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odieuse, suivant l'espèce d'autorité qu'on lui prêterait. (Tome III, p. 164 et 165.)

Pas du tout. Un autre trait de la loi morale est ici omis. La loi morale contient son motif en elle-même; elle est un idéal qui a son pouvoir attractif et qui aide à son propre accomplissement. Si elle n'est pas obéie maintenant, elle peut l'être tout-à-l'heure; l'effort pour lui obéir, infructueux maintenant, peut porter fruit dans l'avenir. A plus forte raison est-ce le cas, quand elle est dès maintenant efficace. M. Renouvier suppose que la loi morale est comme le décret d'un souverain, auquel un sujet doit obéir ou désobéir, avec cette seule différence qu'elle n'a pas de sanction qui la rende efficace (1). La loi morale n'est pas simplement une loi civile, moins la sanction. Je ne pense pas que M. Renouvier montre sa pénétration ordinaire, dans ces objections où il s'éloigne complètement d'un principe sur lequel il insiste lui-même fortement et qui veut que l'homme soit un agent concret dans la totalité et la plénitude de ses fonctions. Il l'introduit, au contraire, en guise d'entité abstraite (2). Ce sont flèches tirées du carquois scolastique.

Lorsqu'il dit que « la croyance en la contingence réelle ou ambiguité des événements futurs est une condition de la fonction morale de la conscience », je vois là, non un fait démontré, mais un énoncé de ce mode

(1) Le décret d'un souverain », j'en conviens, mais avec une autre différence; c'est que le souverain est intérieur, le sujet autonome, et qu'il y a une sanction: - à savoir, indépendamment de l'existence de la loi morale universelle qui régit du dedans tous les agents raisonnables et les oblige sans les contraindre, l'existence d'un ordre moral en vertu duquel les destinées de ces agents sont des fonctions de leurs actes libres. C. R.

(2) Pour considérer l'homme comme un agent concret, dans la totalité et la plénitude de ses fonctions, il faut qu'en nos spéculations sur la nature de sa détermination à l'acte, nous ne fassions pas plus abstraction de sa volonté dans ses motifs (qu'il a le pouvoir d'appeler, de maintenir, ou de bannir pour en appeler d'autres) que de ses motifs dans sa volonté (qui sans eux serait vide). La première abstraction conduit au déterminisme, et la seconde à la liberté d'indifférence. Ni l'une ni l'autre de ces doctrines ne tient pour inséparables des éléments qui sont et restent tels, à mon avis, dans tout le cours et au moment critique et final d'une délibération sérieuse. Ce n'est donc pas moi qui viole le principe rappelé ici par M. Hodgson, en refusant de séparer la loi morale, présente à la conscience, d'avec l'idée de la volonté, présente elle aussi, et à la représentation de laquelle est inhérente la représentation des possibles contraires, également réalisables.

C. R.

erroné de distinction entre le sentiment de la liberté et la liberté réelle, que j'ai noté ci-dessus. La conscience n'exige pas pour agir une croyance en la contingence réelle; elle exige une perception de la liberté réelle (1). Elle ne repose pas sur une croyance qui peut être erronée, et qui, en tout cas, demande une preuve indépendante. Elle n'a rien à faire, en ce qui intéresse sa base, soit avec la doctrine de la contingence, soit avec celle de la nécessité; elle n'a rien à espérer de l'une, rien à craindre de l'autre. Lorsque M. Renouvier, pensant arriver au cœur même de la question, veut que nous jugions la théorie déterministe en nous demandant quelles actions résulteraient du cas ou l'agent devrait se résoudre « avec cette conviction distincte et constante en son esprit, qu'il ne peut faire à chaque instant que ce qu'il fait, vouloir que ce qu'il veut, désirer que ce qu'il désire», la supposition implique une véritable impossibilité. Dans le cas d'un choix quelconque, depuis l'inchoation jusqu'à la décision, la position de l'agent est cette attitude de l'esprit qui regarde en avant, qui reste dans l'incertitude et qui se représente des alternatives opposées comme également possibles. Jusqu'au moment de la décision, il ne peut avoir la conviction qu'il ne peut faire que ce qu'il fait, etc; parce que comme il ne fait encore rien, son faire reste encore futur. Il peut à la vérité s'arrêter pour réfléchir que ce qu'il fera ne sera que ce qu'il pouvait faire : mais alors ce qu'il pouvait faire est la chose même qu'il ne connaît pas, la chose que son choix encore en suspens doit décider. Il peut, dis-je, s'interrompre pour faire cette réflexion; mais en réfléchissant ainsi, il abandonne l'attitude de l'esprit qui regarde en avant, et prend la position d'un spectateur qui regarde de dehors avec les lunettes d'une vérité générale. Il est revenu de cette position quand il fait son choix. Il lui est impossible d'adopter les deux positions à la fois, de manière à introduire, dans l'attitude de l'esprit qui regarde en avant, la connaissance théorique du déterminisme, propre à la position d'un spectateur (2).

