui se voit souvent en pareil cas, que, forcé de changer de méthode en sa recherche des moyens de la réorganisation sociale, il n'ait pas fait complètement volte face, et qu'il ait mieux aimé supposer à sa doctrine deux parties destinées à se compléter l'une l'autre : la partie scientifique, confiée dès lors à son élève, et la partie sentimentale dont le dévelop pement lui appartiendrait à lui-même. Quoi qu'il en soit, cette nouvelle attitude reste d'autant plus propre à Saint-Simon, d'après laquelle il ne devait plus accorder aux sciences positives pour la détermination de l'ordre social, ni aux savants dans le gouvernement des sociétés, une part

(1) Il est possible, probable même, que Comte ait rendu ce service à son maître de le délivrer de l'obsession de la loi de la gravitation, comme principe d'où la morale et la politique puissent jamais sortir. Et en effet l'impossibilité matérielle et pratique, non toutefois l'absurdité radicale, ne confondons pas, comme on le fait toujours, d'une telle déduction est affirmée par Comte dans le Système de politique positive de 1824, sans réclamation de la part de Saint-Simon dans l'avertissement en tête de cet ouvrage. Le service rendu n'est pas petit, mais je ne vois pas qu'on puisse étendre plus loin les influences que Littré se plaît à supposer d'une manière générale, p. 6 de son Auguste Comte.

supérieure à celle qui revient dans la nature humaine à l'un des élements importants de cette pature, mais où ne réside pas cependant son principal ressort. Nous ne pensons pas, comme quelques disciples de Saint-Simon en ont exprimé l'idée, que, si le temps lui avait été donné de se développer dans sa dernière phase, il eût conduit sa carrière intellectuelle à une fin régulière et poussé son œuvre jusqu'au degré d'un système entier et cohérent. Ce génie, car c'en était bien un, quoique avec d'étranges lacunes et quelques égarements, était tout d'initiative, impropre aux travaux de perfectionnement et de coordination. Mais le système aurait-il existé, l'histoire de l'école saint-simonienne et des autres écoles descendues de la même source avec d'autres noms n'aurait pas été pour cela bien différente de ce qu'elle a été, à cause des tendances opposées des hommes qui y ont puisé une commune inspiration. Le fait est que l'on a le droit de revendiquer pour Saint-Simon, le Saint-Simon de la dernière phase, celui du Catéchisme des industriels, de l'Organisateur et du Nouveau christianisme, la paternité directe ou indirecte de toutes les sectes du socialisme autoritaire, tant de celles qui ont eu des visées de l'ordre exclusivement économique que de celles qui ont tenté de se rattacher sérieusement à la morale chrétienne, ou qui enfin ont voulu faire du neuf en matière de morale aussi. Au nombre de ces hérésies nées de ce que le groupe des disciples, Rodrigues, Bazard et Enfantin, appela la révélation saint-simonienne, on aurait eu à compter, dès l'origine, la religion positiviste elle-même, si l'heure fût alors venue pour Comte, comme elle sonnait pour Saint-Simon, d'accomplir son évolution vers le subjectivisme et la religiosité.

Saint-Simon, au début, n'était pas moins éloigné des sentiments chrétiens en morale que des notions rationnelles de justice et de droit. Il ne voyait partout que l'intérêt et ne concevait le problème social que comme une œuvre savante de conciliation des intérêts. On lit, par exemple, dans son premier ouvrage (1): « Les opinions sont encore partagées sur la question de l'égoïsme... La solution du problème consiste à ouvrir une route commune à l'intérêt particulier et à l'intérêt général... Toute la partie des raisonnements des moralistes qui dépasse la combinaison des intérêts, et qui tend à détruire l'égoïsme, présente une série d'erreurs dont il est facile de reconnaître la cause. Les moralistes prennent souvent les mots pour les choses p. Aussi insiste-il, en proposant son plan d'organisation du sacerdoce scientifique, sur ce que chacun des « élus de l'humanité» chargés par état de travailler au bien de l'humanité, c'est-à-dire au seul intérêt commun à tous les hommes, celui du progrès des sciences », sera placé ipso facto « dans une position telle que son intérêt personnel et l'intérêt général se trouveront constamment dans la même direction » (2).

(1) Lettres de Genève, édition Rodrigues, p. 42.

(2) Ibid., pages 7 et 17.

Plus tard, au moment où commence sa dernière phase, Saint-Simon ne renonce assurément ni au caractère scientifique du nouveau pouvoir spirituel, ni à son organisation d'après le type des académies, mais il considère comme le principal mobile des améliorations sociales l'amour de l'humanité, soit dans le passé, soit pour l'avenir. Il ne prête pas seulement ce sentiment aux « élus », aux hommes de génie, comme il le faisait déjà (non sans quelque contradiction) dans ses Lettres de Genève, mais il y fait appel chez toutes les classes d'hommes pour déterminer un grand mouvement de réformes dans le monde ; il attend une nouvelle et puissante expansion de la « pure morale de l'Évangile », enfin, c'est cette morale qu'il prend pour base de l'éducation. Les passages suivants sont extraits d'une Adresse aux philantropes qui sert de conclusion au Système industriel, ouvrage de 1821:

<< La passion qui vous anime est d'institution divine; elle vous place au premier rang des chrétiens, elle vous donne le droit, elle vous impose le devoir de combattre les passions malfaisantes et de lutter corps à corps avec les peuples et avec les rois quand ils se laissent dominer par elles. << Vos devanciers ont commencé l'organisation sociale de l'espèce humaine, c'est à vous à terminer cette sainte entreprise. Les premiers chrétiens ont fondé la morale générale en proclamant dans les chaumières ainsi que dans les palais le principe divin. Tous les hommes doivent se regarder comme des frères, ils doivent s'aimer et se secourir les uns les autres. Ils ont organisé une doctrine d'après ce principe, mais cette doctrine n'a reçu d'eux qu'un caractère spéculatif; et l'honneur d'organiser le pouvoir temporel conformément à ce divin axiome vous a été réservé. Vous avez été destinés de toute éternité à démontrer aux princes qu'il est de leur intérêt et de leur devoir de donner à leurs sujets la constitution qui peut tendre le plus directement à l'amélioration de l'existence sociale de la classe la plus nombreuse; vous avez été destinés à déterminer ces chefs des nations à soumettre leur politique au principe fondamental de la morale chrétienne. »

Des développements historiques qui suivent, sur la corruption du principe du christianisme, sur la décadence du pouvoir temporel, sur celle du clergé, oublieux de sa mission, enfin sur ce qu'a rendu de services et sur ce que cause aujourd'hui de retards aux progrès de la civilisation « la métaphysique», «la méthode amphigourique et bâtarde que les métaphysiciens ont organisée, et qui a formé contre la noblesse et le clergé un rempart à l'abri duquel les industriels ainsi que les savants adonnés à l'étude des sciences de l'observation ont pu travailler en sûreté ; de tant de considérations que le positivisme devait plus tard vulgariser, nous ne citerons que quelques lignes, remarquables en ellesmêmes et d'ailleurs bien curieuses quand on se rappelle l'enthousiasme que Saint-Simon avait manifesté pour le génie organisateur de Napoléon et pour la monarchie universelle préparant le règne du physicisme :

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