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phie, pourvu qu'elle montre que toute preuve contraire est, impossible. Mais c'est à la religion, non point à la philosophie, d'en fournir le motif positif.

Toutes les objections que je me suis trouvé obligé de faire à la philosophie de M. Renouvier se ramènent à une seule, c'est que son analyse n'est pas poussée assez loin: la base générale du phénoménisme reste intacte, mais elle est compromise par une analyse imparfaite. Dans le présent travail les points principaux de l'objection sont au nombre de trois 1° le rapport entre la métaphysique, la logique, comme il l'appelle, et la psychologie; 2o la doctrine de la liberté et de la contingence; 3o l'idée qu'on doit se faire du monde invisible. Quant au premier point, l'auteur ne paraît pas avoir suffisamment distingué entre la subjectivité en philosophie et la subjectivité en psychologie, entre la conscience, ou représentation représentative envisagée comme équivalente à tous ses objets ou représentés (návτa τà πрàɣμaтa), et la conscience dans son histoire, c'està-dire dans le mode de formation de son système de représentations représentatives, en quoi elle dépend spécialement de l'un de ses représentés, à savoir de l'organisme vivant en connexion avec lequel elle semble, en chaque cas, se produire. Quant au second point, la conviction profonde du fait de la liberté l'a conduit, faute de distinction entre le percept et le concept, à une théorie de la liberté où la liberté apparaît comme contradictoire à la nécessité, et alors ne peut résister à cette réflexion que sans la nécessité il n'y a pas de pensée. Quant au troisième point, le défaut de l'analyse consiste à ne pas distinguer précisément les éléments nécessaires en toute pensée, par opposition aux parties du contenu qui ne sont pas nécessairement combinées avec ces éléments (1).

Toutes ces questions restent, à mon sens, pleinement ouvertes à la

(1) Je me suis abstenu de remarques sur cette dernière partie de l'étude dont m'a honoré M. Hodgson. Elles n'auraient pu toutes que porter sur des points que j'ai déjà éclaircis de mon mieux dans les articles précédents. Il me reste à remercier mon éminent critique, à le prier d'excuser des vivacités de polémique, si par hasard il m'en est échappé quelqu'une, et à me joindre à lui dahs sa conclusion sur l'importance de cette doctrine phénoméniste dont la juste et naturelle conciliation avec la croyance au «< monde invisible » ouvre à la philosophie une carrière nouvelle. Cette importance est telle, que, malgré les dissidences qui existent encore entre nous sur des questions aussi essentielles que celles de l'infini, de la liberté et de la certitude, nous pouvons nous témoigner mutuellement nos sympathies comme adhérents d'une même et puissante méthode, destinée, si nous ne nous trompons, à lutter avec avantage contre les spéculations qui se prétendent fondées sur les sciences, mais qui reposent en réalité sur les conceptions et hypothèses de l'ancienne métaphysique.

C. R.

discussion. Loin de moi la prétention de dogmatiser à ce sujet, et personne n'a plus de droits que M. Renouvier à se faire écouter, personne ne peut parler avec une plus grande autorité. En tout cas la doctrine fondamentale ou, comme il dirait, enveloppante, du phénoménisme reste hors d'atteinte et constitue l'atmosphère même de la pensée, dans laquelle seule toute discussion ultérieure pourra vivre et se mouvoir. Si une telle base n'est posée, tous les arguments, soit analytiques, soit constructifs, sont sujets à ne conduire qu'à des idées fausses; et M. Renouvier est le premier qui l'ait posée, en son système de phénoménisme philosophique : phénoménisme philosophique, non purement empirique, phénoménisme qui se met en face des problèmes derniers de la pensée, au lieu de s'en détourner. Le nom et la renommée de M. Renouvier resteront indissolublement associés au phénoménisme philosophique.

SHADWORTH H. HODGSON.

BIBLIOGRAPHIE.

LES PRÉCURSEURS FRANÇAIS DE LA TOLERANCE AU XVII SIÈCLE Par FRANK PUAUX (Fischbacher).

I

Le petit troupeau broute de mauvaises herbes, écrivait Mazarin à nous ne nous rappelons plus quel personnage historique, mais il les broute en paix. » Ce témoignage rendu par un prince de l'Eglise, un premier ministre bien placé pour en juger, à la patience, à la résignation avec laquelle les protestants acceptaient la nouvelle situation qui leur était faite depuis la prise de La Rochelle, ne devait cependant pas désarmer le bras de ceux qui avaient juré d'extirper de la France l'hérésie calviniste et qu'irritait le maintien même mutilé de l'Édit de Nantes. Trahi lâchement par Henri IV, écrasé par Richelieu qui lui avait enlevé toutes ses places fortes, le protestantisme était réservé, sous Louis XIV, à subir les persécutions les plus raffinées, les plus odieuses, les plus monstrueuses. Vainement les réformés se faisaient humbles, petits, vainement ils protestaient et par leurs paroles et par leurs actes de leur dévouement, de leur respect, de leur obéissance absolue à celui qu'eux aussi, tout comme les plus fanatiques entre les catholiques, appelaient le grand roi, rien ne put arrêter la main levée pour les frapper. Le clergé et son instrument, Louis XIV, avaient juré de l'anéantir et, pour atteindre ce but suprême, on ne recula devant aucun moyen. Ce n'est pas brusquement, d'un seul coup, on le sait, que fut révoqué l'Édit de Nantes. Non, ce n'est pas ainsi que l'on procéda. Il fallait prouver que l'Édit de Nantes était devenu une garantie inutile, parce que le protestantisme avait cessé d'exister, parce qu'il ne restait plus personne en France qui professât la religion prétendue réformée. A quoi bon un édit destiné à protéger la liberté de conscience, puisque tous les sujets du roi appartenaient désormais au