(1) Je ne saurais traduire cette phrase à mon usage que dans les termes suivants : La conscience n'exige pas pour agir une croyance en la liberté réelle; elle exige une perception de la liberté apparente. Et en effet, selon moi, c'est la liberté réelle qui se rapporte à la contingence réelle, et c'est de la simple liberté apparente qu'on peut dire que nous avons une perception. Une fois cette traduction opérée, il me paraît clair que la conscience d'un acte libre implique naturellement, par le fait, et la perception de l'idée d'agir librement, et la croyance spontanée en la vérité de cette idée. Il n'y a que la réflexion déterministe qui vienne parfois troubler cette croyance, mais alors en dehors du moment même de l'acte. G. R. (2) J'admets parfaitement tout cela et j'avoue qu'on ne saurait mieux

Le sentiment de la liberté est inséparable de cette attitude de l'esprit qui regarde en avant. Et ce qu'il importe de remarquer, c'est que l'agent est intéressé à garder strictement cette attitude. Le sentiment de la liberté est un sentiment de pouvoir; il augmente la force de la volonté dans le choix de la meilleure marche à suivre ; et c'est là la vraie signification du possunt quia posse videntur. Introduire une réflexion spéculative sur le fondement de cette liberté et de ce pouvoir, fût-ce en faveur de la doctrine du libre arbitre, c'est appauvrir l'acte et le corrompre. C'est l'origine de la casuistique, dans le mauvais sens du terme (1).

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Mais ce sentiment de la liberté, que M. Renouvier appelle liberté apparente et croyance à la liberté réelle, est un fait qui, en réalité, amène avec lui la liberté réelle comme son aspect obverse, la liberté réelle étant, selon M. Renouvier et comme il l'établit fréquemment, une doctrine logiquement indémontrable, de même que l'est également à ses yeux la doctrine contraire dú déterminisme. Le déterminisme, au moins dans la forme que je lui ai donnée, fait reposer la liberté réelle sur une base plus ferme que la doctrine opposée elle-même prétend le faire. Heureusement, M. Renouvier admet que cette liberté apparente, cette simple croyance à la liberté réelle, est une base suffisante pour un système entier de morale, de jurisprudence et de politique ; et c'est à cette vue que nous devons ce qui est, à mon sens, le fruit le plus précieux de ses travaux, savoir, son grand ouvrage, la Science de la morale, dont j'ai parlé dans mon premier travail. Car si la liberté simplement apparente est une base suffisante pour un système complet de vérité pratique, la discussion de sa

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dire. Quand j'ai fait la supposition qui, dit M. Hodgson, implique une véritable impossibilité, je n'ai eu l'intention en effet que de me servir d'une de ces suppositions que nous appelons suppositions par impossible, dont l'objet est de mettre une certaine thèse à l'épreuve en faisant ressortir les conséquences qu'elle aurait dans un cas, non réalisable à la vérité, mais pourtant conforme à des données dont elle accepte le fond. Je trouve légitime de demander aux purs déterministes ce qui arriverait si un agent moral agissait toujours dans la conviction pleine et présente de l'absolue prédétermination de tous ses actes, encore que je sache bien que ceci surpasse les forces du déterministe le plus résolu. C. R. (1) J'entends bien qu'en introduisant, au moment de l'acte libre, une « réflexion spéculative sur le fondement de la liberté » on corromprait inévitablement cet acte, au cas où cette réflexion tendrait à la négation de la liberté comme réelle. Mais je ne vois point qu'il pût en être de même pour le cas de l'affirmation, puisque l'affirmation se bornant à corroborer une apparence inévitable et une croyance naturelle à l'agent, il ne s'introduirait rien là qui fût de nature à vicier et adultérer l'acte. C. R.

réalité ne présente plus qu'un intérêt spéculatif, et l'intérêt spéculatif se trouve séparé de l'intérêt pratique. Selon moi les deux intérêts sont unis; et le sentiment de la liberté est une base suffisante pour l'éthique, précisément parce qu'il est plus qu'une simple apparence et qu'une simple croyance, en un mot, parce qu'il est la liberté, la chose même (1). Niez l'existence de la liberté, en tant que la libérté serait l'antithèse de la nécessité, c'est-à-dire embrassez le déterminisme, et vous affirmez par cela même la liberté, à la fois comme une réalité en elle-même et comme une base très ferme de l'éthique, ne réclamant d'autre démonstration que celle qui est donnée par l'analyse des phénomènes.