même culte, puisque la France était devenue librement, volontairement, toute catholique? A quoi bon laisser debout les temples, puisqu'ils étaient désertés, puisqu'il ne restait plus de huguenots? A quoi bon permettre aux pasteurs de prêcher, puisqu'ils n'avaient plus de fidèles pour les entendre? Et il semble bien en effet qu'avec la série de mesures prises contre les protestants de 1660, avènement de Louis XIV, jusqu'aux mois d'octobre 1685, date de la révocation, le protestantisme devait avoir vécu. Rappelons ici quelques-uns de ces arrêts du Conseil, déclarations, règlements, édits qui chaque jour venaient jeter le trouble, le désespoir, la désolation dans des milliers de famille. Il en est qui prétendent qu'il ne faut pas raviver d'aussi douloureux souvenirs, que ce serait exciter des passions aujourd'hui éteintes. Nous ne partageons pas cette opinion; nous croyons qu'il est bon que les petits neveux n'oublient pas ce qu'ont souffert leurs pères, ne serait-ce que pour apprendre eux-mêmes à détester le despotisme et à ne jamais se servir, s'ils devenaient les plus forts, des armes dont on s'est servi, au xvII° siècle, pour exterminer leurs glorieux ancêtres.

Voici un arrêt du Conseil du 27 août 1680 qui fait très expresses inhibitions et défenses aux receveurs généraux des finances d'employer aucune personne de la R. P. R. à peine de suspension de leurs offices pendant cinq ans. Le 20 février 1680, déclaration qui interdisait aux protestants, à quelque sexe qu'ils appartinssent, de remplir la profession d'accoucheur. Le 22 janvier 1685, défense aux réformés de se faire maîtres apothicaires, et le 15 septembre suivant de se faire soigner par des médecins de leur religion. Le 19 novembre 1680, déclaration par laquelle les baillis, sénéchaux et autres juges sont tenus de se transporter chez les réformés mourants pour savoir d'eux s'ils veulent mourir dans leur religion. Le 17 juin 1681, permission est donnée aux sujets du roi appartenant à la R. P. R. tant mâles que femelles, ayant atteint l'âge de sept ans de pouvoir, malgré la volonté de leurs parents, embrasser la religion catholique, apostolique et romaine, et les autorisant, à leur choix, ou à retourner chez leurs parents, ou à se retirer ailleurs en exigeant une pension qui devra être payée de terme en terme, sinon on les y contraindra. Voilà la liberté du père de famille si en honneur aujourd'hui, si énergiquement revendiquée, dont on jouissait sous le règne du grand roi! Nous ne pousserons pas plus loin notre énumération; cela deviendrait fastidieux, car il faudrait tout un gros volume pour réunir les édits, arrêts de Conseil, déclarations, règlements, sous les coups desquels on comptait abattu pour toujours le protestantisme. Et cependant tous ces efforts n'aboutirent pas au résultat que l'on espérait. La réforme avait jeté dans certaines parties de la France, dans le Languedoc, dans le Dauphiné notamment, de si puissantes racines qu'elle ne put en être tout à fait extirpée, et lorsque paraissait l'Édit du 18 octobre 1685 qui révoquait l'Édit de Nantes, il restait encore, malgré l'exode de plus de cent mille

familles, un million d'hommes en France dévoués à la foi de leurs pères, et parmi eux un grand nombre n'hésitèrent pas à payer de leur sang cet inébranlable attachement aux croyances réformées. Cependant Louis XIV n'avait pas seulement été soutenu dans ses persécutions contre l'Eglise protestante par la puissance du glaive, par la force matérielle, il l'avait été également par la plume d'hommes de génie, par un Bossuet, par un Fénelon, par les solitaires illustres de Port-Royal, qui, persécutés eux-mêmes, trouvaient cependant toutes naturelles les mesures prises contre les protestants, et écrivaient de longs et savants ouvrages pour les convaincre d'hérésie.