(1) Kant a écrit ces lignes (Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. Barni, p. 101, en note): « Ne voulant pas m'engager à prouver la liberté au point de vue théorique, je me borne à l'admettre comme une idée que les êtres raisonnables donnent pour fondement à leurs actions. Cela suffit pour le but que nous nous proposons. Car quand même l'existence de la liberté ne serait pas théoriquement démontrée, les mêmes lois qui obligeraient un être réellement libre obligent également celui qui ne peut agir qu'en supposant sa propre liberté. Nous pouvons donc nous délivrer ici du fardeau qui pèse sur la théorie ». Et encore (dans le texte): « Je dis que tout être qui ne peut agir autrement que sous la condition de l'idée de la liberté est par là même, au point de vue pratique, réellement libre; c'est-à-dire que toutes les lois qui sont inséparablement liées à la liberté ont pour cet être la même valeur que si sa volonté avait été reconnue libre en elle-même et au point de vue de la philosophie théorique ». C'est dans le même sens et pour la même raison que, dans ma Science de la morale, j'ai traité des devoirs, et établi la théorie du devoir, d'un point de vue d'où ne sont pas exclus les philosophes spéculatifs convaincus de l'absence de tout fondement réel pour la liberté apparente (t. I, chap, n). Mais j'ai, d'une autre part, réclamé la croyance à la liberté réelle, comme postulat qui naît de la morale même. Et je me suis bien gardé de dire que cette croyance ou la croyance opposée sont dénuées d'intérêt pratique. Elles ont évidemment l'intérêt pratique qui appartient à toute théorie en tant qu'on la juge capable d'influer sur l'état de conscience de celui qui l'accepte. C. R. SHADWORTH H. HODGSON.

(A suivre.)

ERRATA.

Dans le numéro 42, page 245, ligne 12, au lieu de sous lesquels; lisez : sans lesquels;- Dans le n° 46, page 318, ligne 17, au lieu de variété; lisez : vivacité; Dans le n° 47, page 322, ligne 19, au lieu de que l'on ne soit; lisez que l'un ne soit.

MIND.

A quarterly review of psychology and philosophy.

SOMMAIRE DU NUMÉRO DE JUILLET 1881.

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L'histoire du mot esprit, par le professeur J. Earle; La substantialité de la vie, par Edmund Montgomery; L'efficacité comme fin prochaine en morale, par John T. Punnett; - L'etoffe de l'esprit et la réalité, par le professeur Josiah Roycei L'art de George Eliot, par James Sully; Notes et discussions; Notices critiques.

SOMMAIRE DU NUMÉRO D'OCTOBRE 1881.

La vue et l'odorat dans les vertébrés, par Grant Allen; Les termes qu'on trouve dans Homère pour exprimer l'âme, par C.-F. Keary; Volumes posthumes de G.-H. Lewes, par Carveth Read; - L'étoffe de l'esprit au point de vue historique, par T. Wittaker; Hegel exposition et critique, par Andrew Seth; - Notes et discussions; Notices critiques.

J. MILSAND.

LA CRITIQUE religieuse.

SOMMAIRE DE LA LIVRAISON DE JUILLET 1881.

L'Allemagne et le protestantisme.

V. COURDAVEAUX. Les théories politiques de l'Église.

G.

Fragments de philosophie religieuse. La religion.

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LÉON PENCHINAT. - Amélie de Lasaulx, en religion sœur Augustine.
PÉTAVEL-OLLIF. La survivance des plus aptes d'après la Bible.

F. PILLON.

Une conférence sur les rapports de la science et de la religion.

SOMMAIRE DE LA LIVRAISON D'OCTOBRE 1881.

ALFRED BENEZECH. L'État sans Dieu.

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Comment tout tourne à mal sous l'influence du catholicisme.

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Joseph Garnier, par de Molinari; - Obsèques de Joseph Garnier, discours de MM. Léon Say, Paul Pont, Franck, Chiris, Pathier, de Molinari, J. Grelley; — D'un système d'enseignement rationnel, par Courcelle-Seneuil; — Une conversion à l'amiable aux États-Unis, par Félix Limet; Revue des principales publications économiques de l'étranger, par Maurice Block; - La colonisation algérienne au congrès d'Alger, par G. R.; Le cinquantième congrès scientifique d'Angleterre, par H. Taché; Bulletin; Société d'économie politique; Chronique écono

mique; Bibliographie économique.

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

Saint-Denis.

Impr CH. LAMBERT. 17, rue de Paris.

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