Ne cherchons donc pas la tolérance chez les catholiques au XVIIe siècle. Tous y étaient opposés, même ceux que nous considérons comme les meilleurs, même un Arnauld, même un Nicole, même un Fénelon. Mais cette idée généreuse qui nous semble aujourd'hui si naturelle quoi qu'elle soit loin d'être encore entrée dans nos mœurs, d'où nous vient-elle? La réforme a-t-elle le droit de s'enorgueillir de l'avoir la première proclamée, mise en lumière, en honneur? question délicate, complexe, que nous voulons examiner de bonne foi, en prenant pour guide dans notre travail l'estimable ouvrage qu'a publié dernièrement un écrivain dont le nom est cher à tout protestant, M. Frank Puaux, et dont nous ne saurions trop conseiller la lecture à tous ceux qui ne croient pas que la réforme en France ait dit son dernier mot, et que le culte qui en est issu soit condamné à végéter misérablement pour mourir dans un temps plus ou moins éloigné. Pour nous qui avons foi dans l'avenir du protestantisme, qui sommes loin de penser que sa mission dans le monde soit remplie, c'est avec joie, avec bonheur que nous voyons des hommes de talent consacrer leurs travaux à étudier le passé de l'Eglise réformée, à tirer de l'oubli les noms des hommes qui aux époques de luttes, de souffrances, soutinrent dignement ses croyances et combattirent jusqu'au bout pour les défendre, pour les glorifier, alors cependant que leur cause pouvait sembler irrévocablement perdue. Les voilà enfin les Jurieu, les Claude, les Basnage, les Saurin, les Pajon, les Jaquelot, et tant d'autres qui auront aussi leur tour, qui sortent de leur tombe, dont renaissent devant nous les intéressantes et nobles figures. Oui, ils ont été vaincus et les érudits seulement aujourd'hui connaissent leurs noms, mais nous avons l'illusion de croire, si c'est une illusion, que l'histoire plus équitable, plus clairvoyante, les fera sortir, ces hommes de cœur et de talent, de l'oubli dans lequel ils sont si longtemps restés plongés, les vengera des défaites injustes qu'ils ont essuyées. Pour nous, quand nous reportons notre souvenir sur les trente dernières années du règne de Louis XIV, de 1685 à 1715, ce n'est ni à Paris ni à Versailles que nous trouvons la vraie grandeur, c'est à La Haye, à Amsterdam, dans cette Hollande où se réfugia tout ce que le protestantisme comptait dans ses rangs de savants, de littérateurs, d'orateurs; où prêchait un Saurin, où écrivaient les

Jurieu, les Bayle, les Basnage, où, grâce à Le Clerc, se fondaient les premières publications sérieuses de critique littéraire et scientique, tandis qu'en France on ne connaissait en fait de journaux que celui de Dangeau, ou le Mercure galant. Cela paraîtra surprenant à quelques-uns, à beaucoup, mais nous ne croyons pas soutenir un paradoxe en affirmant que pendant cette période de temps dont nous parlons, il y avait plus de vie réellement intellectuelle dans quelques villes de la Hollande que dans la France tout entière. D'un côté, le protestantisme avec son esprit libéral, curieux, avide de lumières, de l'autre le catholicisme avec son esprit étroit, autoritaire, timide, effrayé de toute nouveauté. Ici, l'agitation, la vie d'un peuple qui a conquis la liberté et qui veut se rendre digne de la conserver; là, le silence, ou, pour tout signe de vie, le murmure confus des courtisans qui se pressent dans les antichambres du palais de Versailles, attendant l'heure du grand ou du petit lever.

II

Revenons à la question que nous avons posée. La tolérance est-elle fille de la réforme religieuse du xvi° siècle, en est-elle un produit direct? Nous pensons en toute sincérité qu'il serait difficile de faire une réponse nettement affirmative. Qui veut trop prouver ne prouve rien, dit un proverbe, et nous tomberions dans cet excès si nous nous attachions à démontrer que les premiers réformateurs eurent la pensée d'établir entre tous les cultes un système réciproque de tolérance, de support. Ni Luther, ni Calvin n'ont poursuivi ce but, cela est de toute évidence. Raviver la foi religieuse, la ramener au culte du pur Évangile, montrer l'inanité des œuvres, supprimer la tyrannie du sacerdoce, placer directement l'homme en face de Dieu sans ancun intermédiaire, voilà ce qu'ils voulurent, voilà l'œuvre à laquelle ils consacrèrent leur vie. Mais si on leur eût dit qu'ils devaient, au nom de la religion elle-même, tolérer l'erreur comme la vérité, ils n'eussent assurément rien compris à ce langage, et la conduite de Calvin vis-à-vis de Servet en est une preuve suffisante. Aussi tout révolté qu'il fût par les moyens employés pour convertir les protestants, Jurieu, qui le premier fit entendre un cri de douloureuse et de trop légitime protestation, admettait cependant une répression de l'hérésie. « Le magistrat chrétien, dit-il, doit imposer silence à l'hérétique, lui défendre de dogmatiser sur des peines, et si l'hérétique viole cette défense, il peut être puni très légitimement non plus comme hérétique, mais comme violateur des ordres et des lois du souverain. » Mais à côté de Jurieu d'autres exilés soutenaient le principe de la tolérance. Tel était Bayle, qui, après avoir écrit son fameux pamphlet : « Ce que c'est que la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand, publia peu après son Commentaire sur les paroles de Jésus-Christ: contrains-les d'entrer.

Ce livre, qui eut un succès considérable, mérite que nous nous y arrêtions

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